Retour sur la conférence internationale « Faire avancer le programme de développement pour l'après 2015 »

Retour sur la conférence internationale « Faire avancer le programme de développement pour l'après 2015 »

Un article de Anne Schoenstein pour l'Association pour les droits de la femme et le développement (AWID), publié sous licence Creative Commons, 3 mai 2013

DOSSIER DU VENDREDI – Quelque 250 personnes, représentant essentiellement des organisations de la société civile, mais aussi, dans un tiers des cas, d’autres parties prenantes telles que les Nations Unies, se sont réunies à Bonn (Allemagne) du 20 au 22 mars, à l’occasion de la conférence internationale convoquée sur le thème Faire avancer le programme de développement pour l'après 2015. Un groupe de défenseur-e-s et d'organisations des droits des femmes a également participé activement à la conférence en proclamant clairement : Nous ne rejoindrons pas un courant pollué!

Par Anne Schoenstein[1]

L'un des messages centraux de la conférence est que tout programme de développement doit être ancré dans l'architecture internationale existante de droits humains, à savoir les droits économiques, sociaux et culturels, les droits des femmes (y compris les droits sexuels et reproductifs), les droits à l'emploi et les droits au travail, ainsi que les droits des populations autochtones, des communautés socialement marginalisées, des enfants, des migrant-e-s, des personnes présentant diverses orientations sexuelles et identités de genre et tous ceux qui vivent avec des handicaps, entre autres droits.[2]

Échanges, revendications et avertissements

La réunion a été un espace d'échanges d'idées quant aux progrès, aux défis et à l'évolution future de deux processus distincts, mais qui se rejoignent, i) les discussions intergouvernementales sur les objectifs du développement durable (ODD) issus de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20) ; et (ii) le processus mené à bien sous la houlette des Nations Unies sur le nouveau cadre de développement qui est appelé à succéder aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) pour l'après 2015. L'AWID ainsi que d'autres organisations de défense des droits des femmes et d'organisations de la société civile (OSC) ont contribué à la mise en contexte[3] de la réunion et ont travaillé dur pour que leurs revendications et leurs propositions soient entendues. Elles se sont également efforcées pour que le débat aille au-delà de simples discussions des objectifs et des buts et se traduise par un appel ferme en faveur des droits humains, en particulier des droits des femmes, qui sont au cœur de tout changement transformationnel.

La réunion de trois jours s'est déroulée en discussions plénières, mais aussi, et surtout, en sessions parallèles qui ont permis la réalisation de débats thématiques et d'échanges sur la coordination et la mobilisation. Les OSC ont profité de la présence du panel de haut niveau (HLP) et de membres participant officiellement à la planification du programme de développement pour l'après 2015 pour souligner l'importance d'attaquer les facteurs structurels qui font obstacle à l'éradication de la pauvreté, à la réalisation des droits des femmes et au développement pour tous, ainsi que de combattre les inégalités sous toutes leurs formes, et ce, dans le contexte de signaux positifs des Nations Unies quant au prochain rapport du HLP.

Plusieurs communiqués[4] ont été élaborés par des groupes thématiques et autres durant la réunion de Bonn. Certains concernaient spécifiquement la réunion du HLP tenue à Bali dans la foulée de la conférence de Bonn et ont débouché sur l’élaboration d’un « Red Flag for the Post 2015 High Level Panel » (Signal d’alarme pour le Panel de haut niveau pour l’après 2015). D’autres cherchaient à affiner et à contribuer à l'élaboration du projet de programme général pour l'après 2015. Dans leur déclaration, les défenseur-e-s et les organisations des droits collectifs des femmes lancent un avertissement pour éviter que ne soit développé un autre ensemble d'objectifs réductionnistes, de cibles et d'indicateurs qui ignoreraient les changements profonds qui sont nécessaires pour faire face à l'échec du modèle de développement actuel qui repose sur des modèles de production et de consommation insoutenables et exacerbe les iniquités entre les genres, les races et les classes.

