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Appel à contribution n° 11 : Codes, codeurs & codeuses. Étudier l’informatique comme elle s’écrit

Date limite d’envoi des propositions : 17 janvier 2020

Numéro coordonné par Gabriel Alcaras (CMH, ENS-EHESS), Manuel Boutet (GREDEG, Université de Nice Sophia Antipolis) et Antoine Larribeau (EXPERICE, Université Paris 13).

Les algorithmes s’invitent dans le débat public et scientifique avec une régularité croissante ; la question des enjeux de pouvoir, politique ou économique, n’est alors jamais bien loin (Cardon, 2015). Ces questionnements sur la nature, les usages et les effets des algorithmes, essentiels pour les interroger en tant que dispositifs politiques, tendent parfois à laisser de côté le travail, sans cesse renouvelé, de production et de maintenance de ces infrastructures techniques. Or l’écriture informatique concerne aussi bien les activités amatrices (programmer sa calculatrice scientifique) qu’expertes (l’ingénierie logicielle), les professions de l’industrie numérique (les développeurs web ou jeux vidéo) que celles où le code a fait irruption (Gollac & Kramarz, 2000), le rapport esthétique des hackers à la technique (Coleman, 2012) que son emploi à des fins politiques (Vicente, 2017).

Si algorithmes et codes sont liés en pratique, une étude précise de chaque objet demande une articulation théorique et méthodologique différente. L’analyse des algorithmes s’intéresse à la programmation et aux dispositifs qu’elle crée. En tant qu'activité intellectuelle, la programmation n'est pas nécessairement liée au numérique, ni même aux ordinateurs. Alan Turing (1937) emploie d’ailleurs le terme computer pour désigner un « calculateur », c’est-à-dire non pas une machine, mais un être humain qui calcule (Mélès, 2015). À ce titre, l’informatique s’inscrit dans le prolongement de l’histoire des écritures administratives (Agar, 2003 ; Gardey, 2008). Enquêter sur les codes invite plutôt à se pencher sur l’acte concret d’écriture des programmes, dont le but est de produire un texte qui sera interprété ou compilé par les machines, inséré dans des infrastructures matérielles et logicielles, lu et amendé par des collègues, copié-collé par des hobbyistes et ainsi de suite. Les propriétés fonctionnelles de ces inscriptions méritent d’être examinées, notamment par les collaborations originales qu’elle favorise, par les coûts environnementaux qu’elle engendre ou par sa participation à la construction scripturale de la réalité (Denis, 2018).

En ce sens, « coder » n'est pas la même chose que « programmer ». Cette précision analytique permet de repérer comment des différences techniques sont redoublées de distinctions au sens sociologique du terme. Par exemple, une différenciation entre coder et programmer se formalise avec l’administration du superordinateur ENIAC dans les années 1950 (Ensmenger, 2010 : 124). Elle permet alors de dévaloriser le travail des femmes qui codent ces machines comme une activité matérielle triviale, peu qualifiée et assimilable au secrétariat ou à la dactylographie, par opposition à la programmation qui, revue à la hausse comme une activité intellectuelle, qualifiée et planificatrice, avec sa part de responsabilités, nécessiterait l’emploi d’hommes et justifierait une supériorité hiérarchique. De nos jours, cette distinction paraît moins opérante, tant le codage est communément assimilé à la programmation, ce qui pourrait expliquer en partie la surreprésentation des hommes dans ces métiers.

Ce numéro de RESET se donne donc pour but d’encourager des travaux originaux et empiriques qui abordent le numérique sous l’angle des codes et de ses auteur·e·s, mettant en lumière le travail concret d’écriture des programmes, les rapports différenciés à l’informatique et, plus largement, les conditions de production du code. L’objectif est de dialoguer avec les nombreuses approches déjà mobilisées par les sciences humaines et sociales, qu’il s’agisse des algorithmes, des programmes (Méadel & Sire, 2017), des interfaces (Galloway, 2012), des plateformes (Abdelnour & Bernard, 2018 ; Bastard et al, 2017), des API (Ermoshina, 2017), des software studies (Manovich, 2013) ou encore des code studies (Marino, 2010).

