Lettre ouverte sur les consultations récentes sur les violences sexuelles

6 avr 2017

Lettre ouverte sur les consultations récentes sur les violences sexuelles

Le 6 avril 2017 - Nous formons des groupes et des associations qui défendent les droits étudiants et les personnes survivantes à travers le Québec. Nous reconnaissons que le problème de la violence sexuelle et la culture du viol nous affecte tous et toutes, et que des changements significatifs doivent être faits dans nos institutions scolaires, et dans la société en général, pour agir en amont et en aval contre ces violences et ainsi créer des espaces plus sécuritaires.

Cela étant dit, il est encourageant de constater qu’il y a de plus en plus d’efforts pour reconnaître et résoudre les problèmes persistants et qui s’incrustent même dans les espaces où nous étudions, travaillons et apprenons. Au niveau provincial, l’attention portée à cet enjeu s’est concrétisée par des consultations sur la violence sexuelle dans les institutions postsecondaires, durant les mois de février et mars par le Ministère de l’Éducation supérieur, dans le but de rassembler de l’information avant la rédaction d’un possible projet de loi en la matière. Nos organisations ont pris part à ces consultations à des degrés divers, mais nous avons tout de même pris la peine de réfléchir ensemble sur ce processus. Nous présentons ici les résultats de nos discussions et nos recommandations qui visent à faire de cette initiative un succès.

Nous reconnaissons la bonne volonté de la ministre et des participants et participantes lors des consultations et reconnaissons que la ministre a démontré qu’elle portait un intérêt réel à la problématique des violences sexuelles sur les campus par ses analyses et réflexions tout au long des consultations. Il faut aussi souligner la participation massive de diverses organisations et associations qui ont pris part aux consultations en présentant des mémoires ou en se présentant aux consultations. Cependant, le processus consultatif était lacunaire en plusieurs points, malgré des interventions soutenues de plusieurs organisations qui ont tenté d’avertir la ministre des problématiques entrevues avant et pendant les consultations.

Premièrement, nous avons souligné la nécessité d’encadrer les personnes survivantes qui choisiraient de partager leur expériences, mais nous estimons que cette recommandation n’a pas été appliquée de façon adéquate. En effet, comme les événements étaient accessibles sur invitation seulement, ils étaient tous finalement exclusifs et même si, heureusement, certains groupes qui travaillent avec les personnes survivantes ont reçu une invitation ce n’était pas suffisant pour réellement épauler les survivants et survivantes sur place. Ils et elles ont donc dû se soutenir mutuellement pour passer à travers cette épreuve difficile qu’était pour eux et elles la consultation. Il avait pourtant été recommandé qu’il y ait sur place des intervenants ou intervenantes qui auraient pu les épauler. Il avait aussi été recommandé, toujours pour favoriser l’expression des personnes survivantes, d’offrir des moyens de communications différents. En effet, les seules options offertes, soit de s’exprimer haut et fort dans un micro ou de discuter en sous-groupe avec des inconnus, ne sont pas favorables à l’expression des personnes les plus concernées. Compte tenu de la nature sensible des sujets abordés, il aurait été souhaitable de prêter une attention particulière à la mise en place d’un “safe space”.

Deuxièmement, le gouvernement a compté essentiellement sur les administrations des écoles pour mener ces consultations et dresser la liste des invités, plutôt que de contacter les groupes ou organismes qui œuvrent directement dans le domaine des violences sexuelles et aurait assuré une représentation plus équitable de tous les partis concernés par cet enjeu. Nous sommes particulièrement déçus de noter que plusieurs administrations, comme celles de Concordia, McGill et Rimouski, n’ont pas mener de consultations auprès de leur communauté universitaire. Étant donné le mode de fonctionnement des universités, le manque de représentation de divers groupes d’intérêts, notamment la communauté étudiante et les personnes survivantes, n’a pas été une surprise pour nous. Ce mode de fonctionnement, en reproduisant les rapports de pouvoir observés dans la société, a permis de passer sous silence les voix des jeunes, des personnes racisées, des Autochtones, et d’autres groupes complètement exclus des discussions. Or, un manque de diversité aussi flagrant peut, à notre avis, rendre toute législation qui découlerait de s consultations non conforme aux diverses réalités de personnes marginalisées en matière de violences sexuelles.

Enfin, il y a encore beaucoup à faire selon nous pour améliorer l’accessibilité des événements. Par exemple, une traduction simultanée bidirectionnelle aurait permis une meilleure participation de la communauté étudiante anglophone, particulièrement à Montréal, mais cette demande n’a pas été accordée. La barrière linguistique, qui aurait pourtant été facile à abattre, a pu signifier que des témoignages importants amenés par des personnes survivantes lors des consultations ont pu être perdus ou mal interprétés. C’est définitivement un des facteurs qui a causé des sentiments d’inconfort et de malaise parmi les participants et participantes. Pour travailler ensemble et trouver des solutions inclusives et pertinentes en matière de violence sexuelle, il est essentiel de pouvoir communiquer efficacement entre nous. C’est une exigence minimale. En outre, très peu d’informations concernant le format des consultations ont été données à l’avance, et l’information sur l'accessibilité (physique, linguistique, sensorielle, émotionnelle, etc.) n’a pas été fournie du tout. Il aurait fallu à tout le moins afficher d’avance ordre du jour afin de permettre aux participants et participantes de se préparer et d’évaluer leur capacité à participer efficacement à l’événement.

Nous espérons les réflexions dont nous faisons part seront prises en compte par le ministère à l’avenir, en vue d’assurer le respect des besoins de toute la communauté. Nous demandons aussi qu’une synthèse des conclusions tirées à partir des consultations en présence réelle et de la collecte de mémoires soit rendue publique, et transmise à ceux et celles qui ont participé au processus.

Pour aller de l’avant, il est absolument primordial que toutes les consultations futures soient menées avec la participation des associations étudiantes, des survivants et des survivantes, et des intervenants et intervenantes de première ligne, ce qui vaut aussi pour le développement de toute législation qui résulte du processus. Par ailleurs, nous croyons que cette législation devra entre autres inclure des dispositions spécifiques et particulières aux établissements d’études supérieures dans ses politiques contre les violences sexuelles. Il faudrait aussi y inclure des considérations qui permettent le partage juste des ressources parmi les diverses initiatives qui visent la prévention des agressions sexuelles ou qui viennent en aide aux victimes. Il faudra aussi réserver des fonds particuliers pour les groupes communautaires existants qui sont souvent sous-financés et pour les universités régionales qui manquent de ressources. Nous espérons aussi l'implémentation de mécanismes de responsabilisation qui permettraient aux membres de la communauté d’intervenir dans le cas où les établissements d’enseignement n’accompliraient pas leurs devoirs à l’égard des victimes.

Il est de notre responsabilité à tous et toutes de tenir chaque partie redevable lorsqu’il s’agit de combattre la violence sexuelle sur nos campus et dans la société en général. Nous attendons avec intérêt de continuer ce travail ensemble, et de nous engager à faire tout ce que  nous pouvons pour soutenir les survivants et survivantes tout au long du processus.

Soyons solidaires contre la culture du viol!

L’Association pour la Voix Étudiante au Québec
Concordia Student Union
Centre for Gender Advocacy (Concordia)
Association Générale Étudiante du Campus de Rimouski de l'UQAR
Students’ Society of McGill University
Community Disclosure Network (McGill)
Mouvement des Associations Générales Étudiante de l’UQAC
Executive Committee of the Post-Graduate Students Society (McGill)
Association Générale des Étudiants de l’UQTR