Du droit à l’éducation à une culture de l’apprentissage au Québec

Du droit à l’éducation à une culture de l’apprentissage au Québec

par Julie Leclair, Responsable du développement des collections au CDÉACF

Bernard Vallée, Daniel Baril, Dominique Malchelosse, Louise Crépeau

Du 23 au 26 août dernier s’est tenu à l’UQÀM le premier Forum social québécois, un événement réunissant 5000 militantes et militants de divers horizons. Pour cette occasion, le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDÉACF) et l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICEA) ont organisé un atelier portant sur le droit à l’éducation et la diversité des formes et des lieux d'apprentissage au Québec.

Sophie Ambrosi, agente de développement en éducation et formation des adultes au CDÉACF, a d’abord présenté le CDÉACF et l'ICÉA comme deux organismes qui participent à valoriser et à promouvoir le droit à l'éducation au Québec. Rappelons qu'au Québec, 1 million et demi de gens âgés de 25 ans et plus n’ont pas de diplôme d’études secondaires et la moitié d’entre eux n’atteint même pas le niveau de littératie le plus bas.

Daniel Baril, chargé de projets aux politiques en éducation des adultes à l’ICÉA, a ensuite présenté le cadre juridique et politique de l’éducation des adultes au Québec et quelques enjeux. Plusieurs lois dont les lois sur l’instruction publique, sur la formation de la main d’œuvre, sur l’aide financière aux études et des politiques en matière d’éducation, de formation de la main d’œuvre, de culture ou d’immigration assurent aux adultes le droit et l’accès à l’éducation. La plus importante de ces politiques est celle sur l’éducation des adultes et la formation continue, qui date de 2002. Or, cette politique et le plan d’action qui l’accompagne couvrent seulement deux volets de l’éducation des adultes, soit la formation de base et la formation de la main d’œuvre. Beaucoup de domaines de l’éducation ne sont donc pas officiellement reconnus, notamment l’éducation populaire et l’éducation à la citoyenneté. Il existe portant une diversité de formes et de lieux d’apprentissage et de formation et les panélistes invités ont présenté quelques-unes unes de ces initiatives dans les domaines de l’éducation à la citoyenneté, de la culture, de la formation de la main d’œuvre et du mouvement étudiant des adultes.

Voir la ville autrement…

Le Collectif d’animation urbaine L’Autre Montréal intervient dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté, en dehors des sentiers formels de l’éducation des adultes. Il vise à donner aux gens le goût de s’impliquer dans des actions de mobilisation sociale tout en développant leurs aptitudes critiques et créatives. À travers des circuits touristiques commentés, parcourus à pied ou en autobus scolaire, cet organisme de formation vise à sensibiliser les participantes et participants à des enjeux sociaux et urbains du présent et du passé. Les circuits traitent de thèmes variés comme l’éducation dans la ville, l’histoire de la folie, le logement social, l’apport des femmes ou encore de l’histoire du livre et de l’imprimerie et permettent de poser un regard historique tout en expliquant des phénomènes sociaux à travers les valeurs de l'éducation populaire, en marge du discours dominant. Bernard Vallée, formateur et coordonnateur de L’Autre Montréal, a expliqué comment la pédagogie d’immersion, c’est-à-dire le fait de se rendre sur les lieux, permet d’établir des liens entre différents domaines de connaissance : la sociologie, l’histoire, l’urbanisme, etc. Les visites organisées par L’Autre Montréal sont accessibles autant aux groupes populaires d’alphabétisation qu’aux étudiantes et étudiants de deuxième cycle universitaire qu’au grand public.

La bibliothèque publique dans la ville

Dominique Malchelosse et Bernard ValléeDominique Malchelosse, agente de médiation-animation-formation pour le projet Alpha-biblio, a présenté la bibliothèque publique comme un acteur incontournable de l’apprentissage tout au long de la vie. Les personnes peu alphabétisées fréquentent peu les bibliothèques, car plusieurs obstacles les en empêchent. D’abord, pour ces personnes, lire « c’est difficile ». La bibliothèque est perçue comme un club privé dont il faut être membre, ou encore, comme une école, c’est-à-dire un lieu ennuyant pour eux qui ont vécu des échecs scolaires. Pourtant, la bibliothèque a beaucoup à offrir : des collections variées, des services gratuits, du personnel qualifié à l’écoute, des programmes et des activités pour tous les goûts. Par exemple, les collections renferment des ouvrages destinés aux immigrantes et immigrants pour les soutenir dans leur démarche de francisation, des manuels scolaires de différents niveaux pour les adultes qui retournent aux études, des ouvrages utiles pour la recherche d’emploi ou pour l’apprentissage d’une langue. L’accès à Internet, aux didacticiels, à la formation (initiation à Internet) comptent parmi les services offerts dans les bibliothèques publiques. Comme l'a bien expliqué Mme Malchelosse, la bibliothèque publique est un lieu au cœur de la vie communautaire capable de rejoindre plusieurs générations et différentes cultures. À proximité des citoyennes et citoyens, elle est accessible en tout temps et gratuitement.

