L’émancipation, entre l’éducation permanente et l’aide sociale
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Un article de Jean-Pierre Nossent, de la revue Antipodes, décembre 2012
L’émancipation subordonne l’acquisition des savoirs aux choix des citoyens à partir de leurs expériences et besoins, tandis que l’instruction vise à donner au peuple ce qu’il doit savoir pour des raisons d’utilité et de stabilité sociales.
La question de l’émancipation par l’éducation et la culture se pose depuis longtemps et dès les Lumières ou la révolution française, elle fait l’objet de débats politiques. Ainsi, Condorcet à l’Assemblée nationale française les 20 et 21 avril 1792 : « L’instruction… doit assurer aux hommes de tous les âges de la vie la faculté de conserver des connaissances et d’en acquérir des nouvelles… ».
Un autre pédagogue soucieux d’émancipation est le français Joseph Jacotot (1770-1840), qui en 1818 s’est retrouvé à l’université de Leuven à devoir enseigner la littérature française à des étudiants qui ne connaissaient pas le français, lui-même ignorant tout du néerlandais. A partir d’une une édition bilingue du Télémaque de Fénelon, il leur a demandé d’apprendre par cœur le texte français. A son étonnement, il a découvert qu’après quelques temps, les étudiants étaient non seulement capables de répéter mais aussi de s’exprimer dans un français correct à propos de ce qu’ils avaient lu.
Quelles conclusions Jacotot va-t-il en tirer ? Contrairement au modèle dominant qui dit que l’élève apprend ce que le maître enseigne et qu’il s’agit de remplacer le vide de l’ignorance du premier par le savoir du second, il va affirmer que tout un chacun est capable d’apprendre et de comprendre par soi-même sans explication et qu’on peut même enseigner ce que l’on ne connaît pas. Il atteste ainsi l’autonomie irréductible du travail de l’intelligence, et le principe d’égalité des intelligences : le processus d’apprentissage va de savoir à savoir (et non d’ignorance à savoir). Là où on postule l’ignorance, il y a toujours un savoir et c’est la même intelligence qui est à l’œuvre dans tous les apprentissages intellectuels. Les différences de résultats d’apprentissages ne seraient pas dues à des différences de capacité intellectuelle mais à des différences de motivation et de confiance en soi. Le maître est là pour stimuler et accompagner la construction de son savoir : pour émanciper un élève, il faut le pousser à user de sa propre intelligence.
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