« Éducation des adultes : de nouvelles solidarités pour un défi planétaire » Retour sur la conférence publique du CDÉACF du 27 mars
par Sophie Ambrosi *
De retour de Nairobi où ils avaient assisté en janvier dernier à une série de rencontres internationales sur l’éducation des adultes, la conférencière et les conférenciers ont abordé une diversité de thèmes qui ont permis de brosser un portrait éclairant de la situation de l’éducation des adultes en Afrique et plus particulièrement au Kenya, pays hôte de ces rencontres. Cette conférence nous a également permis de saisir l’importance des forums mondiaux pour élaborer un langage commun, comparer les écarts entre les pays du nord et du sud et concerter nos actions dans le domaine de l’éducation des adultes.
En guise d’introduction, Monsieur Robert Martin, président du Mouvement québécois des adultes en formation (MQAF), a présenté le projet de son association d’implanter un réseau international pour les étudiantes et les étudiants adultes. Monsieur Denis Sylvain, vice-président du MQAF, a fait part de la contribution des femmes en éducation des adultes et surtout de la situation des adultes au niveau universitaire en Afrique. Madame Dominique Ollivier, directrice générale de l’Institut canadien de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA) avait préparé une communication sur le thème de l’éducation à la citoyenneté. Enfin, Monsieur Daniel Baril, chargé de projet aux politiques en éducation des adultes du même organisme (ICÉA) a clôt la rencontre en expliquant les tenants et aboutissants de l’assemblée mondiale du CIEA et en nous parlant de l'implication de l’ICÉA sur la scène internationale.
Le succès de cette conférence tient de la richesse des présentations des conférenciers et de la conférencière qui ont su marier à leurs analyses critiques des rencontres de Nairobi, des témoignages plus personnels sur leurs expériences au Kenya et leurs visions de l’éducation des adultes. Le dynamisme de l’auditoire et, notamment, les quelques interventions de Rosalie Ndejuru, directrice du CDÉACF, ont également donné lieu à des échanges captivants sur les enjeux et les solutions possibles pour favoriser l’accès universel à l’éducation.
Des regroupements et initiatives internationales pour de meilleures interventions locales
Glissons d’abord un mot sur les rencontres de Nairobi auxquels ont assisté les panélistes de cette conférence. C’est dans la même ville et en prélude au Forum social mondial 2007 que le Conseil international pour l’éducation des adultes (CIEA) a choisi d’organiser sa 7e assemblée mondiale du 17 au 19 janvier dernier. Le choix Nairobi et de ces dates visait non seulement à démontrer la solidarité du CIEA avec d’autres mouvements sociaux œuvrant pour le changement, mais aussi à faire valoir l’importance stratégique de l’éducation pour la création d’un «autre monde possible».Il faut savoir que le Conseil international pour l’éducation des adultes (CIEA) a été créé en 1973 et qu’il représente la majorité des organisations nationales et régionales vouées à l’éducation des adultes. Quant à la Pan African Association for Literacy and Adult Education (PAALAE), qui tenait elle aussi son assemblée au même moment que le CIEA, elle est la branche africaine du CIEA depuis 1984.1
Ces rassemblements internationaux de la société civile sont non seulement des espaces de partage et de réseautage importants, mais aussi des espaces d’analyse et de préparation qui donnent l’occasion de proposer des moyens concrets pour contribuer à la promotion de l'éducation des adultes ou au changement social dans le cas du FSM. Le fruit des échanges des participants et participantes à ces événements se retrouve notamment dans les déclarations finales ou les plans d’action. Comme l’expliquait M. Daniel Baril, il s’agit d’outils de travail qui permettent aux pays et aux régions qui s’engagent à «faire vivre» les objectifs de ces déclarations, de poursuivre au niveau local les actions et les luttes nécessaires l’atteinte de ceux-ci.
C’est d’ailleurs lors de la dernière CONFINTEA2, tenue à Hambourg en 1997, que le projet d’organiser une semaine des adultes en formation, inauguré par la Grande-Bretagne un an plus tôt, avait été mis sur la liste des initiatives communes. L’événement se déroule aujourd’hui dans plus de 40 nations différentes, dont au Québec.
