Identités-femmes et software libre

Identités-femmes et software libre

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 Identités-femmes et software libre
Jara Rocha, Frédérique Muscinesi

    Ce texte est le premier d'une série que nous espérons pouvoir mener à bien au long de plusieurs mois. Nous avons choisi pour ce faire de commencer par nos propres témoignages qui mettent en oeuvre des « identités-femmes », par notre expérience comme telles, traversées par les questions de construction identitaire notamment celles liées au sexe et au genre, auxquelles s'ajoute notre subjectivité de « chercheuses » informelles sur le genre et la technologie [1].

   Comme nous sommes deux, parlent dans ce texte deux voix tout au moins. La partie « Témoignages » n'offre aucun doute sur cette présence double et sur l'indépendance des deux identités-femmes énonciatrices. Ailleurs, l'emploi d'une expression double est la trace d'un désaccord non résolu, d'un désaccord qui n'est pas encore mûr pour être résolu, chacune de nous portant sur un concept, un mot, une expérience, ses lectures et ses doutes, l'érigeant ensuite dans l'hermétisme juste de ses propres constructions ; mais cela est loin de freiner la mise en marche de notre recherche. Nous ne cherchons surtout pas une négociation qui fera plier l'une de nous, ni un accord parfait. Au contraire, nous voulons multiplier les points de vue et reconnaissons dans la lecture de l'autre une identique légitimité. D'autant que ces désaccords sont la preuve du caractère expérimental des mots et des concepts que nous employons. Au fil de notre travail d'ailleurs, nous ne conserverons que ceux qui, après l'épreuve des pratiques – textuelles et performatives –, auront su se maintenir pertinemment.

   Ce texte se divise donc entre une part faite à la description du cadre de la recherche, une deuxième à la narration d'expériences et de sensations, et enfin une troisième où l'on formule une série d'hypothèses fondées sur une connaissance académique partielle du domaine « Genre et technologie », que la suite de la recherche, que nous proposons dans une ultime partie, viendra nuancer, contredire ou étayer.

   Nous espérons ainsi affronter la première part du problème étant nous-mêmes actrices et objets d'un travail que nous allons ouvrir dès le deuxième texte à des femmes appartenant au monde du software libre madrilène par le biais d'entretiens et d'une proposition d'association à cette recherche.

   Profitant du groupe « Género y tecnología » au sein de la plate-forme Medialab Prado, nous pourrons à la fois accéder à de multiples ressources, rencontrer des personnes proches du software libre, et faire du groupe un pôle de visibilisation de la faible présence féminine dans le software libre.

I - Description du cadre

1. Medialab Prado

   Ce centre se définit comme « un espace orienté à la production, la recherche et la diffusion de la culture numérique et de la rencontre entre art, science, technologie et société » [2].

   Medialab Prado a la particularité de réunir de façon informelle des collectifs et des personnes qui travaillent sur les thèmes de « production numérique », « corps », « Commun », dans leurs recherches ou leurs pratiques depuis des perspectives très distinctes. Les usagers de Medialab Prado constituent une communauté non formelle fidèle et active. Le format des activités est ouvert et participatif. Il n'en reste pas moins traversé par certaines tensions et relations de pouvoir mises en question dans l'espace lui-même. Les activités de Medialab Prado sont financées exclusivement par la mairie de Madrid.

2. « Género y tecnología »

   « Género y Tecnología » est un groupe de travail ouvert à la participation de tous, qui cherche à travailler en configurant un espace de liberté et d'expressions des identités. Pour cela, les sessions consistent en des échanges autour de textes à étudier, en l'invitation de personnes d'intérêt pour le groupe et en des apports de l'ensemble des membres du groupe. Son activité est retracée dans la wiki [3].

3. Relations avec le monde du libre

   Medialab Prado utilise exclusivement des systèmes opératifs libres et des softwares libres (Ubuntu, VLC a partir de Giss.tv pour la transmission en direct, Wikimedia pour la Wiki, pages Web...).

