Le point de vue d'une cyberféministe québécoise

Le point de vue d'une cyberféministe québécoise


par Nicole Nepton

Colloque Nouvelles écritures féministes
UQAM, 5 juin 2011

• 1991 : premier emploi dans un centre de femmes en même temps que les Mac y font leur entrée. Rien à voir avec l'informatique des années 1975. Les petits MacIntosh répondaient tout de suite, eux. Dans le temps de le dire, j'étais la ressource pour les organismes communautaires de l'édifice.


• Pendant deux ans, je ne travaille pas dans un groupe de femmes. Je me sens déconnectée du mouvement des femmes même si je m'implique à la FFQ. En 1997, je me branche à internet, mais le mouvement des femmes du Québec n'y est pas. Par contre, il y avait les Pénélopes et Womenspace (qui n'existent plus depuis quelques années).

• 1999 - 2001 : contenus d'une campagne internet des femmes (promotion de l'appropriation des TIC - technologies d'information et de communication - et de politiques TIC inclusives et conçues avec une perspective de genre) et maintien d'un répertoire francophone de sites féministes canadiens pour Womenspace. La toile féministe québécoise se développe lentement et à coup de sites statiques. 12 ans plus tard, les poliTIC et le mouvement des femmes, ça fait toujours deux.

• 1999 : site de FRONT avec une webmestre. Le Monde en parle : internet permet de faire entendre des voix qu'on n'entend pas et le mouvement des femmes passe à côté de ça.

• 2000 : pour une fois, je ne me sens pas comme une espèce de bibite qui clique grâce au réseau WomenAction : il y a d'autres féministes de même! Nous avons réalisé une couverture en direct de Beijing + 5, diffusée sur le web, des listes de discussion et en format papier.

• mars 2001 : mise en ligne de Cybersolidaires.

• Couvertures en direct et en réseau en 2002 à l'AG de l'ONU sur les droits des enfants, aux FSM 2002 et 2003 avec les Pénélopes, entre autres.

• En 2002, Sisyphe se met à diffuser le discours de féministes prohibitionnistes. Stella commençait à peine à se faire entendre. J'étais devenue membre de Stella en 2000 parce que j'ai eu honte du silence du mouvement des femmes quand elles étaient victimes des réacs du quartier lors de la présentation d'un projet de la Ville de Montréal de déjudiciarisation de la prostitution de rue. Alors j'ai commencé à diffuser des contenus stelliens en attendant qu'elles soient en mesure de le faire elles-mêmes.


• En 2005, elles ont pu développer leur site. Il est vite devenu très riche en contenus : actualités, outils par et pour les travailleuses du sexe, ressources, ConStellation, communiqués, couvertures du Forum XXX 2005 et des conférences internationales sur le sida 2006 et 2008, biblio et toile du mouvement de défense des droits des travailleuses du sexe. Aujourd'hui, leur site reçoit de 21 à 22 000 visites par mois. Pas mal du tout pour un petit groupe de femmes local qui fait essentiellement du travail sur le terrain.

• En Outaouais en 2002, une professeure féministe était en train de mettre sur pied un Observatoire sur le développement régional et l'ADS (ORÉGAND). Au lieu d'avoir un site web, je lui ai vendu l'idée que son observatoire pouvait aussi être un site web. En dépit de son sous-financement, l'ORÉGAND est estimé tant à l'international - par exemple - qu'au local, et soutient le mouvement des femmes d'Haïti.

• 2004 : transfert de Cybersolidaires sur typepad.com, qui n'est pas un logiciel libre, mais je ne voulais pas payer un programmeur de ma poche.

• 2007-2009 : parti sur un 10 cennes en novembre 2007 à l'initiative d'APC et d'une poignée de militant-es, www.techsansviolence.net propose des moyens de mettre les TIC au service de la lutte contre la violence faite aux filles et aux femmes et parle d'enjeux sociaux reliés aux TIC. Voir nos vidéos sur la soirée violence 2.0. Pas de $ pour organiser des ateliers d'appropriation des outils dont le site fait la promotion, pas de croissance de sa base de militantes.

• Cybersolidaires s'intéresse particulièrement aux femmes et communautés marginalisées et aux mouvements sociaux. Avec les années, au fur et à mesure de contrats que je réalise en tant que travailleuse autonome, s'est développé un réseau de sites (j'ai réalisé plusieurs d'entre eux, mais pas tous) qui s'alimentent les uns les autres tout en gardant leur autonomie. J'anime ou co-anime encore plusieurs de ces sites. J'utilise aussi Facebook, Twitter, NetFemmes et la liste de discussion par-l pour accroître la visibilité des contenus mis en ligne sur ces sites, entre autres.

En 2001, à une conférence pan-canadienne de Womenspace, avec le CDÉACF, PAR-L et la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises, nous parlions de développer un réseau virtuel francophone féministe. J'avais retenu l'idée.


• La toile féministe québécoise s'est beaucoup développée depuis une douzaine d'années, tandis que de plus en plus de féministes et de groupes de femmes utilisent aussi des réseaux sociaux (surtout Facebook, Viméo ou YouTube et un peu Twitter).


• Mais en 2011, il y a encore :
peu de sites féministes dynamiques de communautés marginalisées et dans la plupart des régions du Québec

peu de contenus accessibles aux personnes handicapées visuelles (nb : les doc mis en pages en utilisant les fonctions titres et sous-titres des logiciels de traitement de textes, ça aide)

peu de blogues féministes québécois (ça en vaut pourtant la peine : voir jesuisféministe.com et Les Furies; ce serait le fun qu'un jour, nous soyons assez nombreuses pour un 1er rendez-vous de blogueuses féministes québécoises)

peu de couvertures en direct d'événements que des organismes prennent parfois des mois à organiser (il suffit d'un blogue, de deux ou trois personnes, de quelques photos - et pourquoi pas aussi des vidéos - et allez hop!)

peu d'édimestres féministes (ou de cyberféministes si vous préférez)

pas même une appropriation minimale des enjeux poliTIC par une partie du mouvement des femmes du Québec (ex : vie privée, neutralité d'internet, liberté d'expression, violence, harcèlement et espionnage 2.0, pas de pressions politiques pour aller chercher des $ afin de soutenir l'appropriation des TIC par les personnes pauvres, allophones, analphabètes, aînées, etc., tout en n'oubliant pas des alternatives pour celles et ceux qui ne se l'approprieront jamais, etc.).

• 2011-2013 ? : le processus des États généraux du féminisme pourrait être l'occasion d'utiliser les TIC et réseaux sociaux pour rejoindre un maximum de femmes - pas rejointes par les réseaux membres de la FFQ - tout en développant des collaborations entre jeunes féministes, artistes, technos, etc., afin de rebrasser les cartes du féminisme québécois.

Les états généraux pour le mouvement féministe se poursuivent, Caroline Montpetit, Le Devoir, 04.06.2011

[Source : http://bit.ly/l497GZ]