Alliés contre la violence: une formation à destinations des pères pour en finir avec les discriminations contre les femmes en Turquie

Alliés contre la violence: une formation à destinations des pères pour en finir avec les discriminations contre les femmes en Turquie

Dans une école primaire à Istanbul, un groupe d’homme est assis sur de petites chaises en bois, en pleine discussion animée. Certains ont le doigt levé attendant leur tour pour parler ; d’autres prennent des notes, plongés dans leurs pensées.
 
Même si ce n’est pas la première fois que ces hommes occupent cette salle, leur présence continue de surprendre. « Il n’est pas commun de voir 15 hommes dans une pièce discuter de leurs femmes et de leurs enfants, au lieu de parler football » explique avec un sourire Izzet Sengel, une des spécialistes de la formation au sein de la Fondation Mère Enfant.
 
La Fondation Mère Enfant est une organisation basée en Turquie qui s’attache à promouvoir des changements positifs chez les hommes, en valorisant leur rôle de pères. Son « Programme de paternité », mené à bien en partenariat avec le Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, aide actuellement un groupe de 210 militants à organiser des discussions réservées aux hommes dans six provinces.
 
Ce programme vise à prévenir la violence domestique en faisant participer les hommes en tant qu’alliés, et en promouvant la prise en compte des questions de genre et l’équité chez les pères. Par l’intermédiaire d’un programme de réunions hebdomadaires s’étalant sur trois mois, les membres partagent leurs expériences en tant que pères et discutent de thèmes dont ils n’ont souvent pas l’habitude de parler. Parmi les thèmes couverts figurent par exemple la manière d’améliorer leur écoute et de gérer la colère ou l’analyse de la façon dont la violence est souvent enracinée dans les stéréotypes sexistes.
 
Cette approche est une réponse novatrice à un problème qui a causé des dommages sans précédent dans toute la société.
 
En Turquie, d’après un rapport réalisé en 2009 par le ministère de la Famille et des Affaires sociales, près de 45 pour cent des femmes mariées ont été victimes de violences de la part de leurs partenaires – qu’elles soient physique (39 pour cent), sexuelle (15 pour cent) et/ou émotionnelle (44 pour cent). Selon les femmes ayant répondu à ce sondage, les causes sont variées : différends liés aux familles de leurs maris ou aux enfants ; problèmes économiques ; ou colère des hommes due à la jalousie. Sur l’échelle des questions taboues en Turquie, la violence à l’égard des femmes et des filles figure parmi les plus élevées.
 
Elle constitue pourtant une violation des droits fondamentaux, et entraîne des coûts significatifs pour la santé, et le bien-être économique et social de l’ensemble de la société turque.
 
Il semble ambitieux de vouloir modifier en seulement 13 semaines des comportements de toute une vie et des normes sociales profondément ancrées. Izzet et les autres membres de la Fondation en sont conscients. Et pourtant, leur travail a porté ses fruits. En obtenant la participation de professeurs et de travailleurs sociaux – qui sont respectés au sein de la communauté – en tant que formateurs, ils ont réussi à faire utilement évoluer la façon de penser des hommes des communautés avec lesquelles la fondation travaille.
 
« Quand je vois les changements intervenus, je me dis que tous les pères devraient suivre ce cours » estime Unal Kartal, un père de trois enfants âgé de 49 ans, et membre du groupe d’Istanbul. « J’ai toujours été fier d’être un bon père, mais je réalise aujourd’hui que j’étais trop protecteur. Auparavant, j’avais l’habitude de me m’énerver facilement. J’ai appris à maîtriser ma colère grâce à ce cours ».
 
Par le biais de ces discussions, les formateurs visent à remettre en question les modèles parentaux traditionnels et la perception des rôles masculins au sein des familles. Ces réunions engagent cependant toute la famille. Deux sessions offrent aux femmes un aperçu des thèmes couverts au cours du programme, et celles-ci se voient remettre un manuel sur les institutions, les lois, les plans nationaux d’action sur les droits des femmes et des informations sur les services d’orientation et d’appui pour les femmes et les filles victimes de violences.
 
Des cérémonies, auxquelles participent les femmes et les enfants, ont lieu au terme de chaque programme. Organisées par les groupes au niveau des provinces, elles donnent l’occasion aux pères diplômés – 1951 depuis le début du programme en septembre 2011 – de voir leurs progrès et leurs réalisations reconnues par leurs pairs.
 
Et cela a un effet boule de neige. Comme l’explique Ozge, l’épouse d’Unal : « Le cours que suit mon mari m’a appris que la violence émotionnelle pouvait faire autant de mal que la violence physique. J’accorde désormais une attention particulière à la manière dont je me comporte avec mes filles. J’ai décidé de me joindre à cette lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles ».
 
Dans une démarche positive, les ministères turcs de l’Éducation nationale et de la Famille et des Affaires sociales ont récemment commencé à soutenir le programme, et ont demandé qu’il soit élargi. La famille Kartal est de cet avis. « Ce certificat devrait être obligatoire avant le mariage » estime Una, le sourire aux lèvres.