   Medialab Prado appuie le développement d'outils libres pour les projets auxquels il participe (système d'archives entre institutions culturelles SLIC).

   Plusieurs communautés de développement de softwares libres y ont été accueillies pour se réunir et travailler (Drupal, Cherokee...).

   De très nombreuses activités ont visé à diffuser l'apprentissage des softwares ou hardwares libres pour la production numérique (arduino, processing, code libre pour le Software Art libre...)

   Enfin, un nombre remarquable de productions développées durant les divers ateliers de production [4] que Medialab Prado organise a été produit avec des outils libres (software et hardware).

   C'est à l'intérieur de ce cadre que se construit de forme privilégiée notre relation avec le software libre et où il est probable que se développe une grande partie de notre travail.

II – Témoignages à la première personne

1. Frédérique
a. Utilisatrice

   Ma relation au software libre passe par une relation plus générale et active à la culture libre. Ma formation humaniste (Philosophie, Histoire, Gestion Culturelle et Sociologie) conditionne sans doute mon approche du libre : considérant le software libre comme l'un des fondements-modèles de la culture libre mais ne pouvant y contribuer activement que de façon très limitée. Utilisatrice Ubuntu, de programmes d'édition de vidéo, d'images et audio libres, je n'ai que rarement pu apporter à ces différentes communautés. En tout est pour tout je n'ai pu activement participer au forum d'Ubuntu qu'en une seule occasion [6].

b. Approche idéologique

   La culture libre en général m'est apparue comme une voie pertinente d'amélioration et de changement dès que j'en ai entendu parler pour la première fois en 2005. Or, les communautés de software libre sont l'une des représentations les plus ancrées et les plus significatives du monde du libre, puisqu'elles sont sa racine et l'un des exemples du succès fulgurant et étendu de l'auto-organisation, du travail collaboratif et horizontal et des licences libres. Le second exemple étant Wikipédia. Mon engagement dans la culture libre est donc passé par l'utilisation discursive de l'exemple des communautés de software libre.

   Associant sans distinction les différentes réalités de ces communautés avec celles, par exemple, de communautés consciemment activistes, j'ai considéré – souvent en opposition avec les propres opinions de la Communauté – que cette technologie est idéologique, impliquant en soi une possibilité d'ouverture, d'appropriation et de recréation qui vient perturber les relations traditionnelles de pouvoir à l'oeuvre dans la production de software, et de la culture en général. D'une forme plus générale, l'émergence et la réussite de ce modèle est venu ébranler l'ordre traditionnel hiérarchique et, s'il n'est pas capable de le faire ployer, il fournit néanmoins une représentation et un horizon à ceux qui désir(ai)ent sortir du schéma des relations traditionnelles de pouvoir.

   À ce titre, je considère mon usage du software libre comme une manifestation du soutien à cette technologie de liberté et d'appropriation.

   Ainsi se clôt mon expérience avec le software libre autour de ces deux pôles qui pourraient être symptomatiques des relations entre femmes et software libre et, peut-être, entre femmes et technologie : d'une part, une expérience pratique qui peut difficilement dépasser le stade d'utilisatrice, bien que dans le software libre les utilisateurs ne correspondent pas exactement à la figure du consommateur du produit fermé propriétaire, à cause d'une formation humaniste et, à l'heure actuelle, de l'absence d'un engagement réel pour apprendre à programmer par exemple ; d'autre part, une approche idéologique qui trace un pont entre « l'esprit du libre », incarné notamment par les communautés de software libre, et une situation générale de revendication dans laquelle la reconnaissance des femmes et le travail sur les genres trouve facilement sa place. L'approche idéologique serait-elle donc plus « femme » ou plus « genre » ? ou serait-elle le fait de soutiens non experts ? Cette direction pourrait être une autre piste intéressante de recherche, l'idéologie de la technologie à l'épreuve, non des pratiques, mais des identités, et en l'occurrence des identités-femmes puis « genres ».

