Appel à l'aide des femmes inuites
Je vous invite à écrire sans délai à votre député-e fédéral-e et aux ministres concerné-es pour faire valoir les revendications ci-dessous des femmes inuites, marginalisées par le sexisme et le racisme des politiques de l'État canadien.
On peut communiquer avec elles à l'adresse suivante:
Pauktuutit, 131, rue Bank, Ottawa ON K1P 5N7
Courriel: jdickson@pauktuutit.ca
Site Internet: http://www.pauktuutit.ca
Tél.: (613) 238-3977, poste 26
Martin Dufresne
************Extraits de leur lettre à M. Paul Martin***************
Le 1er octobre 2004
Le très honorable Paul Martin, Premier ministre
Chambre des Communes
BUREAU DU PREMIER MINISTRE
111, rue Wellington, Ottawa, Ontario
Canada K1A 0A6
Télécopieur: (613) 941-6900
Monsieur le Premier ministre,
Je vous écris au sujet d'un enjeu qui a une importance considérable pour la conjoncture autochtone au Canada, à savoir les circonstances insoutenables imposées à la Pauktuutit Inuit Women's Association. Pauktuutit est la voix nationale des femmes Inuit du Canada et c'est la seule ONG à s'attaquer aux nombreuses conditions socioéconomiques déplorables que connaissent les femmes inuites, leurs familles et leurs communautés dans les immenses municipalités isolées du Grand Nord canadien, des conditions d'iniquité extrêmes et des enjeux de santé dévastateurs dont bien peu de gens ont même connaissance.
Il y a maintenant plusieurs mois que vous exprimez sur toutes les tribunes votre détermination à venir en aide aux Canadien-nes d'origine autochtone et en particulier aux Inuit-es. De plus, vous vous êtes engagé à appuyer l'accès d'un plus grand nombre de femmes à des postes de renforcement des capacités et de prise de décision. Pauktuutit et les femmes que nous desservons ont un besoin urgent de vous voir faire preuve MAINTENANT de ces deux engagements.
La situation d'urgence où se trouve Pauktuutit tient à deux contraintes étroitement liées. La première est d'ordre financier. Il faut bien reconnaître que, durant les années 1990, les voix des femmes ont subi un recul, une marginalisation et même une censure en raison de coupes tout à fait disproportionnées du financement de l'État. Dans le cas de Pauktuutit, ces mesures équivalaient à une dangereuse discrimination infligée non seulement aux femmes inuites mais à nos enfants et à nos Aîné-es, soit les personnes les plus vulnérables de nos communautés. Les coupures massives apportées durant les années 1990 au financement de base de Pauktuutit et à ses programmes n'ont pas encore fait place à un rétablissement du soutien de l'État.
Au même moment, la mise en oeuvre de nos projets connaît un tel succès que beaucoup de bailleurs de fonds des secteurs public et privé préfèrent collaborer avec Pauktuutit ou soutenir des programmes par son entremise. Nous gérons présentement une vingtaine de programmes dynamiques et on nous demande d'en créer plusieurs d'autres. Mais nous sommes forcées de refuser d'excellents projets parce que notre financement de base (issu de Patrimoine canadien) est si minime qu'il nous empêche d'assurer le plus élémentaire soutien administratif.
Pour empirer les choses, ce minuscule financement de base ne peut être obtenu qu'au prix de très lourdes exigences de rapports et de demandes répétées de subvention, et il est toujours versé avec énormément de retard.
(Par exemple, nous n'avons pas encore reçu un cent de la contribution à laquelle s'est engagé Patrimoine canadien pour la présente année financière et c'est aujourd'hui le premier jour du troisième trimestre.) PC nous a en outre indiqué qu'en raison de modifications de leurs règlements internes, la portion qui restait à verser de notre financement de l'an dernier ne nous sera pas envoyée.
Notre conseil d'administration, nos nombreuses bénévoles et, bien sûr, notre personnel restreint ont à cour d'effectuer de longues heures de travail pro bono, et cet effort en vaut grandement la peine aux yeux des femmes que nous desservons. Cependant, nous sommes aujourd'hui si débordées de travail et si mal subventionnées que nous voyons partir des employées épuisées et sous-payées, ce qui rend intenable la gestion des services minimum de notre C.A. Nos tentatives maintes fois réitérées pour alerter à cette situation les représentants des nombreux ministères et services concernés ne nous ont valu jusqu'ici que commisération, vigoureuses expressions de soutien et promesses de considération. mais sans aucun résultat.
