L’itinérance des femmes en progression

L’itinérance des femmes en progression

Source: 

Table des groupes de femmes de Montréal

par Marie-Christine Plante, doctorante en sociologie à l'UQAM et membre-étudiante du Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale, pour la Table des groupes de femmes de Montréal

Le 21 mars 2012, plusieurs groupes de femmes et organismes qui interviennent en itinérance se sont réunis dans le cadre d’un forum public organisé par la Table des groupes de femmes de Montréal portant sur la réalité des femmes en situation d’itinérance.
 
Nous sommes face à un constat : l’itinérance des femmes augmente, se complexifie et se diversifie. Elle prend désormais plusieurs visages. Différentes ressources mentionnent le rajeunissement tout comme le vieillissement des femmes qui sont dans la rue, dénombrent de plus en plus de mères avec enfants, observent l’augmentation des femmes immigrantes, autochtones, handicapées et des femmes ayant des problèmes de santé physique et/ou mentale, etc. Différents visages qui marquent et construisent les spécificités du phénomène de l’itinérance au féminin.
 
La spirale de l’itinérance
 
Les femmes en situation d’itinérance ne sont pas un groupe homogène et uni. Chaque femme rencontrée a une histoire qui lui est propre. C’est ce qui rend ce phénomène si complexe. Ce n’est pas un phénomène linéaire qui s’explique par le seul fait d’arriver à la rue. Nous le concevons comme une « spirale de l’itinérance ». C’est un processus en mouvement, marqué par des allers-retours, par des entrées et des sorties, par des périodes de stabilité ou d’instabilité résidentielle, etc.
 
L’itinérance des femmes est multifactorielle. C’est-à-dire qu’elle est caractérisée par une combinaison de facteurs individuels et structurels. Il y a plusieurs facteurs de fragilisation : la violence vécue, la consommation, la judiciarisation, les problèmes de santé, avoir été aidante naturelle, avoir été « placée » à la DPJ, etc. Il y a aussi les causes structurelles : la pauvreté et l’appauvrissement, la condition de femmes marquée par les rapports patriarcaux et les rôles sociaux de sexe, l’affaiblissement du filet social, la crise du lien social, etc.
 
Mentionnons que pour mettre fin à la spirale de l’itinérance des femmes, plusieurs facteurs de protection se doivent d’être présents et concomitants : l’accès à des ressources diversifiées, à un logement social, à un revenu adéquat, à un soutien social qui permet de briser l’isolement, à des programmes flexibles de formation et d’employabilité, etc.
 
L’invisibilité fréquente du phénomène
 
Dénombrer les femmes en situation d’itinérance s’avère être un casse-tête méthodologique que peu de chercheuses et de chercheurs ont envie de résoudre. Les chiffres recueillis auprès des ressources québécoises signalent que les femmes composent entre 22 à 40% de la population itinérante selon les régions. Pourquoi avons-nous alors l’impression que c’est un problème majoritairement masculin? Parce que les femmes en situation d’itinérance sont moins visibles que les hommes dans les espaces publics. Ça ne veut pas dire qu’elles sont moins sujettes à vivre à la rue et à être instables sur le plan résidentiel.
 
L’itinérance des femmes est souvent cachée ou organisationnelle. L’itinérance cachée inclut les femmes qui, pour ne pas se retrouver dans la rue, habitent chez des membres de leur famille, chez des amis, mais aussi chez des hommes en échange de faveurs sexuelles. Elle inclut aussi les femmes qui habitent dans des édifices hors normes, non sécuritaires, insalubres, des logements surpeuplés, celles qui ne parviennent pas à payer leurs logements et qui sont menacées d’expulsion, etc. L’itinérance organisationnelle est celle des femmes qui utilisent les différentes ressources d’hébergement ou qui vivent dans différentes institutions pour ne pas être dans la rue. Elle n’est principalement visible que par les intervenantes et les intervenants de ce réseau.
 
Des statistiques alarmantes en matière de violence
 
L’itinérance des femmes est marquée par une autre caractéristique majeure : la violence. Selon les recherches ou les statistiques compilées par les ressources d’aide québécoises, les femmes en situation d’itinérance sont majoritairement victimes de différentes formes de violence (physique, psychologique, sexuelle, économique, etc.). Les femmes vivent de la violence dans une proportion de 70 à 85% des cas recensés. La violence vécue se retrouve à tout moment de la trajectoire de vie : avant d’entrer à la rue, pendant qu’elles vivent dans ou à la rue et même lorsqu’elles en sont sorties.
 
Les ressources font état de l’urgence et de la complexité d’intervenir auprès de ces nombreuses femmes qui souffrent. Les ressources doivent développer de nombreux outils d’intervention afin de pouvoir soutenir et accompagner ces femmes dans la reconstruction de leur estime de soi, dans la guérison de leurs blessures et dans l’amélioration de leurs conditions de vie. Les violences vécues et leurs effets sur les femmes constituent un enjeu primordial de la lutte contre l’itinérance féminine.
 