2. Jara

   Je travaille à Medialab Prado comme médiatrice culturelle. Le fait d'habiter quotidiennement l'espace de rencontre physique de différents acteurs culturels (madrilènes et internationaux), m'oblige, depuis ce point d'observation certainement privilégié, à ne pas le négliger comme opportunité d'entreprendre une analyse telle que ce que ce texte propose, comme de constituer un groupe tel que celui de « Género y tecnología ».

   D'autre part, mais sans cesser d'être liée et de m'alimenter de mon travail au sein de Medialab Prado, je mène une recherche universitaire sur la construction d'identité dans l'interface graphique d'utilisateur (GUI). Ma participation, en termes concrets, au groupe « Genre et technologie » naît de l'intérêt pour la configuration réciproque qui opère entre artefacts culturels (entendu que le software en fait partie) et identités, notamment celles de genre.

   L'expérience du sujet dans la culture numérique, étant donnée la confluence dans l'environnement informatique, a lieu dans l'espace construit entre la machine et l'utilisateur : le software. La couche supérieure du software, avec laquelle se lie le sujet en général, est l'interface graphique utilisateur.

   Les modes de relation avec cet artefact culturel sont souvent gérés par une rhétorique proposée et créée par une corporation o une institution ; cependant, elle devrait être une expérience interactive non hiérarchisée dans laquelle l'utilisateur aurait pleines compétences instituantes et qui serait donc un « Commun ». Le jalonnement de l'expérience de l'utilisateur à une liste limitée de possibilités d'actions et/ou de relations dans et avec l'interface, gère les limites de sa capacité performative et par conséquent sa relation au monde et la construction de son identité.

   Ainsi il me semble que la transparence du code, son ouverture, est la clé pour permettre l'empowerment de ces identités qui habitent soumises à des hiérarchies socioculturelles sûrement enracinées. Le contact avec le software commence dans l'interface graphique d'utilisateur ; or, en tant que sujets symboliques c'est dans cet espace que nous configurons notre expérience ; cependant, au-delà de cette interface, je suis également intéressée par la liberté, par las parcelles de liberté que, depuis l'architecture de la programmation, il nous est permis d'habiter : quelles tailles font ces parcelles ? Dans quelle mesure sont-elles habitables ?

   C'est pourquoi ce processus d'apprentissage est un moyen (dont la méthodologie, comme je le notai antérieurement, est ouverte aux modifications), pour libérer ma part d'habitante de l'espace-software... habitante, de prime abord, au corps physique socialement interprété comme « femme », et qui quotidiennement combine l'utilisation d'outils libres et d'outils privatifs, manifestant toutes les contradictions dont notre configuration socioculturelle est porteuse.

III – La faible présence au regard des relations entre femmes et technologie : le software libre, un cas exceptionnel ? - La question du pouvoir

   Avant de commencer, il faut énoncer deux réserves théoriques qui limiteront ce travail.

   En premier lieu, un questionnement sous-jacent, celui de l'importance du pouvoir de création,    multipliée dans le cas de la technologie par sa forte valorisation actuelle. En effet, utiliser la technologie est un premier pas : c'est un savoir qui conduit partiellement à un pouvoir, celui de faire. Produire est un second pas : il correspond à un empowerment important, procure l'indépendance, accroît la liberté au sens traditionnel et masculin/hiérarchique (?) – voilà la question - du terme, la liberté rêvée comme autonomie créatrice de sa propre vie et de son environnement, ce qui rendrait maître le sujet de ses relations au monde et aux autres. Il serait stupide et sans intérêt de proposer un système « féminin » qui défendrait le monde réel des interdépendances actuelles ; d'autant que c'est paradoxalement, alors, le pouvoir de fermeture – l'ensemble du système de la production industrielle éminemment masculin – qui crée les interdépendances artificielles que le libre notamment entend défaire. Mais il est néanmoins nécessaire de réfléchir et mettre en question la nature de la création en tant que pouvoir, car il n'est pas impossible que s'y trouve une clé de la permanente faible présence féminine dans les espaces de création. Il nous faudra mettre en crise tout au long de notre travail le joug théorique de l'importance de la création et de l'indépendance comme pouvoir – accéder au code procure une série de pouvoirs assimilés à des libertés (les 4 libertés) –, tout en nous positionnant cependant et sans faille à faveur des pratiques de production ouvertes.