La seconde contrainte à peser lourdement sur notre avenir tient à l'exclusion systématique d'une voix indépendante des femmes inuites de toute représentation aux instances où sont élaborées les politiques qui les touchent directement. Nous savons toutes et tous que la dernière décennie a été immensément décevante pour toute personne en quête d'une parité entre les sexes dans l'élaboration des politiques, et cela vaut également pour Pauktuutit. En dépit de ses engagements internationaux à cet égard, le Canada a en fait perdu du terrain sur toute la ligne, qu'il s'agisse du nombre de candidates à des postes électifs ou de la présence de femmes à des postes de pouvoir.
Dans le cas des Inuites, le gouvernement du Canada n'a même pas encore reconnu officiellement que Pauktuutit est bel et bien une organisation autochtone nationale, alors que nous célébrons cette année vingt ans de succès. Ce déni s'est évidemment traduit par des pertes pour les avancées des Inuites vers l'égalité, tant au plan des décisions politiques qu'à celui, très important, du partage de ressources et de l'élaboration de programmes qui se négocient par la suite en notre absence.
Le Sommet des peuples autochtones, tenu le 19 avril, et la Rencontre des premiers ministres sur la santé, le 13 septembre, en sont deux exemples récents. Malgré nos objections et nos requêtes fermes et répétées, Pauktuutit a été privée d'un siège à l'une et l'autre de ces instances. En lieu et place, le Bureau du Premier ministre a insisté pour que Pauktuutit se contente d'un statut d'observateur à ces deux événements (et beaucoup d'autres). Il nous a même demandé de nous asseoir à l'arrière et de nous joindre à la délégation de l'organisme Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), à leur invitation. Non seulement cela place-t-il Pauktuutit en position subalterne face à un organisme partenaire, mais c'est inéquitable et cela adresse à toutes les Inuites le message clair qu'elles ne sont que des « citoyennes de seconde classe ».
Si les Inuites ont mis sur pied Pauktuutit en 1984, c'est justement parce que ITK n'avait ni l'intérêt, ni l'intention de traiter ce que l'on appelait à l'époque « les questions de femmes ». Le but des Inuites était d'acquérir l'autonomie pour elles et pour leurs familles, de briser le silence sur des enjeux douloureux et personnels comme la violence, le suicide, le VIH/sida, les toxicomanies et les sévices sexuels infligés aux enfants. Au cours des vingt dernières années, nous avons relevé chacun de ces défis et beaucoup d'autres, malgré des budgets d'une insuffisance absurde et avec presque aucun soutien d'Ottawa au plan des politiques.
Maintenant que le monde entier a enfin, et pour diverses raisons, pris conscience de l'existence du Nord canadien, il est possible de transformer les expressions de sympathie en mesures réalistes appliquées sur le terrain.
J'ai la ferme conviction que la voix autonome de Pauktuutit a beaucoup à offrir - les femmes peuvent s'avérer de puissants agents de changement social, et nulle part est-ce plus vrai que dans le Nord canadien. L'inclusion de cette voix expérimentée, issue de la base et non politicienne, à des tables d'élaboration des stratégies ajoutera non seulement une perspective nationale pratique et communautaire aux débats. mais elle renforcera aussi aux yeux des autres l'impératif moral de l'égalité dans tous les secteurs de l'activité humaine - nous avons trop constaté l'injustice qui sévit en l'absence de ce principe.
En résumé, Pauktuutit a besoin de voir confirmée au plus haut niveau l'intention du gouvernement canadien de respecter son engagement à l'égard des voix autonomes des femmes et à l'égard des Inuit-es. Pauktuutit fait respectueusement appel à vous, monsieur le Premier ministre, pour instaurer deux mesures :
En premier lieu, Pauktuutit a la ferme intention de continuer à réaliser les modestes projets et programmes qui, en partenariat avec les ministères du Gouvernement du Canada et des Territoires et avec certaines fondations privées, ont des effets très réels dans les vies des familles du Nord. Mais pour ce faire, Pauktuutit a absolument besoin d'un financement de base adéquat - un financement prévisible, pluriannuel, transparent et bien sûr, redevable - qui reflète l'engagement du Canada envers le principe de l'égalité et qui reconnaît l'urgence des circonstances que vivent les femmes inuites, leurs enfants, les Aînés-es et les communautés. (...)