La déclaration lance un appel en faveur de changements profonds et structurels aux systèmes mondiaux actuellement en vigueur en termes de pouvoir, de prise de décision et de partage des ressources et souligne que ce changement implique l’application de politiques reconnaissant le fardeau inégal et injuste qui pèse sur les femmes et les filles dans le soutien du bien-être de la société et l'économie, fardeau dont le poids augmente en temps de crises économiques et écologiques. Les revendications présentées dans ces déclarations sont notamment que l'égalité des genres et les droits humains des femmes fassent l'objet d'une priorité dans le cadre du développement pour l'après 2015 ; que ce cadre soit basé sur l'architecture des droits humains, et qu'il comprenne des moyens concrets de mise en œuvre mettant l'accent sur le financement public plutôt que sur les partenariats publics-privés pour concrétiser les obligations des états d'accorder la quantité maximum de ressources disponibles. Ce programme devrait également promouvoir des mécanismes de financement innovateurs et démocratiques, notamment un soutien flexible et à long terme aux OSC y compris les organisations de femmes.

La Déclaration sur l'égalité des genres pour mettre fin à la pauvreté souligne qu'il est indispensable, dans l'élaboration d'un nouveau cadre axé sur le développement durable, de combattre la pauvreté, en particulier en inversant la tendance à la féminisation de la pauvreté et en s'attaquant aux facteurs structurels de la pauvreté des femmes et de l'inégalité, ainsi qu'aux causes profondes de ces deux phénomènes. Par ailleurs, en finir avec toutes les formes de violence fondée sur le genre est également impératif pour éradiquer la pauvreté.

Aller au-delà de la rhétorique - donner une forme concrète au cadre fondé sur les droits humains[5]

La déclaration sur les droits humains pour tous, basée sur les discussions thématiques tenues à Bonn, souligne qu'un cadre fondé sur les droits humains est un modèle qui n'est plus axé sur la charité, mais sur la justice et sur la dignité inhérente des peuples en tant que titulaires de droits humains. Ce modèle considère que les gouvernements nationaux sont les premiers responsables en termes d'obligations et que toutes les parties prenantes au développement partagent des responsabilités communes, mais différenciées. Ce nouveau cadre devra donc être conçu comme un instrument permettant l'autonomisation et l'habilitation des peuples, à titre individuel et collectif, afin qu'ils contrôlent et exigent aux gouvernements, aux entreprises, aux institutions internationales et à d'autres acteurs de développement d'assumer la responsabilité de leur conduite, car celle-ci a un effet sur les vies des gens au sein et au-delà des frontières. Un cadre de développement durable fondé sur les droits humains peut servir d'outil aux parties prenantes pour surmonter les obstacles structurels qui constituent un frein au développement durable, inclusif et juste, et pour encourager la mise en œuvre et le respect de tous les droits humains, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, ainsi que du droit au développement et à la protection de l'environnement.

La déclaration souligne également que le cadre pour l'après 2015 doit, au minimum, respecter et refléter les normes juridiques préexistantes en matière de droits humains ainsi que les engagements politiques déjà contractés par les gouvernements. Le droit international en matière de droits humains, d'environnement et d'action humanitaire, la déclaration du millénaire, ainsi que d'autres documents afférents adoptés à l'échelle internationale à RioVienne, au Caire, àBeijingMonterrey et Copenhague ainsi que leurs accords complémentaires doivent constituer une base non négociable sur le plan normatif. Tout cadre futur doit inclure, en plus des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, des engagements visant à protéger la liberté d'association, d'expression, de réunion et de participation politique afin de pouvoir garantir l'existence d'un environnement propice à l'autonomisation de la société civile et à la protection des défenseur-e-s des droits humains, y compris les femmes défenseures des droits humains qui jouent un rôle clé pour traduire les engagements politiques internationaux en réalité quotidienne. Les principes et les normes relatifs aux droits humains doivent aller au-delà des discours et prendre un sens réel en termes opérationnels.

