Le développement humain : à quoi correspond-il exactement?

Le développement humain : à quoi correspond-il exactement?

Un article de Kathambi Kinoti, de l’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID)

Qu’est-ce que le bien-être? S’agit-il de la richesse, de la santé et/ou de la participation politique individuelle ou collective? Depuis les 20 dernières années, les Nations Unies produisent un rapport annuel sur le développement humain qui vise à évaluer les progrès accomplis par les pays pour assurer la santé, la sécurité, l’engagement politique et l’égalité au profit de leurs citoyens. D’après le rapport 2010, les critères actuellement utilisés par les Nations Unies pour mesurer le bien-être sont :
  • Le progrès social : un meilleur accès à la connaissance, à la nutrition et aux services de santé.
  • La dimension économique : l’importance de la croissance économique en vue de réduire les inégalités et d’élever les niveaux de développement humain.
  • La rationalisation : en termes d’utilisation et de disponibilité des ressources. Le développement humain est favorable à la croissance et à la productivité à condition que les pauvres, les femmes et d’autres groupes marginaux puissent bénéficier directement de cette croissance.
  • L’équité : en termes de croissance économique et d’autres paramètres du développement humain.
  • La participation et la liberté : en particulier l’autonomisation, la gouvernance démocratique, l’égalité des sexes, les droits civils et politiques, et la liberté culturelle, notamment des groupes marginaux définis par des paramètres tels que le milieu (urbain ou rural), le sexe, l’âge, la religion, le groupe ethnique, les caractéristiques physiques ou mentales.
  • La pérennité : pour les générations futures en termes écologiques, économiques et sociaux.
  • La sécurité humaine : la sécurité dans la vie quotidienne, à savoir la protection contre les menaces chroniques, telles que la faim, et tout événement brutal, qu’il s’agisse de chômage, de famine ou de conflits, etc.
Le fait que le pays ayant le niveau de développement humain le plus élevé soit scandinave - la Norvège - n’a surpris personne, alors que celui qui a le plus faible niveau est le Zimbabwe. Le rapport de cette année tire également des conclusions relatives aux caractéristiques du développement humain fondées sur 20 ans d’observation. Ci-après, certaines de ces conclusions :
  • Dans la plupart des pays, mais pas tous, la santé et l’éducation ont connu une progression régulière sur le long terme au cours des récentes décennies.
  • Malgré de fortes poussées de croissance en Asie de l’est, dans la région du Pacifique et en Inde, on n’observe pas de convergence générale des revenus d’un pays à l’autre.
  • La corrélation entre les variations du revenu et les variations en matière de santé et d’éducation au cours des 40 dernières années est ténue. L’explication la plus vraisemblable est que les pays en développement font aujourd’hui face à des perspectives et des processus différents de ceux qui prévalaient jadis.
  • Cela ne signifie pas que la croissance n’a pas d’importance; la maîtrise des ressources demeure essentielle au développement des capacités. Cela signifie en revanche qu’une progression est possible en matière de santé et d’éducation alors même que la croissance ne se concrétise pas.
  • Les connaissances et les technologies ouvrent de nouvelles possibilités et de nouvelles voies et réduisent le coût des progrès élémentaires, rendant particulièrement avantageuses les politiques qui savent en tirer profit.
  • Les voies du succès sont diverses et leurs résultats varient considérablement dans des pays dont les conditions initiales étaient pourtant similaires. De nombreux pays ont fini par prospérer en accordant une place privilégiée à la santé et à l’éducation; d’autres ont tout misé sur la croissance économique, faisant payer le prix fort à leur environnement.
  • Les politiques et les réformes compatibles avec le progrès varient grandement selon les dispositifs institutionnels et dépendent des contraintes structurelles et politiques. Les tentatives pour transplanter des solutions institutionnelles et des politiques entre des pays où les conditions diffèrent se soldent souvent par des échecs.
La situation des femmes
Le rapport sur le développement humain ne ventile pas ses résultats par sexe. Cependant, il présente un nouvel indice qui adapte l’indice du développement humain en vue de tenir compte de l’inégalité entre les sexes. L’indice d’inégalité de genre mesure trois dimensions : l’autonomisation des femmes, la santé reproductive et la présence sur le marché de l’emploi. Les indicateurs de ces dimensions sont la mortalité maternelle, la fécondité chez les adolescentes, la représentation parlementaire, le niveau d’instruction et le taux de participation de la population active.

