Rapport d'ONU Femmes : La justice toujours hors de portée pour des millions de femmes
La justice demeure hors de portée pour des millions de femmes, met en garde le premier rapport majeur d'ONU Femmes. Progress of the World’s Women: In Pursuit of Justice traite des droits juridiques des femmes dans le monde, abordant des questions allant de la violence fondée sur le genre à l’égalité de rémunération, en passant par la représentation au sein des gouvernements et la justice de sortie de conflit. Il montre que, trop souvent, les femmes continuent de subir l’injustice, la violence et l’inégalité au sein de leur foyer et dans leur vie professionnelle.
Afin de garantir que la justice devienne une réalité pour toutes, ONU Femmes appelle les gouvernements à :
• abroger les lois qui discriminent les femmes et garantir que la législation les protège contre la violence et les inégalités au foyer et au travail
• soutenir des services de justice novateurs, y compris des guichets uniques, une aide juridique et des tribunaux spécialisés, afin de garantir qu'elles puissent accéder à la justice
• mettre les femmes en première ligne du maintien de l’ordre en tant que policières, juges, législatrices et militantes
• investir dans des systèmes de justice pouvant répondre à leurs besoins. Les bailleurs de fonds dépensent chaque année 4,2 milliards USD en aide pour la réforme de la justice, mais seulement 5% de ces dépenses ciblent les femmes et les filles.
« La moitié de la population mondiale étant en jeu, les résultats de ce rapport constituent un appel puissant à l’action. Les fondations de la justice pour les femmes ont été posées : en 1911, seuls deux pays accordaient aux femmes le droit de voter; aujourd’hui, ce droit est presque universel. Mais la pleine égalité nécessite que les femmes deviennent véritablement les égales des hommes aux yeux de la loi, au sein de leur foyer et dans leur vies professionnelle, ainsi que dans la sphère publique » souligne Michelle Bachelet, secrétaire générale adjointe et directrice exécutive d’ONU Femmes.
Les femmes subissent toujours des injustices fondées sur le genre au sein de leur foyer, sur leur lieu de travail et dans leur vie publique, conclut le rapport. De grandes avancées ont été réalisées dans les sphères privées et publiques au cours du siècle dernier. Pourtant, la discrimination et l’injustice fondée sur le genre demeurent très répandues. Cette inégalité peut être constatée :
• au sein du foyer :
La violence conjugale est désormais interdite dans 125 pays, mais 603 millions de femmes vivent dans des pays où la violence conjugale n’est pas considérée comme un crime.
En 2011, 52 pays au moins ont fait du viol conjugal une infraction pénale. Pourtant, plus de 2,6 milliards de femmes vivent dans des pays où celui-ci n’a pas été explicitement pénalisé.
Les lois fondées sur la coutume ou la religion, qui existent aux côtés de la législation de l’État, restreignent fréquemment les droits de la femme au sein de la famille, notamment en matière de mariage, de divorce et de droits de succession.
• sur le lieu de travail :
117 pays sont dotés de lois relatives à l’égalité de rémunération, pourtant les salaires des femmes sont toujours inférieurs (jusqu’à 30%) à ceux des hommes dans certains pays. Et les femmes effectuent toujours plus de tâches domestiques et de soins non rémunérés que les hommes dans toutes les régions du monde.
53% des femmes exerçant une activité – 600 millions au total – occupent des emplois vulnérables, tels que des emplois indépendants ou des travaux non rémunérés pour des entreprises familiales, qui ne sont souvent pas protégés par le droit du travail.
• dans la vie politique et publique :
Il est incontestable, comme le montrent des exemples tels que le Rwanda, le Népal et l’Espagne, qu’un plus grand nombre de femmes au sein du parlement permet d’accélérer les réformes relatives aux droits des femmes. Pourtant, on compte toujours moins de 30% de femmes parlementaires dans la grande majorité des pays.
Les réformes juridiques, lorsqu’elles sont réellement appliquées, posent les fondements d’une modification des comportements et de l’amélioration de la position des femmes dans la société.
Le rapport montre que des progrès ont été réalisés grâce aux efforts individuels, de la société civile et des gouvernements afin d’octroyer aux femmes davantage de pouvoir économique et politique par le biais de réformes juridiques – y compris en garantissant l’égalité de rémunération, en introduisant des quotas parlementaires et en garantissant que les femmes connaissent leurs droits et sont en mesure de les revendiquer.
Figurent parmi les affaires qui ont fait date en accélérant les réformes législatives et en modifiant les comportements :
• l’affaire de Maria da Penha, au Brésil, que les attaques de son époux, dont une tentative d’électrocution, ont laissée paralysée. Elle a porté l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, entrainant un durcissement de la législation relative à la violence conjugale au Brésil, symboliquement nommée la Loi Maria da Penha.
• l’affaire d’Unity Dow, une juge botswanaise, qui a réclamé le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants, dont le père était étranger. Unity a gagné son procès et au moins 19 pays africains ont réformé leurs lois afin de permettre aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants.
• l'affaire de Sandra Lovelace, qui a réclamé le droit de retourner vivre sur sa réserve après son divorce alors que, selon la Loi canadienne sur les Indiens, elle avait perdu son statut indien en épousant un non-autochtone. En 1981, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies décidait que la Loi sur les Indiens violait les obligations du Canada en matière de droits humains. Sandra Lovelace utilisait cette décision pour faire campagne et, en 1985, le Canada amendait la loi afin d'éliminer la discrimination sexuelle dans la détermination du statut indien.
Mais les réformes juridiques ne sont qu’un début : les lois doivent être mises en œuvre pour que les réformes se traduisent par une véritable égalité.
A tous les niveaux, les lois existantes sont trop souvent appliquées de manière inadéquate, conclut le rapport. De nombreuses femmes renoncent à dénoncer des crimes en raison de la stigmatisation sociale et de systèmes de justice faibles. Les coûts et les difficultés pratiques qu’implique la quête de justice peuvent être prohibitifs – du trajet jusqu’à un tribunal éloigné au paiement de frais d’assistance juridique élevés. Par conséquent, les taux d’abandon des affaires où les femmes cherchent réparation sont élevés, notamment dans les cas de violence fondée sur le genre.
Figurent parmi les moyens d’élargir l’accès à la justice :
• investir dans des guichets uniques qui réunissent en un seul lieu les services judiciaires, juridiques et de santé, et réduire le nombre d’étapes à franchir pour accéder à la justice
• employer davantage de policières comme c’est le cas en Amérique latine, où les commissariats de femmes ont engendré une augmentation des déclarations de violence fondée sur le genre
• fournir une assistance juridique et promouvoir la prise de conscience des femmes, afin d’assurer qu'elles connaissent leurs droits et puissent trouver leur voie au sein des systèmes judiciaires
• créer des tribunaux spécialisés tels que les tribunaux mobiles de la République démocratique du Congo, qui apportent la justice aux femmes des régions rurales reculées où les niveaux de violence sexuelle sont très élevés.
En modifiant les lois et en apportant aux femmes un soutien pratique afin que justice soit faite, nous pouvons faire évoluer la société et garantir que les femmes et les hommes bénéficient d’une véritable égalité, conclut le rapport, offert en anglais et en espagnol.