Être femme et immigrée: deux obstacles majeurs pour un emploi qualifié
Communiqué
De nombreuses immigrées hautement qualifiées, établies à Montréal, ne trouvent pas un travail qui correspond à leur niveau d'études, même après plusieurs années de résidence, selon une nouvelle étude de la professeure Marie-Thérèse Chicha. Cette étude, menée notamment grâce à l'appui de la Fondation canadienne des relations raciales, a pour double objectif de comprendre pourquoi certaines travailleuses immigrées réussissent à trouver un emploi qualifié alors que la majorité échoue et de mettre en lumière en quoi consiste le processus de déqualification. La déqualification, qui se mesure à divers degrés, est l'inadéquation entre qualifications et emploi occupé.
La professeure à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal présente aujourd'hui les résultats d'une enquête qualitative menée auprès de 44 immigrées montréalaises et de plusieurs personnes ressources qui travaillent auprès de la population immigrée hautement qualifiée.
Cette enquête lève le voile sur la situation précaire des travailleuses provenant de l'Amérique latine, d'Haïti, d'Afrique, d'Asie occidentale et d'Europe de l'Est. Avant leur arrivée à Montréal, toutes étaient des professionnelles détenant un diplôme universitaire dans leurs pays d'origine : psychologues, infirmières, enseignantes, comptables, économistes, ingénieures, médecins, avocates, agronomes, etc.
Toutes les femmes rencontrées parlaient français, étaient au Canada depuis plusieurs années et avaient occupé au moins un emploi à Montréal.
À la lumière des entrevues menées auprès de ces femmes, il ressort qu'en dépit d'un niveau de scolarité élevé, ces femmes occupent en majorité une position désavantageuse sur le marché du travail. Parmi les immigrées interrogées, celles qui font partie de minorités visibles sont beaucoup plus souvent déqualifiées que les autres.
D'ingénieure mécanique à livreuse de journaux
Quarante-trois pour cent des femmes interrogées sont fortement déqualifiées et leur niveau de vie est proche, sinon en dessous, du seuil de pauvreté. C'est le cas d'une ingénieure mécanique qui se retrouve livreuse de journaux ou d'une chef comptable qui surveille maintenant des écoliers durant la pause du dîner. Vingt-cinq pour cent sont moyennement déqualifiées et seulement 32 % peuvent espérer retrouver l'emploi qu'elles occupaient avant d'immigrer mais après avoir surmonté de nombreuses embûches.
Une situation-type de discrimination systémique
Ces résultats reflètent une situation de discrimination systémique où s'entrecroisent plusieurs motifs: le sexe, l'appartenance à une minorité visible et l'origine étrangère. Ces discriminations croisées imprègnent les pratiques, les comportements et les règles adoptés par des acteurs influents, notamment l'État, les entreprises, les associations professionnelles, les universités ou encore la famille immigrée.
La discrimination en milieu de travail : le plafond de béton
La discrimination en milieu de travail peut se manifester de façon très ouverte ou de façon subtile, dissimulée derrière des exigences professionnelles apparemment objectives (racisme et sexisme modernes).
Parmi les difficultés identifiées par l'enquête, notons :
- difficile reconnaissance des qualifications et des diplômes étrangers;
- refus d'embaucher quelqu'un qui parle avec un accent étranger, refus de prendre en compte l'expérience de travail acquise à l'étranger, embauche par réseaux desquels les immigrantes sont absentes;
- remarques désobligeantes dans l'exercice quotidien de l'emploi, surveillance accrue du travail effectué, doute quant à leur compétence réelle, hostilité de la clientèle;
- surreprésentation dans des emplois précaires avec de mauvaises conditions de travail, peu de formation et pas de possibilités d'avancement : télémarketing, petits commerces, nettoyage.
Ces travailleuses rencontrent aussi des obstacles souvent insurmontables en matière de conciliation travail-famille qui s'ajoutent aux difficultés de se trouver un emploi qualifié, par exemple :
- grande difficulté à trouver des places en garderie;
- horaires atypiques imposés (travail de nuit ou de fin de semaine);
- longs trajets entre le domicile et le lieu de travail.
Le diplôme québécois : un gage de réussite?
Même un diplôme acquis au Québec n'arrive pas nécessairement à améliorer le sort de ces femmes. Les résultats de cette étude illustrent ce que des recherches récentes ont observé, à savoir que l'acquisition d'un diplôme du pays d'accueil a un effet plutôt limité sur l'intégration professionnelle et le risque de déqualification.
Le paradoxe de la politique d'immigration québécoise
La situation de ces femmes apparaît paradoxale en regard de la politique d'immigration québécoise, qui privilégie les personnes immigrées hautement qualifiées. Les femmes rencontrées pour l'enquête sont hautement qualifiées, mais continuent de vivre des problèmes spécifiques : déqualification, écarts salariaux importants, grande précarité d'emploi et taux de chômage plus élevé. Selon le Conference Board du Canada (2004), les pertes attribuables à la non-reconnaissance des diplômes pour l'ensemble des travailleurs au Canada sont de l'ordre de 4,1 à 5,9 milliards de dollars, dont 74 % liés aux travailleurs immigrés.
Le mirage de l'égalité
« Le cumul de difficultés et un très fort sentiment d'impuissance à comprendre les obstacles et à les surmonter entraînent une détresse psychologique chez un grand nombre de ces immigrées à un moment de leur parcours au Québec, souligne la professeure Chicha. Alors qu'elles pensaient pouvoir se réaliser professionnellement au Québec en toute égalité, cela s'avère finalement un mirage pour la plupart d'entre elles. Bien que certaines immigrantes connaissent la réussite au Québec, plusieurs ne recommenceraient probablement pas si c'était à refaire. Cela dit, si nous examinons les données statistiques globales disponibles, nous constatons que le problème n'est pas unique au Québec, mais qu'il se retrouve ailleurs au Canada ainsi que dans d'autres pays. Cependant le Québec se distingue par les politiques proactives adoptées en faveur de l'égalité des travailleuses et il est dommage de constater que les immigrées n'ont pas encore leur juste part. »
«Cette enquête universitaire illustre clairement qu'il y a un sérieux problème d'intégration des immigrantes dans le milieu de l'emploi et qu'il est temps de réagir. Les résultats permettent de tracer des pistes d'intervention pour les divers acteurs – gouvernements, ordres professionnels, employeurs, ONGs – afin d'améliorer la situation et de parvenir à une pleine intégration, souligne M. Al-Yassini, directeur général de la Fondation canadienne des relations raciales (FCRR). Nous voulons vivre dans un pays où chacun peut trouver sa place, peut importe son sexe, sa couleur et son pays d'origine. Nous espérons que notre message sera entendu. »
La Fondation canadienne des relations raciales (FCRR) a été créée dans la cadre de l'Entente de redressement à l'égard des Canadiens japonais afin de mettre en lumière les causes et les manifestations du racisme, d'agir à titre de chef de file dans l'élimination du racisme et de toute forme de discrimination raciale, et de promouvoir des relations harmonieuses. Organisme de bienfaisance enregistré, la Fondation est dotée du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies à titre d'organisation non gouvernementale (ONG).
[Source : http://bit.ly/1qxyqr]