Autonomiser les femmes pour accélérer l'alphabétisation et améliorer la santé

Autonomiser les femmes pour accélérer l'alphabétisation et améliorer la santé

La pauvreté, le maintien des femmes dans un état de dépendance et l’absence de volonté politique scellent l’alliance entre analphabétisme et mauvaise santé.

C’est ce qu’a expliqué le Père Michael J. Kelly, militant de la lutte contre le sida à l’échelle internationale, lors d’une table ronde organisée le lundi 8 septembre à l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation proclamée par l’UNESCO.

Brandissant un bulletin d’inscription compliqué, détaché d’une page de journal, pour illustrer les problèmes auxquels se heurtent les analphabètes, il a déclaré : « pour lire cela, il ne suffit pas d’être alphabétisé, il faut être diplômé ».

Le Sous-Directeur général de l’UNESCO pour l’éducation, Nicholas Burnett, a ouvert la table ronde en disant que la Journée internationale de l’alphabétisation était à la fois une journée de célébrations et un jour de deuil. Étaient également présents les quatre lauréats des prix internationaux d’alphabétisation 2008 dont les programmes novateurs ainsi récompensés apportent la preuve que l’alphabétisation peut changer les comportements et améliorer la santé.

M. Burnett a attiré l’attention sur le lien entre santé et alphabétisation en donnant quelques chiffres : dans le monde, 10 millions d’enfants continuent de mourir avant l’âge de cinq ans de maladies pour lesquelles une prévention existe. La plupart d’entre eux sont issus de milieux défavorisés où les taux d’alphabétisme sont les plus faibles et où il est peu vraisemblable qu’une maladie grave sera traitée ; 774 millions de personnes - chiffre vertigineux - soit un adulte sur cinq, ne savent pas lire un panneau de signalisation, un plan, un bulletin de vote ou le mode d’administration d’un médicament sur un flacon.

Tout porte à croire que l’alphabétisme se traduit par une utilisation accrue des services de santé. Des études montrent, par exemple, que les femmes ayant suivi un enseignement secondaire ont cinq fois plus de chances d’avoir des connaissances sur le VIH et le sida. Les enfants dont la mère a reçu une instruction ont plus de chances de survivre : une étude réalisée à Bogota (Colombie) montre que les enfants dont la mère n’a pas suivi d’enseignement primaire ont 40 fois plus de chances de mourir que ceux dont la mère a suivi un enseignement secondaire.

L’initiative EDUSIDA conduite par l’UNESCO joue un rôle notable dans la prévention du VIH et du sida et contribue à protéger le système éducatif contre les effets de la maladie. Pour autant, le lien entre santé et alphabétisation est trop souvent méconnu. Si la tendance actuelle se poursuit, les Objectifs du Millénaire pour le développement relatifs à la santé et à l’éducation ne seront pas atteints.

Le Père Michael J. Kelly, qui est professeur émérite de sciences de l’éducation à l’Université de Zambie, a dit que la situation du VIH et du sida en Zambie illustrait de façon douloureuse l’existence de ce lien. Le pays connaissait une augmentation inquiétante de l’analphabétisme accompagnée d’une sérieuse aggravation dans certains indicateurs du VIH comme les connaissances sur la protection et l’activité sexuelle chez les moins de 15 ans.

Il a souligné que la dépendance des femmes à l’égard des hommes, ces derniers étant ceux qui prennent les décisions en matière de sexualité, d’économie et de vie domestique, était aggravée par leur inaptitude à lire et à écrire, qui les rendait vulnérables à la maladie. Quant à l’accès au traitement, l’analphabétisme le rendait difficile, voire impossible.
« Comment un analphabète peut-il s’inscrire pour bénéficier d’un traitement, lire des instructions, signer un formulaire de consentement pour la prise de médicaments et noter des rendez-vous ? » a-t-il demandé.