   La seconde limite se trouve sur le plan des pratiques : ouvrir la production ne signifie malheureusement pas que tout le monde participe à la production, mais qu'il est désormais possible de le faire – c'est déjà une immense avancée ! Entre possibles et réalités, il y a des mondes ou plutôt des séries de résistances et d'obstacles qu'il faut identifier afin de tenter de créer les dispositifs de médiation nécessaires à leur palliation. L'analyse des communautés du libre sera un exemple de plus d'un principe dont il est important de se souvenir si l'on veut faire de la production libre un lieu d'appropriation et de liberté auquel la plupart – pour ne pas employer un « tous » utopique ou jacobin – pourront accéder, l'accès restant la couche égalitaire de l'espace de liberté des identités configurées qui en serait une autre – l'antérieure ?

   Selon des données très approximatives que l'on a cherché un peu à l'emporte pièce, en Espagne en 2006 seul 1,5 % des utilisatrices d'ordinateurs utilisaient un système opératif libre, contre 28 % le système opératif de Micrososft Windows. D'autre part, en 2010, on ne compterait que 1 % de femmes dans la communauté Debian, 5 % dans la communauté Ubuntu et 17 % dans la communauté Mozilla.

   Cette double sous-représentation peut procéder d'une série de facteurs souvent identifiés au sein des groupes « femmes », mais pas uniquement. D'autre part, il est possible que certains facteurs soient exclusifs au software libre, contrairement à d'autres que l'on retrouvera dans la relation entre femmes et technologie en général.

   La faiblesse de la présence des femmes s'observe autant dans leur position d'utilisatrice que de productrice-contributrice. En plus de ces deux figures, une troisième fait son apparition dans notre analyse : celle de la créatrice qui utilise des softwares et hardwares libres pour ses propres créations. Cette dernière figure marque une approche plus complexe et complète sur laquelle nous n'avons trouvé aucun chiffre ni enquête.

   Dans ce premier texte, nous allons simplement tenter de faire apparaître quelques hypothèses pour notre prochain terrain.

       Dans le premier cas de figure, celui de l'utilisatrice, nous pouvons suggérer deux freins qui vont nous aider à analyser les expériences que nous recueillerons : la formation initiale et le comportement face à la technologie (appropriations vs peurs). Le premier facteur est un thème qui a été très souvent abordé et croise plus largement le domaine « femmes et sciences » et les nombreuses études sur le manque d'attrait des filles pour les sciences [7] et leur sous-représentation dans les sections scientifiques.

   Ces raisons, qui nous serviront d'hypothèses pour le reste de notre travail, sont, dans le cas du software libre, une extrapolation des raisons déjà très étudiées et caractérisées du manque de femmes dans les sciences [8], attendu que le développement des softwares libres appartient, avant tout, au domaine de la technologie.

   D'autre part, les femmes ne sont pas épargnées, pas plus que les hommes et plutôt moins d'ailleurs, par la faible diffusion informative des softwares libres. De plus, d'une forme générale, le « désamour » traditionnel entre femmes et technologie les éloigne des canaux informatifs consacrés aux sciences ou à la divulgation (revues ou articles « scientifiques » ou technologiques). Il serait particulièrement intéressant d'obtenir une analyse fine des lecteurs des revues scientifiques ou de blogs comme Boing Boing.

Il se pourrait aussi qu'il existe une distorsion créée par la relation entre utilisation d'ordinateur et âges.