En second lieu, il est urgent que le Gouvernement du Canada reconnaisse au plus haut échelon que Pauktuutit est de fait un organisme national autochtone réellement autonome, avec toutes les obligations et opportunités liées à ce statut. Pauktuutit n'est pas la petite sour d'ITK ou d'aucune autre organisation. Nous n'avons pas le statut de membre votant à leur C.A., et il ne serait pas approprié qu'il en soit ainsi. Le Conseil d'ITK regroupe les chefs politiques de quatre organisations de revendications territoriales, dotées de leurs propres programmes et mandats politiques légitimes. En contrepartie, Pauktuutit représente directement, par son conseil d'administration élu, les Inuites des minuscules collectivités isolées de huit régions géographiques de tout le Nord canadien, ainsi que les jeunes et les Inuites qui ne vivent pas en région mais dans le Sud du Canada.
Les deux contraintes précitées - l'absence d'une voix reconnue et d'un financement suffisant - ont depuis longtemps un effet de sape croissant sur nos activités et elles en viennent aujourd'hui à compromettre gravement notre capacité de survie. Nous serons forcées de fermer nos portes si l'on ne nous permet pas d'y remédier à très court terme.
J'espère donc une réponse de votre part dans les plus brefs délais. (...)
Mary Palliser
Présidente
CC : L'honorable Andy Scott, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ; L'honorable Ujjal Dosanjh, ministre de la Santé ; L'honorable Liza Frulla, ministre du Patrimoine canadien et ministre responsable de la Condition féminine ; Madame la ministre d'État Carolyn Bennett (Santé publique)
PROGRAMMES DE PAUKTUUTIT
Guidée par un Conseil d'administration composé de femmes inuites de l'ensemble du Nord et dirigée par un personnel restreint et dévoué à Ottawa, Pauktuutit est une organisation établie de longue date. Affichant vingt ans de réalisations dans une vaste gamme d'enjeux trop souvent marginalisés sous l'étiquette « questions de femmes ».
Les domaines où Pauktuutit intervient prioritairement comprennent notamment les nombreuses formes de violences, les aspects particulièrement vulnérables de l'environnement nordique, l'équité sexuelle, les savoirs traditionnels et leur propriété intellectuelle et l'autonomie économique.
Les programmes en cours à Pauktuutit comprennent Journey to Success, sur l'accès à l'autonomie économique; les toxicomanies; le VIH, le sida et l'hépatite C; toutes les formes de violence - Nuluaq; le diabète; la cessation du tabagisme; les problèmes liés aux pensionnats; la prévention du suicide; la justice et les affaires correctionnelles; et des ressources de répit pour les pourvoyeuses de soins.
Et comme nous, les femmes, portons dans nos mains les plus vulnérables de nos citoyens et notre espoir pour l'avenir, Pauktuutit met l'accent sur le mieux-être des enfants dans tout son travail. Le syndrome de la mort subite du nourrisson, l'obstétrique traditionnelle, les programmes prénataux et de soins aux mères et aux bébés, la protection de la jeunesse, la grossesse chez les adolescentes, le suicide chez les jeunes, le syndrome de l'alcoolisme fotal, Manger sainement pour avoir un bébé en santé et les sévices sexuels infligés aux enfants sont quelques-uns de nos programmes liés aux besoins des jeunes.
D'autres activités déjà négociées et en voie de mise en oeuvre sont, entre autres, le projet Amauti (sur la propriété intellectuelle) et des programmes sur la gestion des déchets nucléaires, la conscience et la défense de l'environnement et le SAF de troisième génération.
ENGAGEMENT DE PAUKTUUTIT
« À titre de cheffes de famille et de leaders de nos communautés, de pourvoyeuses de soins et de créatrices de paix, les femmes inuites offrent en partage leur force, leur sagesse, leurs connaissances et leur expertise traditionnelles. Notre voix nationale, la Pauktuutit Inuit Women's Association, a une réputation d'organisme efficace, solidement enracinée et soutenue dans la communauté pour une raison importante : Pauktuutit tire son autorité et reçoit son mandat directement des femmes inuites des diverses collectivités. Les positions que nous adoptons et les réformes que nous réclamons sont leurs propres opinions et priorités de réforme. Notre succès tient non seulement au fait de tenir les femmes inuites informées mais aussi à notre souci de les impliquer activement dans l'élaboration et la mise en oeuvre de toutes nos initiatives. »
(Mary Palliser, Présidente 2004)
**********traduction: Michèle Briand et Martin Dufresne*********