C’est dans cette optique que le projet Alpha-biblio vise à amener les organismes d’alphabétisation et les bibliothèques publiques à élaborer ensemble des activités communes, à répertorier celles-ci dans une base de données et à offrir un programme de formation adapté. Ce projet est coordonné par le CDÉACF et la bibliothèque de la Ville de Montréal, deux organismes ayant démontré une expertise certaine auprès des personnes analphabètes, le premier en offrant unservice de minibibliothèques à travers le Québec, et la deuxième par le biais de la Collection pour tous.

Fonder l’avenir sur des base solides

La mission de l’organisme Formation de base pour le développement de la main-d’œuvre (FBDM) est de développer les compétences de base des personnes en emploi, des personnes sans emploi ou en démarche d’insertion en emploi. La directrice générale, Louise Crépeau, a présenté des travailleurs-types ayant besoin de développer leurs compétences de base. Par exemple, Line, 32 ans, 3 enfants, qui a un secondaire 3, travaille depuis l’âge de 16 ans dans une manufacture de vêtements qui fermera bientôt ses portes. Elle aimerait retourner à l’école et apprendre un métier mais elle a d’abord besoin de rafraîchir ses compétences de base en français et en mathématiques. Ou encore Claude, 48 ans, qui travaille depuis 33 ans dans une entreprise de fabrication de meubles. Il aimerait être inspecteur, mais il éprouve beaucoup de difficultés à lire et à écrire. Les cours d’alphabétisation pourraient l’aider à améliorer ses compétences et à obtenir cet emploi convoité.

Vous connaissez peut-être des gens comme eux car plusieurs sont actifs sur le marché du travail. C’est d’ailleurs d’abord les entreprises et les syndicats que FBDM doit convaincre de mettre en place de la formation. Car c’est pendant que les gens sont encore en emploi qu’il faut travailler à l’expression de la demande et non une fois que l’usine a fermé ses portes et que les gens sont au chômage, alors que leur estime de soi est probablement au plus bas, explique Louise Crépeau. Acquérir ou rafraîchir ses compétences de base accroît la confiance en soi, la confiance dans la capacité d’apprendre et les possibilités de mobilité d’emploi.

Louise Crépeau et Robert Martin Les associations étudiantes d’adultes : une voix nécessaire

Robert Martin, président du Mouvement québécois des adultes en formation (MQAF), a présenté l’histoire du mouvement étudiant adulte, étroitement liée à la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants. Adoptée au début des années 80, cette loi octroi des droits importants dont le droit de cotisation à la source, le droit de désigner ses représentantes et représentants et le droit d’affichage. Les premières associations étudiantes pour les adultes ont été créées dans les années 80 dans les facultés universitaires d’éducation permanente pour dénoncer la non-disponibilitéé des services universitaires en soirée, la mauvaise qualité et le peu de pertinence de certains programmes, les méthodes pédagogiques mal adaptées aux adultes, etc. Aujourd’hui, les associations accréditées d’étudiants et étudiantes adultes existent seulement à l’université. Il n’y en pas au collégial et il ne peut y en avoir au secondaire, qui n’est pas assujetti à la loi.

Au début des années 90 est créé la Fédération des associations étudiantes universitaires québécoises en éducation permanente (FAEUQEP) qui regroupe aujourd'hui quatre associations et représente environ 20 000 membres. Au cours du deuxième colloque de la Fédération organisé dans le cadre de la Semaine québécoise des adultes en formation en 2005, les participants et participantes issu(e)s du secondaire général, du secondaire professionnel, du cégep et de l’université expriment le souhait de créer un organisme permanent d’étudiants adultes : le Mouvement québécois des adultes en formation est né.

D’après les témoignages recueillis lors des colloques, il semble que moins on est scolarisé, plus les difficultés sont importantes. M. Martin a présenté les trois revendications fondamentales du MQAF, à savoir la reconnaissance du droit à la formation de base (équivalent au secondaire 5) avec soutien financier, l’amendement de la loi sur l’accréditation et le financement des associations qui devrait inclure aussi les adultes en formation professionnelle et en formation de base et la création d’une ligne d’aide et de références pour les adultes qui éprouvent des difficultés liées à leur parcours de formation. Pour appuyer ces revendications, le MQAF mène présentement une campagne de cartes postales électronique.

Vers une culture de l'apprentissage au Québec?

Le droit à l'éducation est assuré par des lois et des politiques, mais c'est insuffisant pour développer une véritable culture de l'apprentissage. Selon les personnes invitées à intervenir lors de cet atelier, il faut aussi travailler à éveiller le sens critique des adultes pour participer à la société, lever les obstacles qui les empêchent de fréquenter la bibliothèque publique, travailler à l'expression de la demande pour de la formation de base, et enfin faire entendre la voix de tous les adultes en formation, surtout celle des adultes en formation de base. Plusieurs événements à venir risquent de chambouler le vaste domaine de l'éducation et de la formation des adultes au Québec. D'abord, la politique québécoise sur l’éducation et la formation des adultes, présentement dans une phase de renouvellement, aboutira à un nouveau plan d'action qui devrait couvrir la période de 2008 à 2013. Aussi, en 2008, des forums québécois et canadiens seront organisés afin de préparer la sixième conférence internationale sur l’éducation des adultes (CONFINTEA) qui aura lieu en 2009, au Brésil. Espérons que ces événements contribueront à faire en sorte que les formes et les lieux d'apprentissage et de formation soient non seulement plus accessibles aux adultes, mais également valorisés socialement en plus d’être reconnus et soutenus par les instances gouvernementales.

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