ConStellation spécial Conditions de travail

ConStellation spécial Conditions de travail

Wow! Renversant, étonnant, actuel mais surtout, ô combien réaliste et lucide est ce 15e numéro du ConStellation! Lorsque m’est venue l’idée d’être escorte, j’aurais sans aucune hésitation donné mes plus beaux stilettos pour avoir droit à cette manne d’informations. Je parie que bientôt, je ne serai plus la seule à envier les prochaines qui se questionneront à savoir si le travail du sexe est pour elles un choix convenable, de pouvoir bénéficier de ce bijou qu’est le ConStellation spécial Conditions de travail! Par ailleurs, que l’on soit une travailleuse du sexe débutante ou senior, je suis convaincue que ce ConStellation deviendra pour nous toutes essentiel au même titre que le sont nos condoms, nos bas de nylon et notre cellulaire! Car, comme il en ressort avec éloquence des 65 entrevues et consultations réalisées pour ce numéro, la chose la plus importante lorsqu’on travaille ou envisage de le faire est d’échanger et d’entretenir des liens avec d’autres travailleuses du sexe.

En prenant l’initiative de produire un numéro exposant les sept principaux secteurs de l’industrie du sexe par l’entremise d’entrevues réalisées auprès de femmes oeuvrant dans la pornographie, le massage érotique, la prostitution de rue, la domination, la webcam, la danse érotique et le monde de l’escorte, l’équipe de Stella a fait d’une pierre deux coups. En plus de nous offrir la possibilité de partager nos connaissances et d’apprendre de celles de nos consoeurs, ce numéro devient par la même occasion un portrait fidèle de l’industrie du sexe et ce qu’implique d’y travailler aujourd’hui, du moins en Amérique du Nord.

Toutefois, que l’on se trouve dans un appartement de Villeray, devant une webcam à Chicago ou dans un « Beer Bar » de Chiang Mai, nos conditions et méthodes de travail sont sensiblement les mêmes. Nous travaillons de plus en plus en tant qu’indépendantes, nous utilisons les mêmes outils de travail, notamment l’internet, nous avons le même langage codifié pour négocier les modalités de nos rendez-vous avec nos clients locaux et étrangers et nous sommes presque universellement soumises à travailler sous des législations défavorables à notre sécurité et à notre dignité. Phénomène tout autant contemporain, nous ne sommes plus les seules à échanger et à s’organiser en regard de notre expérience dans l’industrie du sexe. Les bénéficiaires de nos services, nos clients, partagent maintenant à leur tour via des réseaux virtuels communément appelés les « sites de reviews ». Les travailleuses de tous les secteurs de l’industrie doivent maintenant jongler avec cette nouvelle réalité qui, bien que pouvant nous être bénéfique, peut aussi nous être nuisible et il est primordial d’en être conscientes comme en témoignent plusieurs articles du magazine.

Sans vouloir remettre en question qu’il existe des situations d’abus qu’il faut dénoncer, il devient de plus en plus flagrant que l’analyse que font les abolitionnistes du trafic des femmes et de la prostitution est soutenue par un manque de rigueur et d’éthique intellectuelles dont découle un discours ne correspondant pas à la réalité. Les chiffres et les énoncés affolants provenant de leurs publications et des stipulations, entre autres, des administrations Bush, sont maintenant ouvertement critiqués par des ONG internationales telle l’UNESCO et s’apparentent de plus en plus au mythe de la traite des blanches du début du XXe siècle. Au Canada, les investissements majeurs dans des campagnes de prévention du trafic des femmes et dans des formations offertes à des milliers de membres des corps policiers n’ont pas permis de démontrer qu’il existe réellement un trafic de l’ampleur que le décrivent les abolitionnistes. Les policiers cherchent toujours les milliers d’Asiatiques et de Russes présumées forcées de se prostituer dans des sous-sols canadiens. En fait, il n’existe qu’un cas où un homme a été accusé d’exploitation sexuelle en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Néanmoins, dans cette affaire, la Couronne n’a pas démontré qu’il s’agissait de trafic à des fins sexuelles. L’homme a plutôt été trouvé coupable d’avoir tenu une maison de débauche, d’avoir induit deux personnes à avoir des rapports sexuels illicites avec une autre personne et d’avoir sciemment organisé l’entrée au Canada de deux personnes (dont sa conjointe) non munies des documents requis par la loi. Il ne s’agissait clairement pas d’un réseau organisé. Aussi, rappelons que les 78 Asiatiques soupçonnées d’être victimes de traite des femmes qui ont été « sauvées » par une opération d’envergure et très médiatisée dans la région de Vancouver en décembre 2006 étaient en réalité des Canadiennes d’origine asiatique ayant volontairement choisi, tout comme moi, d’être travailleuses du sexe. Ces femmes ont du coup perdu leur emploi et se sont retrouvées dans les rouages du système judiciaire. À la suite de cette descente, plusieurs opérations policières ont eu lieu au Canada, dans des salons de massage, afin de démanteler des réseaux de traite d’Asiatiques mais à chaque fois, les policiers sont retournés bredouilles au poste.