Quelques enjeux et défis de l’éducation des adultes en Afrique
« Le Kenya et l’Afrique dans son ensemble, souffrent d’un manque critique de formation » affirmait d’emblée Denis Sylvain lors de sa présentation. Une enquête publiée le 5 avril dernier vient appuyer en chiffres la perception du conférencier : au Kenya, 40 % de la population âgée de plus de 15 ans est analphabète. D’après cette étude 3, ce sont près de huit millions d’adultes kenyans qui ne possèdent pas les compétences de base en lecture et en écriture. Les femmes, dont le rôle d’ « agentes d’éducation» a été reconnu comme primordial par l’ensemble des panélistes, composent 60 % des adultes analphabètes.L’absence de matériel et d’infrastructures adéquates expliquent en partie les carences d’offres de formation de base, soulève M. Sylvain. L’autre défi identifié par le conférencier est celui d’avoir à convaincre la population de l’importance de savoir lire et écrire. Un défi magistral auquel a fait écho Mme Dominique Ollivier en parlant de l’éducation pour l’implication citoyenne : « Comment intéresser des gens qui ont des priorités plus vitales et immédiates que celles d’apprendre et de s’impliquer dans leurs communautés à être citoyens et citoyennes? ». Leur non implication peut découler aussi du fait qu’ils sont nombreux à ignorer leurs droits et à ne pas se sentir compétents pour intervenir dans les affaires municipales.
Si l’éducation de base est peu ou pas accessible, les études universitaires sont d’accès encore plus limité pour les adultes, étant généralement réservées aux mieux nanti(e)s qui ont suivi un cursus scolaire « normal ». La situation financière difficile de ces institutions génère aussi le problème capital de l’exode des cerveaux. En effet, Denis Sylvain a expliqué que les universités africaines sont souvent obligées de sous-contracter des universités internationales, principalement européennes, pour offrir plusieurs programmes qu’elles ne peuvent dispenser. Ceci fait en sorte que les élèves sont formé(e)s à l’européenne ou à l’occidentale et que les formations qu’ils et elles suivent ne sont pas adaptées à leur réalité et ne traitent pas des problématiques de leurs propres pays. Cette situation combinée au fait que plusieurs des meilleur(e)s universitaires africains vont effectuer leurs études à l’étranger, expliquent aussi que les élèves choisissent de s’installer en Occident plutôt que de rester ou de revenir dans leur pays d’origine pour contribuer au développement de leurs sociétés et s’impliquer dans leurs communautés.
Comme le soulignait Rosalie Ndejuru suite à la présentation de M. Sylvain, cette situation démontre bien que l’Afrique est encore et toujours sous le joug de l’impérialisme occidental.
Selon le conférencier, une solution serait de contribuer à faire en sorte de « redonner la fierté et l’estime de soi aux Africains et aux Africaines » afin de faire naître un sentiment collectif de fierté d’appartenance au continent africain, au-delà des barrières culturelles et linguistiques. Ceci permettrait l’émancipation du continent, notamment au plan de l’éducation. Mais il faut encore, selon Madame Ndejuru, qu’il y ait plus d’espace de création et de réalisation pour les Africains et Africaines scolarisées dans leurs propres pays.
Selon une des participantes à la conférence, une responsabilité occidentale pour contrer ce phénomène d’exode de cerveaux serait d’offrir aux élèves étrangers qui poursuivent leurs études universitaires ici, un support et un encadrement pour les aider à trouver un travail dans leur pays d’origine une fois leurs études terminées. Plus largement, l’Afrique doit se libérer de l’impérialisme occidental et c’est à la société civile que revient le rôle de chien de garde pour préserver les pays africains du pillage occidental.
Quelles solutions solidaires? quelles responsabilités communes?
Comme le notait Robert Martin, dont l’organisme étudie la possibilité d’implanter un réseau international d’adultes en formation, les universitaires adultes kenyans «sont loin de former des associations étudiantes comme on a ici ». En effet, les ressources financières limitées et les modes de communications sont déficitaires par rapport aux nôtres : l’accès aux technologies qui permettent ici de consolider nos réseaux est là-bas limité et coûteux. Le MQAF envisage tout de même de développer ce projet international d’entraide pour les adultes en formation en tenant compte de ces contraintes. Ce projet mettrait à la disposition de tous et toutes un journal, un centre de documentation et un « marché libre » où il serait possible de s’échanger du matériel pédagogique et des méthodes et stratégies pour apprendre.