De Bonn à Bali: une préoccupation et une déception croissantes

Dans la foulée de la conférence de Bonn, le HLP a tenu une réunion du 25 au 27 mars à Bali pour étudier les possibilités de former un consensus mondial sur le nouveau programme de développement ainsi que sur les stratégies de mise en œuvre. Plusieurs représentant-e-s des OSC se sont rendus de Bonn à Bali pour demander instamment que le nouveau cadre soit plus ambitieux et soit orienté vers un développement transformateur, universel et axé sur les personnes, comme indiqué dans le Communiqué de la société civile

Les résultats de la réunion de Bali peuvent être considérés assez modestes sur le fond car ils n'indiquent aucune progression en termes des changements culturels requis pour élaborer et appliquer de nouveaux modèles de consommation et de production et pour promouvoir une croissance inclusive. Les débats tenus sur l'environnement, l'économie et le développement durable sont restés superficiels et dépourvus d'une vision précise du nouveau cadre de développement durable, inclusif et juste. L'absence de référence aux droits de l'homme, conjuguée à la reconnaissance et à l'espace croissant accordés aux parties prenantes du secteur privé en tant que moteurs du développement, ont encore aggravé, entre autres éléments, la déception de nombreuses organisations de femmes et d’OSC participant au processus. Norma Maldonado, militante guatémaltèque des droits humains a qualifié la procédure de « superficielle », [et a ajouté] la consultation sur l'Internet est une farce… ».

Les OSC ont réagi collectivement à Bali et ont attiré l'attention, entre autres facteurs, sur le fait que le secteur privé était de plus en plus considéré par les gouvernements comme un acteur important du développement, en dépit de l'absence d'une réglementation rigoureuse et de mécanismes de transparence. Il sera important, à l'avenir, de garantir que les conditions de l'engagement du secteur privé ne mettent pas en péril les fruits du développement en aggravant brutalement les inégalités entre les populations au lieu de soutenir ces populations.

Comment se présente l'avenir?

Le rapport final du HLP devrait être remis au Secrétaire général des Nations Unies au mois de mai, après quoi celui-ci présentera son rapport annuel en septembre sur les résultats de l'accélération des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement ainsi que sur les propositions de programme pour l'après 2015 qui seront présentées à l'assemblée générale (AG). Dès que le rapport du HLP sera disponible, il sera crucial pour les organisations des droits des femmes d'analyser l'information présentée et de tirer des enseignements du processus pour l'après 2015 et des consultations effectuées jusqu'à présent. Il sera également important de mettre au point une stratégie à appliquer d'ici l’AG de septembre et au-delà. Il sera également nécessaire d'obtenir une information opportune, d'assurer la transparence du processus et de disposer de ressources pour s'engager dans ce processus et influencer le programme de façon substantielle. Il est impératif que les différentes parties prenantes au développement, y compris les organisations de femmes et d'autres OSC dans toute leur diversité, collaborent pour élaborer des stratégies et parvenir à un programme collectif et inclusif.

Restez informé-e-s !

Restez informé-e-s de l'information relative au processus pour l'après 2015, y compris les débats d'un point de vue critique des droits des femmes, notamment par le biais du site Web de la Coalition des femmes pour l’après-2015 ainsi que du bulletin.

La Coalition des femmes pour l’après-2015 est une coalition d'organisations féministes, de droits des femmes, de développement des femmes, de base et de justice sociale qui travaillent conjointement pour contester et recadrer le programme mondial de développement. Elle se présente comme un espace permettant aux organisations et aux défenseur-e-s des droits des femmes d'intensifier leur participation au processus et d'apporter des contributions de fond.

[1] L’auteure remercie Alejandra Scampini de ses contributions à cet article.

[2] Source: préambule aux communiqués de la conférence : http://www.worldwewant2015.org/node/332182

[3] La Coalition des femmes pour l’après-2015 et le Groupe majeur des femmes étaient représentés par DAWN, qui a fait partie du comité directeur de la conférence.

[4]  Étant donné la diversité des OSC, il a été convenu qu’il était important, dans ce processus, de refléter cette diversité, raison pour laquelle plusieurs communiqués ont été émis à l’issue de la conférence, plutôt qu’une déclaration unique. Les communiqués peuvent être utilisés aux fins de plaidoyer et de stratégie dans le processus à venir et sont disponibles en ligne, avec d’autres documents de la conférence et un préambule, à l’adresse : http://www.worldwewant2015.org/Bonn2015

[5] Cette section contient des extraits relatifs aux droits humains de tous les communiqués émis à l’issue des débats tenus à Bonn et qui seront bientôt soumis à l’approbation sur le site Web du WorldWeWant.