Le décrochage scolaire des filles : une visibilité sociale à conquérir

26 oct 2015

Le décrochage scolaire des filles : une visibilité sociale à conquérir

Nathalie Chabot, Conseillère CSQ à l’action professionnelle

Le décrochage scolaire est un sujet qui fait couler beaucoup d'encre. Malgré son importance, la question plus spécifique du décrochage des filles est souvent laissée dans l'ombre.

Outre le fait qu'elles décrochent en moins grand nombre que les garçons (1), cette invisibilité est nourrie par la « discrétion » des décrocheuses. Le décrochage chez les filles est souvent lié à des problèmes familiaux, à un manque de confiance en soi ou au fait de se marier, entre autres exemples. Il s'agit de manifestations plus susceptibles de passer sous le radar que celles qui caractérisent les décrocheurs (exemple : problèmes de comportement, défiance de l'autorité).

Un phénomène bien réel

L'invisibilité médiatique du phénomène contraste aussi avec le traitement qui en est fait pour les garçons. Drôle de renversement des choses : la minorité des garçons qui décroche nous fait oublier la majorité qui réussit; à contrario, la majorité des filles qui réussit nous fait oublier la minorité qui décroche. Pourtant, lorsque nous regardons les données de plus près, nous constatons que ce phénomène est bien réel.

Des données publiées récemment (2) confirment que les taux de décrochage sont en constante diminution. Toutefois, cette diminution est plus prononcée pour les garçons que pour les filles. Depuis 2006-2007, elle a été de 6,2 % pour les garçons, alors qu'elle n'a été que de 2,7 % pour les filles. Que révèle cette tendance? Serions-nous arrivés à un « noyau dur » de décrocheuses, plus difficile à aider?

Un regard plus fin sur les données nous permet également de constater qu'à certains endroits au Québec, le décrochage des filles peut s'avérer plus préoccupant que celui des garçons. Par exemple, au Saguenay–Lac-St-Jean, entre 2001 et 2009, une tendance à la hausse des taux de décrochage a été observée pour les filles (+ 1,1 %), alors que la situation inverse a été observée pour les garçons (-3,3 %) (3). Ces deux illustrations soulèvent des questions importantes et démontrent la nécessité de raffiner les connaissances au sujet du décrochage des filles.

Un discours à changer

Afin de donner à chaque jeune à risque de décrocher l'attention qu'il mérite, il faut proposer un discours différent sur le décrochage qui met en lumière l'ensemble des dimensions du problème et qui propose des solutions pour aider autant les filles que les garçons.

Ce que le discours dominant sur le décrochage propose, généralement, ce sont des solutions vues comme pouvant favoriser la réussite des garçons (exemple : embaucher davantage d'enseignants masculins, former des classes non mixtes). Dans les faits, ces solutions n'ont pas prouvé leur efficacité.

Des pistes de solution

Nous savons que la maîtrise de la langue d'enseignement est une condition essentielle à la réussite et à l'obtention d'un diplôme d'études secondaires, tout comme la lecture est le talon d'Achille des garçons et des filles qui ne réussissent pas.

Mettre l'accent sur des mesures favorisant la maîtrise de la langue est donc une avenue à privilégier. C'est pourquoi la CSQ insiste sur l'importance de dépister rapidement les difficultés en lecture et d'apporter des changements au programme d'éducation préscolaire et au programme de formation en français, afin que ceux-ci présentent une approche équilibrée combinant découverte et enseignement explicite de certaines notions.

La minorité des garçons qui décroche nous fait oublier la majorité qui réussit ; à contrario, la majorité des filles qui réussit nous fait oublier la minorité qui décroche.

Nous savons aussi que l'adhésion à des stéréotypes de genre peut influencer la façon dont les jeunes vont concevoir l'école. Par exemple, elle poussera certains garçons à penser que « l'école et la lecture, c'est pour les filles » ou encore, elle amènera certaines filles à penser que « ça ne sert à rien de s'investir dans les études quand on est destinées à être à la maison avec les enfants ».

La promotion de modèles et de comportements égalitaires et l'instauration d'environnements scolaires – permettant l'expression de la diversité des attitudes, des comportements et des pratiques – est une autre voie à privilégier pour soutenir la réussite autant des garçons que des filles.

Pour en arriver à développer des solutions à long terme, viables et efficaces, la classe politique doit prendre en compte toutes les facettes du problème. Parler du décrochage scolaire des filles, c'est lui donner une visibilité sociale qui lui garantira d'être pris en compte dans les politiques destinées à contrer le décrochage.

 

1. En 2012-2013, le taux de décrochage des garçons était de 18,8 % et celui des filles, de 11,9 %. Source : Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Taux de décrochage annuel.

2. QUÉBEC. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE (2015). « Les décrocheurs annuels des écoles secondaires du Québec. Qui sont les décrocheurs en fin de parcours ? Que leur manque-t-il pour obtenir un diplôme ? », Bulletin statistique de l’éducation, no 43 (mai), 24 p.

3. CENTRALE DES SYNDICATS DU QUÉBEC [s. d.]. Le décrochage et la réussite scolaires des garçons. Déconstruire les mythes, rétablir les faits, [En ligne], 7 p. [lacsq.org/fileadmin/user_upload/csq/documents/documentation/education_formation/decrochage-scolaire/decrochage-reussite-scolaires-garcons.pdf ].