L’idée de générer des jumelages transnationaux entre organisations et associations qui permettraient de bâtir et de consolider des réseaux d’échange de pratiques et de documents est à poursuivre selon l’ensemble des panélistes. De même que le développement accru d’un soutien financier par les pays les plus riches à des initiatives locales dans les pays les plus pauvres. M. Sylvain rapportait les propos d’une intervenante kenyane selon qui la somme de 450$ permet de subvenir à tous les besoins d’une école (incluant le matériel scolaire et les salaires des enseignant(e)s) pendant un mois. Il s’agit d’un coût dérisoire pour nous, qui fait prendre conscience, comme le dit Mme Ollivier, que « l’argent investi là-bas va très loin ».
Au plan des différences culturelles et politiques, Dominique Ollivier qui assistait à l’atelier sur l’éducation à la citoyenneté du CIEA, a été témoin de confrontations de visions très différentes de la citoyenneté : certaines plus individualistes et d’autres, notamment défendues par des ressortissants et ressortissantes de pays d’Amérique latine, qui octroient un rôle important à l’État comme créateur et promoteur d’égalité citoyenne. Dans ce contexte, on peut se demander comme Rosalie Ndejuru, comment partager une culture de la citoyenneté active? Et de cette question en découlent bien d’autres telle que comment partager des pratiques d’éducation populaires entre peuples?
L’exposé de Daniel Baril a confirmé que c’est sur la complémentarité des expériences que l’on doit miser. Le partage et la confrontation de visions et d’expertises qui nous sont données de faire lors de rencontres internationales, permettent de réalimenter nos propres réseaux nationaux et locaux avec de nouvelles pratiques. La participation à de tels réseaux est aussi l’occasion de faire valoir notre propre expérience au plan international et, surtout, de se situer les uns par rapport aux autres quant aux initiatives mises en oeuvre ou à mettre en œuvre pour défendre et promouvoir le droit et l’accès à l’éducation.
Vers la reconnaissance de l’éducation des adultes...
Comme le relevait Mme Ollivier, l’éducation des adultes est trop souvent considérée seulement comme une étape de rattrapage, alors qu’elle permet aux apprenants et apprenantes de développer un nouveau rapport à la vie de tous les jours et les encourage notamment à la pratique de leur citoyenneté. Au-delà d’un enjeu démocratique, l’ensemble des interventions ont mis en lumière le rôle majeur que joue l’éducation des adultes dans le développement économique et social en Afrique comme ailleurs dans le monde. Tous les panélistes s’entendent sur le fait que le droit à l’éducation est transversal, qu’il se situe en amont et en aval des autres droits fondamentaux : travail, citoyenneté, santé, etc. ainsi que de la justice sociale, économique et politique, de l’égalité des sexes et du développement durable.C’est pourquoi la reconnaissance de l’éducation des adultes ne doit pas seulement être le fait des institutions gouvernementales et étatiques et des institutions internationales. Nous devons également conjuguer nos efforts pour que se développe au sein des populations locales, d’ici et d’ailleurs, une culture de l’apprentissage tout au long de la vie. Le combat pour l’accès universel à l’éducation est essentiel : Il faut que tous et toutes ayons la possibilité d’apprendre, mais aussi faut-il que chacun d’entre nous, peu importe le contexte culturel, social ou économique, reconnaisse et valorise l’acquisition de connaissances. Et pour répondre à ce défi planétaire, les panélistes sont tous d’avis que les solutions, qu’elles soient locales ou internationales, se doivent d’être solidaires.
Liens et documents connexes
- Enregistrement audio de la conférence (bientôt disponible)
- Programme de la conférence – qui contient le profil des conférenciers et des événements auxquels ils ont participé ainsi que quelques références bibliographiques.
- Proposition pour l’action – Le droit à l’éducation (FSM 2007) sur le site du CIEA
- Communiqué de presse de la conférence du CDÉACF
* Sophie Ambrosi Agente de développement en éducation et formation des adultes au CDÉACF
1Pour plus de détails sur ces organismes, référez-vous au programme de la conférence
2La CONFINTEA ou Conférence internationale sur l’Éducation des Adultes est organisée tous les 12 ans par l’UNESCO depuis 1949. La CONFINTEA V qui avait lieu à Hambourg en Allemagne en 1997, s’est distinguée des précédentes par l’inclusion de la société civile aux débats. Elle a donné lieu à l’adoption d’une déclaration sur le droit à l’éducation et au plan d’action l’Agenda pour le futur.
3L'Enquête Nationale du Kenya sur l'Alphabétisation des adultes a été commandée par le gouvernement et menée de juin à août 2006. Les documents relatifs à cette étude sont disponibles en anglais sur le site du Bureau de l'UNESCO à Nairobi. On peut lire un article sur le sujet sur le site de Jeune Afrique.