Anaïs Barbeau-Lavalette et les Mères au front ont eu envie de faire du 8 mars un tremplin pour contrer la colère et l'isolement face aux décisions inhumaines et insensées qui se prennent à Washington

Cette nuit, tu t’es réveillée en sursaut. « C’est la guerre, maman ! »

Tu as 9 ans.

Tes longues jambes arrêtent des buts au handball, tes fossettes font de majestueux cratères à tes joues rieuses et tes diplômes de résolution de conflits trônent, accrochés au frigo.

Il y a quelques années, tu m’as demandé, perplexe : « Donald Trump, est-ce que c’est un oiseau ou un humain ? », confondant le canard du dessin animé et le président.

Aujourd’hui, tu sais très bien lequel menace jusqu’à tes nuits.

Depuis des semaines, je tente de te rassurer. Je dis : ne t’en fais pas, le contre-pouvoir va s’organiser.

Je dis : pour le moment nous sommes figés et figées devant l’ampleur des catastrophes annoncées, mais ne t’en fais pas, nous finirons par nous soulever.

Mais de l’autre côté de ces mots-là, je me sens si seule, si impuissante.

Qui est donc ce « nous » auquel je me raccroche ?

Il est éparpillé. Sans visage. Ce « nous » terrifié a besoin de soupirer d’une seule voix.

Quels que soient les scénarios qui se profilent, une page est actuellement en train de s’écrire. Le stylo bave et l’encre tache.

Et si je n’ai pas assez de mots pour dire ma colère, ma tristesse, mon désarroi face à toutes ces prises de décisions inhumaines et insensées, je ne veux pas rester du bord de l’ombre. Parce qu’il existe, en chacun de nous, une part fragile et essentielle qui ne peut être déposée sur d’autres épaules ou en d’autres cœurs. C’est cette partie-là de nous, cette part « indélégable », qui rend le soulèvement de chacune et chacun unique et irremplaçable.

Jamais je n’ai eu autant besoin de nous sentir ensemble.

Je voudrais d’un grand mouvement de sororité, un élan spontané où je sortirais de chez moi pour regarder les autres solitudes dans les yeux, pour m’y reconnaître, pour me rappeler que ces hommes ne feront pas l’histoire, car nous l’écrivons aussi.

Le 8 mars a sauvagement été effacé de l’agenda officiel de Google, jeté avec les mots « Journée internationale des droits des femmes ». Mais nous sommes là, ensemble avec et pour nos filles, pour graver nos droits en majuscules dans l’imaginaire collectif.

Il me semble plus pertinent que jamais de prendre soin des symboles.

Et la journée du 8 mars est un symbole d’exception.

J’ai envie de faire de cette journée un tremplin, pour toi, ma fille. Pour nous toutes et tous, qui avons envie de faire éclater l’isolement. « Personne, écrit Thoreau, ne peut être moi à ma place. » C’est à partir de cette vérité que nous agissons. C’est aussi à partir de ce « je » unique et singulier que nous aimons.

Faisons craquer nos solitudes et parler nos fatigues. Tissons-nous les unes et les uns aux autres, pour mieux organiser la suite.

Nous aurons besoin d’être ensemble, maintenant et tous les jours qui suivront.

Nous sommes le contre-pouvoir.

L’Histoire ne s’écrira pas sans nous. Unissons-nous aujourd’hui pour faire partie du récit.

Le 8 mars, soyons debout, fiers et fières, forts et fortes devant des lieux-symboles des États-Unis, ici et partout sur le territoire : ensemble pour nos filles.

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