Même lorsqu’un patient bénéficie d’une thérapie antirétrovirale, une bonne nutrition est essentielle. Mais là encore, l’aptitude à conserver un bon état nutritionnel est généralement moins développée dans les couches pauvres de la population où le taux d’analphabétisme est le plus élevé. Il a expliqué qu’on ne pouvait pas laisser les organisations locales prendre tout en charge et que les pouvoirs publics avaient l’obligation de créer les conditions juridiques, financières et administratives nécessaires au développement des programmes d’alphabétisation.

Michel Sidibe, sous-secrétaire général à l’ONUSIDA, a déclaré que l’alphabétisme était une compétence cruciale compte tenu de l’évolution rapide de la situation en matière de VIH et de sida. Les gens ont besoin de savoir ce qu’est le virus, comment il se transmet et quels sont les traitements disponibles - autant de choses qui exigent d’être alphabétisé. « L’alphabétisme permet aux personnes touchées par le VIH et le sida de participer activement aux débats qui concernent leur vie », a déclaré M. Sidibe.

Il a également insisté sur les liens qui existent entre le VIH et l'éducation. Ainsi, une étude menée dans des zones rurales d’Afrique du Sud a fait apparaître que chaque année supplémentaire d'éducation réduisait de 7 % le risque d’infection par le VIH et le sida.

M. Sidibe a particulièrement attiré l’attention sur les besoins spéciaux des enfants en la matière. Dans le monde, près de 12 millions d’enfants sont devenus orphelins à cause du VIH et du sida. Un grand nombre d’entre eux sont pris en charge par des grands-parents âgés ayant un faible niveau d'alphabétisme.

« Cela donne l’image tragique de l’aveugle qui conduit un autre aveugle » a déclaré M. Sidibe. « Si nous n’agissons pas rapidement dans le domaine de l’alphabétisation, nous ne serons pas en mesure de réaliser l’accès universel, ni l’OMD correspondant ».

Selon lui, l’interface entre le fournisseur de services et la communauté n’est pas encore en place et les populations manquent, au quotidien, d’informations sur la prévention, mais l'éducation peut améliorer cette situation.

« La santé peut contribuer à l'éducation et l'éducation peut contribuer à la santé », a déclaré le docteur Hiroki Nakatani, sous-directeur général pour le VIH/sida, la tuberculose, le paludisme et les maladies tropicales négligées à l'Organisation mondiale de la santé. Selon lui, la formation des femmes et des communautés au filtrage de l’eau a été une immense victoire. Sur 20 ans, en effet, le nombre de cas de maladies causées par les parasites aquatiques est passé d’un milliard à 10 000. « Cela montre le pouvoir de l'éducation pour soutenir la lutte contre les maladies ». Citant divers exemples, il a montré comment les traitements du paludisme et la vermifugation avaient eu pour effet d’accroître la fréquentation scolaire et le développement cognitif.

Les écoles peuvent être un lieu où se préparent des évolutions et les enfants peuvent être une motivation qui pousse leurs parents à apprendre. Mehnaz Aziz, directrice du Children’s Global Network au Pakistan, a exposé le fonctionnement de son programme : des mères analphabètes viennent à l’école, où elles acquièrent les notions de base en lecture, écriture et calcul et sont sensibilisées à des questions qui ont une incidence sur leur vie, comme la vaccination et l’hygiène. « Ces femmes deviennent ensuite des acteurs du changement au sein de leur communauté et dirigent des centres d'éducation de la petite enfance », a-t-elle déclaré. « Les mères jouent un rôle central dans les décisions prises au sein du foyer, en particulier pour ce qui concerne le bien-être de leurs enfants ». Elle a fait observer que, dans plusieurs régions de son pays où les travailleurs sanitaires ont difficilement accès aux foyers et aux mères, de nouveaux cas de poliomyélite ont été signalés.

Pour conclure cette manifestation, M. Burnett a déclaré : « Nous ne devons pas trahir les attentes de ces adultes - un homme sur cinq et une femme sur quatre - et, si c’était le cas, ce ne serait pas seulement sur le plan sanitaire, mais également sur ceux du développement et de l’autonomisation ».


Source: http://portal.unesco.org/education/fr/ev.php-URL_ID=57814&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html