   Ainsi, pourrions-nous définir cette première figure – non exclusive – comme correspondant à un degré de peu d'appropriation technologique, ce qui ne signifie pas que ce stade soit incompatible avec un autre et ne juge donc pas de la connaissance du sujet mais opère simplement comme référence pour classer les « cas » d'étude. Pour explorer cette figure, nous essaierons de confronter nos hypothèses aux expériences en interrogeant un panel de femmes utilisatrices.

       Le second degré correspondrait aux femmes actives [9] dans les communautés du libre. Dans ce cas, une des raisons de leur présence limitée reprend la partie antérieure : le faible nombre de femmes se formant et donc travaillant dans le domaine des sciences et de la technologie réduit leur participation dans les communautés de développement. Ce à quoi l'on peut ajouter les freins traditionnels mis à l'entrée des femmes dans des groupes fortement masculinisés : perception par les femmes d'un groupe hostile et auto-exclusion, relations sociales et de solidarité masculines, cooptation, culture masculine, usages particuliers du langage et presque codifié... D'autre part, les femmes présentes dans les communautés de software libre assument en général des rôles de soutien et non de « création » [10].

   Il est probable qu'à ces raisons s'en ajoutent d'autres relatives à l'organisation des communautés de software libre, notamment l'importance très forte de la réputation et des groupes de solidarité. Néanmoins, d'autres particularités, comme l'anonymat, la décorporéisation peuvent favoriser l'intégration « anonyme » de femmes dans les communautés du software libre.

   Dans ce deuxième cas, nous chercherions à approfondir et examiner nos hypothèses en procédant à une autre série d'entretiens et à l'analyse des modes de fonctionnement des communautés du libre à la lumière du genre afin d'évaluer si leur mode de fonctionnement favorise l'intégration et/ou la présence des femmes.

   Ainsi pourrions-nous connaître de plus près la place des femmes dans certaines communautés de développement, comprendre la relation qu'elles établissent avec le libre (comment et pourquoi y viennent-elles et y sont-elles actives), différenciant sans doute entre les rôles « d'assistance » et les rôles de création, ce qui, suivant le cas, nous permettra d'en déduire les moteurs et obstacles tout en questionnant la différence d'importance entre rôles d'assistance et rôle de création depuis la perspective de la dialectique pouvoir/résistance comme depuis celle des pratiques.

       Enfin le troisième niveau est un niveau qui se donne à nous grâce à l'environnement « Medialab Prado » que nous avons décrit antérieurement. En effet, la troisième figure que nous aimerions aborder n'est ni typifiée ni objet d'étude : il s'agirait de femmes créatrices – artistes ou non – qui utilisent/produisent softwares et hardwares libres pour des créations propres. Le niveau de connaissance de ces femmes-là opère effectivement la disparition tant proclamée entre utilisateur et producteur – ici nous voyons la nécessité de la médiation, en l'occurrence la connaissance, pour accéder réellement à la valeur libératrice du software libre. Elles sont susceptibles de créer du code libre hors des communautés de softwares libres, dans le cadre de projets personnels – atelier de production – ou par exemple d'une entreprise – Dabne (www.dabne.net) – ou d'un projet collectif associatif – Lorea (lorea.org/). Dans ce cas, l'appropriation est double : appropriation technologique et appropriation créatrice qui conduit à un dépassement du cadre de la communauté.

   Bien qu'il soit probable que ces femmes ne soient pas en nombre égal que les hommes qui jouissent d'un tel niveau d'appropriation des codes libres, et peut-être même que leur nombre soit limité, notre approche ne consiste pas du tout à en faire une hagiographie, mais au contraire de comprendre quelles sont les trajectoires de ces femmes, comment se lient-elles au software/hardware libre, et plus particulièrement aux communautés de software libre, et comment se situent-elles face à leur identité « femmes » dans ce domaine.