Sortir de la rue n’est pas synonyme de sortie de la pauvreté
 
Le processus de sortie de la rue des femmes est souvent complexe et s’étend sur une longue période de temps. Il est marqué par l’exclusion de certains droits de citoyenneté tels l’accès égalitaire au logement, l’emploi, la santé, etc. Plus les trajectoires des femmes sont marquées par la désinsertion sociale, plus le processus de sortie de la rue peut être long et nécessiter plusieurs tentatives d’essais et erreurs. Celui-ci les conduit à établir des stratégies au niveau de l’intégration résidentielle, professionnelle et sociale. La sortie de la rue implique donc plusieurs étapes transversales : se chercher un logement, guérir ses blessures, arrêter ou diminuer sa consommation, retourner à l’école, suivre des programmes d’employabilité, retisser des liens sociaux souvent effilochés, etc.
 
Outre les ressources développées pour les personnes en situation d’itinérance, le recours le plus important des femmes s’avère être l’aide sociale. Avec une prestation mensuelle de base de 589 $, la sortie de la rue n’est pas synonyme de sortie de la pauvreté. Et conséquemment, plusieurs femmes continuent d’être en mode de survie quotidienne et d’utiliser les ressources d’aide et de dépannage, elles ne parviennent pas à briser leur isolement social et à mettre fin au processus d’appauvrissement.
 
Responsabilité individuelle et culpabilité
 
Qu’elles soient méprisées, violentées, discriminées ou ignorées au cours de leur vie, les femmes en situation d’itinérance s’attribuent toute la responsabilité de leur histoire personnelle, de leur trajectoire descendante, de la pauvreté vécue, de leurs échecs, de leur difficulté à briser la dynamique de désinsertion sociale, etc. Elles jugent qu’elles doivent agir seules, qu’elles doivent se débrouiller seules, qu’elles ont assez utilisé les services offerts et qu’elles doivent se motiver par elles-mêmes pour s’en sortir.
 
Sortir de la rue devient donc une épreuve personnelle où la seule personne responsable de sa réussite se trouve dans la personne qui ose s’y aventurer. Cette injonction à la responsabilité individuelle, véhiculée par le discours social et intégrée par les femmes, a pour conséquence d’accroître les sentiments de culpabilité et de dévalorisation de celles qui ne parviennent pas à s’en sortir. Nous avons une responsabilité sociale envers ces femmes! Ne les laissons pas croire qu’elles sont les seules responsables de leur histoire et leurs problèmes.
 
Face à l’urgence, agissons!
 
Nous considérons que les femmes en situation d’itinérance se retrouvent dans une sorte d’invisibilité sociale due à un déficit de reconnaissance. À nos yeux, les femmes en situation d’itinérance sont des sujets de droit qui méritent protection et reconnaissance sociale. C’est pour cela qu’il est important de prendre connaissance de leurs réalités et qu’il est primordial de continuer à travailler à l’amélioration de leurs conditions de vie.
 
L’itinérance des femmes est politique. Elle doit être comprise dans une vision plus large de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au Québec. Elle appelle à de nombreux changements en termes de dispositifs de protection sociale : revenu de citoyenneté, accessibilité au logement social, gratuité et accès aux soins de santé et services sociaux, etc. Il est urgent de revoir nos manières de concevoir et d’intervenir socialement sur ce phénomène.
 
Finalement, l’itinérance des femmes est marquée par des caractéristiques propres qui sont liées au fait d’être une femme. Nous réitérons l’importance et l’urgence d’adopter une Politique en itinérance provinciale qui prendra en considération les particularités des femmes en situation d’itinérance et qui leur conférera des droits, qui pour l’instant, sont encore bafoués.
 
Cessons de fermer les yeux sur leurs réalités, écoutons leurs histoires et tentons de comprendre leurs multiples besoins. Ensemble, construisons une société plus égalitaire où les femmes ne seront plus en proie à des rapports sociaux de sexe inégalitaires et à des politiques sociales qui ne sont ni efficientes ni cohérentes.
 
Autres signataires : 
Action autonomie Montréal
Association d'entraide Le Chaînon
Auberge Madeleine
Centre d’encadrement pour jeunes femmes immigrantes (CEJFI)
Centre des femmes de Montréal-Est/Pointe-aux-trembles
Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle
Concertation-Femme
Conseil central du Montréal métropolitain-CSN
Conseil des Montréalaises
Donat Savoie C.Q., Ordre national du Québec et conseiller spécial au Bureau du président de la Société Makivik
En marge 12-17
Fédération de ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec
Femmes du Monde à Côte-des-Neiges
Fondation filles d'action 
La Maison grise de Montréal
La Maison Marguerite de Montréal
La Marie Debout 
La rue des Femmes
Les Maisons de l’Ancre
L'R des centres de femmes du Québec
Lucie Gélineau, Ph.D, chercheure, Université Laval, professeure associée, Médecine sociale et préventive
Maison Dalauze
Multi-Femmes
PAS de la rue
Passages
Regroupement pour l'aide aux itinérants et itinérantes de Québec
Regroupement des Auberges du cœur du Québec
Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel
Réseau québécois d’action pour la santé des femmes 
Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal
Réseau habitation femmes
Réseau d'action des femmes en santé et services sociaux
Services aux femmes de la Old Brewery Mission
Service d'orientation et de recherche d'emploi pour l'intégration des femmes au travail
SOS Violence conjugale
Table de concertation de Laval en condition féminine
Table régionale des centres de femmes Montréal métropolitain-Laval
Y des femmes de Montréal