De plus en plus de juristes et de législateurs s’intéressent à la Nouvelle-Zélande où le travail du sexe est décriminalisé depuis maintenant cinq ans. Les bilans officiels des services policiers, du personnel des services de santé et des associations de travailleuses du sexe se sont tous avérés positifs. Pour leur part, les appréhensions catastrophiques des groupes religieux et des abolitionnistes, dont l’arrivée massive de trafiquants de femmes, ne se sont pas concrétisées. Évidemment, tout n’est pas réglé mais les conditions de travail s’améliorent. Il faut comprendre que lorsque l’on vise un changement comportemental de cette ampleur, il faut être patient et que cela implique des efforts de part et d’autre. Les travailleuses du sexe qui connaissent de mauvaises conditions de travail doivent les dénoncer et les policiers, les employeurs ou tout autre individu directement concerné par le travail du sexe doivent aussi faire leur part. Toutes ces personnes qui pendant des siècles se méfiaient les unes des autres doivent maintenant agir ensemble dans le meilleur intérêt des travailleuses du sexe.

D’ailleurs, concernant la législation canadienne, où en sommes-nous? Les lois criminelles qui encadrent la prostitution, telles que définies dans la section La loi et tes Droits de ce ConStellation, n’interdisent pas la prostitution mais rendent sa pratique difficile. Ce n’est pas un « scoop » d’affirmer qu’elles sont inefficaces et nuisibles plutôt que favorables à notre bien-être. Cependant, le travail acharné des militantes et le courage de celles qui sont publiquement « sorties du placard » en tant que travailleuses du sexe commencent à porter fruit et faire écho chez les membres du Barreau canadien. Plus concrètement, des travailleuses du sexe et des clients tentent dans des causes distinctes de démontrer devant les tribunaux que les lois concernant la prostitution adulte ne respectent pas la Charte canadienne des droits et libertés et ce, principalement en ce qui a trait à la sécurité, l’égalité, la liberté d’expression et la liberté d’association. Quoique les prostituées de rue de Vancouver qui ont créé le groupe SWUAV (composé de travailleuses du sexe et ex-travailleuses du sexe) afin de contester anonymement ces lois viennent à peine d’essuyer un échec à cet égard devant la Cour supérieure de Colombie-Britannique, il est inévitable que ces lois soient débattues sous peu devant les tribunaux. En effet, dans ce jugement, le juge ne nie pas la légitimité de débattre ces lois. Ce que le juge n’a pas reconnu concerne plutôt des questions de procédures que de fond. Il appuie son point de vue sur des critères développés par la Cour suprême du Canada qui servent à déterminer qui a la capacité juridique de contester des lois en regard de la Charte. En bref, il croit que SWUAV ne peut agir en tant que plaignant car des travailleuses du sexe de Toronto ont également entamé des procédures légales sur sensiblement les mêmes questions mais en leur propre nom. Il considère que ces dernières répondent davantage aux critères de la Cour suprême car elles ne se cachent pas sous le couvert de l’anonymat et elles agissent en tant qu’individus concernés directement par la question. Nous saurons dans les prochains mois si la Cour supérieure de l’Ontario décide de les entendre ou pas. Toutefois, il est important de comprendre que même si la magistrature reconnaît que ces lois ne respectent pas la Charte et qu’elles doivent être abrogées, il reviendra au gouvernement alors en place de créer de nouvelles lois. Pour que ces nouvelles lois soient à notre avantage, nous devrons, comme l’ont fait les femmes de la Nouvelle-Zélande, convaincre le législateur d’impliquer les travailleuses du sexe dans leur élaboration. Soyez assurées que l’équipe de Stella suivra ce dossier avec intérêt!

Au Québec, les pratiques policières à l’égard des prostituées n’ont guère changé. Néanmoins, félicitons-nous! Après des années de militantisme, les policiers prennent finalement au sérieux les plaintes provenant de prostituées de rue ayant été agressées. L’équipe terrain de Stella accompagne présentement des victimes d’agressions dans leurs démarches devant les tribunaux. Si, par malchance, vous êtes ou avez été victimes d’un incident malheureux, je vous invite fortement à communiquer avec Stella et ce, même si vous ne désirez pas porter plainte, car l’expertise et l’écoute attentive et sans jugement des membres de l’équipe ne pourront que vous être bénéfiques.

Revenons maintenant à ce merveilleux ConStellation. En plus de la richesse des témoignages qu’on y trouve, nos consoeurs y partagent de précieux conseils sur la santé au travail, entre autres à propos du VIH-Sida et des ITS, mais aussi à propos de certains sujets sur lesquels on s’attarde moins souvent, dont la prévention des vaginites à répétition, les tendinites et le « burn-out ». Mais ce que j’y trouve de particulièrement frappant et exceptionnel, en plus d’être essentiel par les temps qui courent, est la quantité et la qualité des conseils sur comment budgéter et évaluer de façon réaliste nos revenus. En effet, comme nous sommes payées « cash », plusieurs d’entre nous ont la fâcheuse habitude de dépenser largement sans penser aux lendemains et aux périodes de l’année qui sont moins fructueuses. Nous oublions que notre travail n’étant pas reconnu, nous ne contribuons pas à un fond de pension, que nous ne pouvons recevoir de chômage et que nous ne sommes pas protégées en cas de maladie ou de blessure au travail. Ces conseils adaptés à notre situation particulière vous éviteront bien des soucis et vous permettront peut-être un avenir mieux garni.

Finalement, au nom de l’équipe de Stella, je tiens à remercier toutes les travailleuses du sexe qui, de près ou de loin, ont accepté de partager leurs connaissances en contribuant à ce ConStellation. Je crois qu’à la lecture de ce numéro, il ne fera plus de doute dans les esprits que nous pratiquons réellement un TRAVAIL avec tout ce que cela comporte. Par la même occasion, j’en profite pour féliciter l’équipe du ConStellation pour cet ouvrage grandiose et je les remercie de m’avoir donné l’opportunité d’y participer. Encore une fois, bravo à toutes et que la lutte continue, c’est ensemble que nous y arriverons!