IV - Suites

   Au long de ce travail dont les termes et les sujets évolueront [11], nous essaierons donc d'évaluer effectivement la participation des femmes, selon les trois figures que nous avons dégagées, dans le software/hardware libre, tout en les laissant totalement ouvertes, puisqu'elles ne sont que des outils d'analyse et n'ont aucunement l'ambition de stabiliser les relations que, par elles, nous allons tenter de mettre à jour. Malgré l'ébauche méthodologique ici proposée, nous ne nous y tiendrons pas lorsque les faits nous en montreront le manque de pertinence. La catégorie « femme-elle-même », que dès le début du texte nous avons préféré activement – depuis l'énonciation, depuis nos « je » – nommer « identité-femmes », se précisera afin de laisser entrer les expériences et les subjectivités directes et rapportées, sans pour autant renoncer à l'objet « femme » comme catégorie basique utile d'analyse et de conversation.

   Ainsi, à travers l'analyse des relations entre les « identités-femmes » – à ce titre, des études parallèles mettant en jeu d'autres identités sont nécessaires –, nous pensons pouvoir entrevoir les configurations complexes de cette relation. Il est probable que la dimension « pouvoir » soit un indicateur du degré de liberté – et doit-on dire de pouvoir de la propre idéologie, considérant que la culture libre a pour objectif d'augmenter les espaces et pratiques de liberté – des technologies du libre, et que, d'autre part, le sujet qui s'engage soit le baromètre de la dimension libératrice de l'idéologie et non pas le type d'appropriation de la technologie.

   C'est pourquoi, au-delà des positionnements « objectifs », bien que complexes, des figures femmes, nous nous intéresserons particulièrement à la formulation de leur relation avec les technologie, de leurs motivations et de leur expérience des communautés pour observer où se jouent les stratégies de pouvoir et de résistance au sein même de la culture libre.

Jara Rocha,
Frédérique Muscinesi

NOTES

[1] Jara Rocha appartient au groupe genre et technologie constitué en juin 2010. Frédérique Muscinesi a travaillé en collaboration avec Suzanne de Cheveigné à la constitution de la part française du Meta Analysis of Gender and Science, une base de données qui réunit tous les textes scientifiques européens depuis 1980 sur le thème « femmes et sciences » : http://www.genderandscience.org/web/index.php.
Toutes deux s'intéressent au monde du libre en général et ont travaillé ou travaillent à Medialab Prado. F. Muscinesi a écrit le texte ¿La economía de la atención, una oportunidad para las mujeres?

[2] http://medialab-prado.es/article/que_es

[3] http://wiki.medialab-prado.es/index.php/Género_y_tecnología#Presentación

[4] Interactivos : http://medialab-prado.es/interactivos
Visualizar : http://medialab-prado.es/visualizar
Inclusiva-net : http://medialab-prado.es/inclusiva-net
Laboratorio del Procomún : http://medialab-prado.es/laboratorio_del_procomun
AVLAB : http://medialab-prado.es/avlab2

[6] Lors de la dernière actualisation d'Ubuntu, plusieurs personnes eurent des difficultés avec le son de leurs ordinateurs. Après trois jours d'entêtement je parvenais enfin à trouver la solution que je publiais dans le forum.
Cependant l'ensemble des outils que j'utilise pour mes activités de production – textuelle, visuelle ou sonore – et de publication sont libres.

[7] Une très grande bibliographie française sur le thème est disponible dans le Meta-Analysis of Gender and Science.

[8] Je m'en remets de nouveau à la base de données Meta-analysis of Gender and Sciences.

[9] Pour illustrer de quelles femmes nous sommes en train de parler, nous pouvons utiliser l'expression-mesure « to program or to be programmed ? ». Ces femmes peuvent répondre à cette question.

[10] Les rôles de création – masculins - seraient les rôles de programmation qui permettent de créer du code et du software, activité de mobilisation et de création de pouvoir, alors que les rôles de soutien – féminins – consisteraient en l'écriture des tutoriaux et des taches d'appui à la communauté.

[11] Nous faisons ici référence à l'évolution des cadres méthodologiques et terminologiques de l'étude ainsi qu'à notre propre évolution comme identités et sujets apprenant.


[Source : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1101b.htm]