Une femme et sa valise

Une femme et sa valise

Une femme et sa valise
 
Rima Elkouri
 

Est-il normal qu'une femme qui prend son courage à deux mains pour dénoncer une situation de violence conjugale soit punie par les autorités canadiennes pour l'avoir fait? C'est pourtant ce qui arrive à Sylvie Mendo Me Ntyam, condamnée à être expulsée du pays, loin de ses enfants, après qu'elle eut quitté l'homme qui promettait faussement de la parrainer.

Originaire du Cameroun, Sylvie est arrivée à Montréal en mai 2003. Elle est tombée amoureuse d'un homme, réfugié africain lui aussi, rencontré dans un cours d'anglais. « Il m'avait dit qu'il avait été marié et divorcé et qu'il voulait une femme avec qui vivre le reste de ses jours », m'a-t-elle raconté tout doucement.

J'ai rencontré Sylvie au centre de détention d'Immigration Canada à Laval. C'était la veille de son expulsion. L'endroit, sinistre, sous haute surveillance, est entouré de barbelés. J'y accompagnais Blandine Tongkalo, directrice de la maison d'hébergement Transit 24, où Sylvie s'était réfugiée depuis janvier, fuyant son conjoint violent. Elle était venue lui porter sa valise noire et son sac à main. C'est tout ce qui lui reste de son aventure canadienne.

Sylvie m'a raconté son histoire d'un ton monocorde. Le plan, c'était qu'ils se marient et qu'ils aient des enfants. « Sois tranquille, je vais te parrainer », lui disait-il. Il ne l'a jamais parrainée. Ils ne se sont jamais mariés. Et ils ont eu trois enfants. Deux filles et un garçon, aujourd'hui âgés de 4 ans, 3 ans et 1 an.

Avec le temps, la situation est devenue invivable. Violence, intimidation, menaces. À bout de forces, Sylvie a fini par se réfugier dans un centre pour femmes battues avec ses trois enfants. Elle a fait une dénonciation à la police, dans laquelle elle a tout raconté: les fausses promesses, l'humiliation, les insultes, la fois où il a menacé de la tuer et où il a cassé la porte de la chambre des enfants où elle s'était réfugiée, les coups qui ont suivi, les nuits passées dehors après avoir été chassée de la maison. « Un soir, il a mis mes effets personnels dehors. J'ai passé la nuit dans un abri d'autobus. J'avais très peur de lui, il me disait: « Si tu appelles la police, ils vont t'expulser au Cameroun, dans ton pays. » J'avais très peur aussi de la police. »

(...)

Elle a décidé de le quitter une fois pour toutes. Et il a fini par mettre sa menace à exécution : elle a été livrée aux autorités.

C'est ainsi que Sylvie s'est retrouvée en détention avant d'être expulsée vers les États-Unis, jeudi. Elle ne sait pas où elle ira, comment elle survivra, comment elle arrivera à revoir ses enfants, qui sont toute sa vie. Mardi, elle a tenu à les voir pour la dernière fois au centre de détention. Sa fille de 4 ans voyait bien qu'il se passait quelque chose d'anormal dans cet édifice entouré de barbelés. Elle disait: « J'ai besoin de ma maman. » Sylvie a serré ses trois petits dans ses bras. « Les mots me manquaient », m'a-t-elle dit, encore en état de choc. Les enfants pleuraient à chaudes larmes. Blandine, qui les accompagnait, pleurait aussi. « C'est un des cas les plus tristes que j'aie vus », m'a dit celle qui travaille auprès des femmes victimes de violence depuis 20 ans. « Même des agents formés pour avoir le coeur dur pleuraient. »

J'en reviens à ma question du départ.

Est-il normal qu'une femme qui prend son courage à deux mains pour dénoncer une situation de violence conjugale soit ainsi punie par les autorités canadiennes? N'y a-t-il pas un devoir de protéger les femmes aux prises avec cette violence? Cette expulsion est-elle vraiment dans l'intérêt des trois enfants arrachés à leur mère? Comment la mère pourra-t-elle honorer sa garde partagée dans une telle situation?

Dans les cas de parrainages qui ouvrent la porte à des abus, Immigration Canada tient compte de la nécessité de protéger les victimes de violence familiale. Il existe aussi des mécanismes pour protéger les immigrées qui travaillent dans l'illégalité et qui osent dénoncer les abus de leurs employeurs. Pourquoi ces mêmes mécanismes n'ont-ils pas été mis en place ici?

(...)

Pour lire l'article intégral : Cyberpresse http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/rima-elkouri/200905/03/01-852732-une-femme-et-sa-valise.php