Le rapport montre que les Pays-Bas figurent au premier rang en termes d’égalité de genre, tandis que le plus éloigné de l’égalité de genre est le Yémen. Sept des dix pays qui se retrouvent en queue de liste du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sont situés en Afrique; le Burundi présente cependant une performance exceptionnellement bonne. Le rapport réaffirme ce que les défenseur-es des droits des femmes proclament depuis des décennies : les pays ayant une distribution inégale de développement humain souffrent également d’une inégalité élevée entre hommes et femmes. Le rapport réitère aussi que, de même que pour le Burundi et le Rwanda, l’argent n’est pas la principale condition à la mise en œuvre de changements durables en matière de droits des femmes. Les politiques et la volonté politique iront bien plus loin. Le Qatar, dont la croissance économique est impressionnante, enregistre de mauvais résultats lorsque l’indice d’inégalité de genre est appliqué à son niveau de développement humain.

D’après le rapport, la santé reproductive (ou l’absence de celle-ci) est le facteur qui contribue le plus à l’inégalité de genre. Si des données étaient disponibles, peut-être indiqueraient-elles que les rôles reproductifs assignés aux femmes sont en fait les grands responsables de l’inégalité. Les auteurs du rapport reconnaissent qu’il existe peu d’information sur l’impact du travail non rémunéré réalisé par les femmes sur leur bien-être, et par conséquent, ils n’abordent pas l’ampleur de ces conséquences sur les économies locales, nationales et internationales.

Leçons apprises
La Tunisie obtient une mention favorable en tant que pays dont les réformes au profit des droits des femmes ont eu un impact positif sur son développement humain. Lors de l’Indépendance, il y a plus de 50 ans, ce pays a élevé l’âge pour le mariage, introduit la planification familiale, légalisé l’avortement, permis aux femmes d’engager des procédures de divorce et leur a accordé le droit de vote et de se présenter à des élections. Les auteurs du rapport signalent que ces mesures ont eu un impact profond et durable sur le développement humain de ce pays.

Une autre mesure positive prise par ce pays fut de se centrer sur ses propres priorités à une époque où les institutions financières internationales et d’autres pouvoirs prescrivaient (ou imposaient) des réformes économiques qui se sont finalement avérées néfastes pour les économies nationales, telles que les programmes d’ajustement structurel.

Le rapport sur le développement humain de 2010 a également analysé d’autres dimensions du développement humain et conclut que :
  • Les processus formels de démocratie ont proliféré aux niveaux nationaux, si bien que la majorité des gens vivent aujourd’hui dans une société démocratique et ont la possibilité de voter aussi aux élections locales même si la démocratie n’est pas toujours gage de responsabilité.
  • Les inégalités internationales, intergroupes et interpersonnelles demeurent béantes dans toutes les dimensions du bien-être, et les disparités de revenu vont croissant.
  • Il apparaît de plus en plus clairement au travers des données disponibles que les modes actuels de production et de consommation ne sont pas soutenables pour l’environnement.
Le rapport ne va pas suffisamment loin dans l’analyse de la situation des personnes qui ne sont pas hétérosexuelles ou dont les caractéristiques échappent à la norme. Il s’efforce d’aborder les diverses dimensions de la pauvreté et de l’inégalité de genre en introduisant de nouveaux indices. Cependant, les inégalités étant au cœur du sous-développement, une plus grande importance aurait dû être accordée à ces indices.

Pour une analyse des indices d'égalité de genre, voir l’article de Masum Momaya intitulé Les indices d'égalité de genre : les chiffres ne mentent pas mais ils ne disent pas non plus toute la vérité.

[Source : AWID, 19.11.2010]