« Faire signer aux immigrants une déclaration sur les valeurs du Québec ? » - Lettre ouverte au Premier ministre du Québec, Monsieur Jean Charest

« Faire signer aux immigrants une déclaration sur les valeurs du Québec ? » - Lettre ouverte au Premier ministre du Québec, Monsieur Jean Charest

Montréal, le 20 novembre 2008
Faire signer aux immigrants une déclaration sur les valeurs du Québec ? Lettre ouverte au Premier ministre du Québec, Monsieur Jean Charest
Pourquoi il faut s'opposer à l'idée d'obliger les nouveaux immigrants à signer un acte d'engagement sur les valeurs communes québécoises. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI*) s'oppose à la mesure annoncée le 29 octobre dernier ayant pour but d'obliger les nouveaux immigrants à signer une déclaration sur les valeurs communes du Québec avant d'être autorisés à s'établir dans notre province. Le problème ne se situe pas dans les valeurs énoncées, mais plutôt dans le fait qu'on doute que certains immigrants les comprennent et y adhérent naturellement et de plein gré sans qu'on leur fasse signer une promesse. En voulant obliger les nouveaux immigrants à signer un engagement solennel sur le respect des valeurs communes de la société québécoise, le gouvernement et la société québécoise envoient un message équivoque qui nuira à l'intégration des nouveaux arrivants en les stigmatisant dès le départ comme étant des entraveurs potentiels des valeurs québécoises. Cette mesure ne fera que renforcer le clivage du « nous » et du « vous » qui divise déjà la société québécoise. Ce geste, quoique symbolique, présume qu'une personne d'une autre origine ne possède pas le bagage intellectuel ou culturel nécessaire pour comprendre le sens et la portée des « valeurs québécoises », qui sont pourtant universelles, du simple fait qu'elle provienne d'une autre culture ou d'un autre pays. Le message envoyé au nouvel arrivant ne fera qu'alimenter la confusion et le malaise auxquels le nouvel immigrant est déjà confronté face à la distorsion entre le discours et la réalité. Car la société libre et démocratique qui l'accueillera est loin d'assurer ses droits et ses intérêts, particulièrement lorsqu'il se frappera aux barrières et aux obstacles lors de son intégration au marché du travail ou qu'il devra se faire soigner sans sa carte d'assurance-maladie à laquelle il n'a pas droit les trois premiers mois. Que répondrez-vous aux questions des nouveaux arrivants ayant signé la déclaration quant à la séparation des pouvoirs politiques et religieux lorsqu'ils suivront les débats à l'Assemblée nationale avec le crucifix en toile de fond ? Et comment leur expliquerons-nous qu'ils doivent prêter serment d'allégeance, trois ans plus tard, à la Gouverneure suprême de l'Église d'Angleterre, la reine Élisabeth II, pour devenir citoyen canadien ? Force est de constater que la primauté du droit s'applique différemment selon l'origine ethnique et que le pluralisme de la société québécoise reflète une toute autre réalité dans ses institutions. Sa foi dans le respect de l'égalité homme-femme, pourtant si fondamentale et précieuse pour la société québécoise, sera ébranlée si l'immigrant tombe sur les statistiques des maisons d'hébergement de femmes victimes de violence conjugale, de l'équité salariale ou s'il survole les faits divers du Journal de Montréal. Que pensera le nouvel immigrant lorsqu'il constatera que les droits et libertés d'autrui, qu'il s'est engagé à respecter, ne reçoivent pas la réciprocité quand il fera face à l'exclusion, à la discrimination ou au racisme ? Finalement, la confusion sera à son comble lorsqu'on testera ses connaissances de la langue anglaise à sa première entrevue pour trouver du travail, qu'il n'obtiendra probablement pas s'il est monolingue francophone. Ces raisons nous laissent croire que ce projet que propose le gouvernement est un choix stratégique opportuniste en plus d'être contre-productif à l'intégration harmonieuse des nouveaux arrivants au Québec. Cette approche divise plus qu'elle ne rassemble. Elle prône le soupçon et les préjugés face à l'étranger. Nous constatons d'ailleurs que cette tentative d'intégration forcée est très mal reçue par les personnes immigrantes que nous desservons dans nos organismes. Par conséquent, nous demandons que vous abandonniez cette option qui ne fait qu'alimenter la méfiance face aux personnes immigrantes. Nous déplorons que le Québec aille vers une hiérarchisation du mérite et du respect des valeurs humaines en fonction de l'origine culturelle ou ethnique. Les organismes communautaires œuvrant auprès des personnes réfugiées et immigrantes optent plutôt pour un renforcement des mesures éducatives et de sensibilisation pour tous les citoyens et citoyennes du Québec, indépendamment de leur origine ou de leur statut afin de faire valoir et respecter les droits fondamentaux garantis par nos lois et nos chartes. Et surtout, le gouvernement devra enfin se décider à investir véritablement dans les mesures et les programmes d'intégration et de francisation. Le meilleur moyen de faire connaître les valeurs qui sont chères à la société québécoise est de créer des espaces de dialogue qui permettent aux nouveaux immigrants et aux Québécois et Québécoises de se côtoyer, de partager et de discuter. Dans un contexte où les budgets voués à l'intégration des immigrants sont insuffisants, il est déplorable de constater que le gouvernement ait choisi d'investir dans le symbolique et dans la division plutôt que dans des actions intégratrices. Anne Maire Rodrigues Hassan Hassani Coprésidents Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes *La TCRI regroupe 131 organismes œuvrant auprès et à la défense des personnes réfugiées, immigrantes et sans statut au Québec