Thériault entreprend de réformer la CSST - Le resserrement du programme de retrait préventif des travailleuses enceintes est envisagé

Thériault entreprend de réformer la CSST - Le resserrement du programme de retrait préventif des travailleuses enceintes est envisagé

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www.ledevoir.com

Québec — La ministre du Travail, Lise Thériault, s'apprête à s'attaquer à un autre gros morceau: la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail, une réforme qui visera notamment le resserrement du programme de retrait préventif des femmes enceintes, un programme coûteux dont se prévaut une travailleuse enceinte sur deux, soit 34 000 d'entre elles en 2010.

Afin de rédiger son projet de loi, qu'elle doit présenter à la fin de l'automne ou au début de l'an prochain selon son cabinet, Lise Thériault peut s'appuyer sur les recommandations du conseil d'administration de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), où siègent des représentants patronaux et syndicaux. Un groupe de travail présidé par Viateur Camiré a également produit un rapport, en décembre 2010, sur les changements à apporter au régime de santé et de sécurité du travail. Il s'agit d'une réforme majeure pour un régime qui existe depuis 31 ans.

Dans le document sur la modernisation du régime de santé et de sécurité du travail qui vient d'être rendu public par la CSST, le conseil d'administration de l'organisme y va de 30 recommandations qui sont en principe le fruit d'un consensus patronal-syndical. Il recommande d'étendre le programme de prévention aux entreprises de plus petite taille, de permettre à la CSST d'offrir des services de recherche d'emploi auxquels les travailleurs accidentés auraient l'obligation de recourir et de réduire le nombre de traitements de physiothérapie.

Mais l'élément qui pourrait s'avérer le plus controversé de cette réforme, c'est le resserrement des critères d'admissibilité au programme Pour une maternité sans danger (PMSD). D'ailleurs, le consensus entre patrons et syndicats sur cet enjeu est un consensus de façade, car les deux camps interprètent différemment la recommandation visant ce programme qui a coûté 213 millions en 2010, soit l'équivalent de 10 % des prestations versées par la CSST.

Dans son rapport, le groupe de travail de Viateur Camiré note que lors de la mise sur pied de ce programme, en 1981, le taux de financement s'établissait à 1 cent par tranche de 100 $ de masse salariale: il est maintenant 19 fois plus élevé. «La CSST a progressivement abdiqué son pouvoir de gestion du programme au profit des avis des médecins traitants et des médecins du réseau de santé publique. Ainsi, bon an mal an, 95 % des réclamations sont acceptées», peut-on lire dans le rapport Camiré. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, le tribunal administratif en matière de santé et sécurité du travail, «a induit un glissement de la notion de danger, comme prévu par la loi, vers la notion de risque et finalement vers le principe de précaution [...]». Le PMSD est considéré par un grand nombre de travailleuses et d'employeurs comme un congé de maternité, affirme le rapport qui constate qu'un tel programme n'existe nulle part ailleurs en Amérique du Nord.

«Une grande dérive»

Ces observations sont reprises par les associations patronales. La vice-présidente, santé et sécurité du travail, du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Carmel Laflamme, croit que le PMSD a connu «une grande dérive» en passant d'une notion de danger au principe de précaution. Ainsi, un grand nombre d'enseignantes enceintes ont recours au retrait préventif en raison des risques de contracter des maladies infectieuses à l'école, a-t-elle fait remarquer. «En France, on s'assure que l'enseignante soit au courant des méthodes pour éviter les maladies, comme de se laver les mains», a souligné Carmel Laflamme. De fait, la moitié des femmes qui bénéficient du programme proviennent des secteurs de la santé et de l'éducation; 35 % travaillent dans des commerces ou des services du secteur privé.

Le CPQ fait valoir qu'il n'y a pas de différence significative entre le Québec et les autres provinces, où ce programme n'existe pas, au chapitre de la santé des femmes enceintes et des bébés.

Reprenant l'essentiel du rapport Camiré, le conseil d'administration de la CSST propose que l'on confie à l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) le mandat de produire une revue des données scientifiques internationales sur les conditions de travail des femmes enceintes et des dangers auxquels elles s'exposent ainsi qu'une étude sur l'affectation de ces travailleuses à d'autres tâches. Le conseil recommande une modification législative pour accorder un pouvoir de réglementer les dangers, donc de les définir, aux fins de l'application du PMSD. La CSST pourrait ainsi établir une liste de dangers qui justifieraient les retraits préventifs plutôt que de s'en remettre exclusivement au médecin traitant.

Pour le vice-président de la Confédération des syndicats nationaux, Jean Lacharité, l'objectif ne devrait pas être de réduire le nombre de femmes qui ont droit à un retrait préventif. «Il n'y a pas d'abus, a-t-il livré au Devoir. Nous voulons que s'applique le principe de précaution. Nous étions en désaccord avec le rapport Camiré.» De toute façon, il s'écoulera plusieurs années avant que l'IRSST ne produise ses études sur les pratiques internationales en matière de retraits préventifs des travailleuses enceintes ou de leur affectation à d'autres tâches, estime-t-il.