L’appel est ouvert à l’investigation d’un large éventail d’activités liées aux codes sources. Ces derniers ne s’arrêtent pas aux langages de programmation, tels que le C ou le Python −dont la diversité des philosophies et des communautés interroge − ni même aux laboratoires de recherche en informatique (Jaton, 2019). Ils peuvent également inclure les langages de markup comme le HTML, Latex ou BBcode ainsi que l’ensemble des textes qui accompagnent le code source, de la documentation technique aux fichiers de configuration. Ces textes favorisent le réemploi des codes suivant des réseaux et des chaînes de solidarité technique très ouverts et étendus aujourd’hui grâce à internet (Dodier, 1995). De même, les figures emblématiques et parfois fantasmées, notamment hackers et geeks, peuvent être intéressantes à analyser. Nous invitons toutefois aussi à regarder au-delà pour décrire un ensemble de pratiques différenciées, des programmeurs virtuoses aux petites mains du code (Dagiral & Peerbaye, 2012).

Nous remarquons ainsi que peu de travaux sociologiques abordent de front la figure professionnelle, pourtant devenue ordinaire, du développeur. Symétriquement, les enquêtes sur les pratiques du code dans des professions non expertes de l’informatique, comme l’emploi des macros excel dans le secrétariat, brillent par leur absence. Enfin, ces pratiques du code s’expriment dans des contextes également variés : les codes peuvent être ouverts ou propriétaires ; écrits par des amateurs ou des professionnels, par des ingénieures auto-entrepreneures ou par des développeurs salariés, travaillant à domicile, en espace de co-working ou en open space ; imbriqués dans des logiques marchandes ou des contextes militants ; gérés à petite échelle par quelques contributeurs occasionnels ou insérés dans des infrastructures scripturales quasi-bureaucratiques. Les contributions pourront traiter ces nombreuses facettes du code en gardant à l’esprit deux types de préoccupations.

Premièrement, le numéro invite à faire une place tant à la matérialité propre des codes sources, dans une démarche de sciences sociales soucieuses des techniques (Dagiral & Martin, 2017) qu’aux conditions matérielles de leur production. Entre autres ressources utiles, l’anthropologie et la sociologie de l’écriture permettent ainsi d’analyser les relations entre la matérialité de l’écriture du code, les processus cognitifs liés à la programmation et les rapports sociaux entre développeurs (Goody, 1979; Olson, 1998). Sans aller jusqu’à établir une équivalence entre le code source et les codes juridiques (Lessig, 1999), le code source peut être qualifié d’acte d’écriture (Fraenkel, 2007), c’est-à-dire de texte performatif, ce qui introduit de nombreuses contraintes dans sa rédaction. La pertinence de la notion de performativité pourrait d’ailleurs être questionnée dans le contexte du code. Plus largement, les conditions de production des codes mériteraient également d’être prises directement pour objet. De nombreux travaux ont déjà jeté des bases pour une compréhension des imbrications entre code et politique, que ce soit à travers l’éthique hacker (Coleman 2012 ; Auray, 2013), les publics récursifs des geeks (Kelty, 2008) ou la gouvernance par et pour le code (Auray, 2009 ; Ermoshina, 2017). En revanche, ces travaux ont deux limites : d’une part ils étudient le domaine du logiciel libre en le considérant comme une sphère politique indépendante, laissant ainsi de côté les conditions d’emploi de la majorité des travailleurs du code ; d’autre part ils ignorent largement les modèles économiques dans lesquelles cette activité est inscrite, dans le logiciel libre et l’open source comme ailleurs (Demazière, Horn, & Zune, 2008, 2013).

Le numéro encourage également les perspectives historiques qui replacent le code source dans des évolutions de long terme. Si l’image du codeur courbé sur son clavier et happé par son écran nous apparaît aujourd’hui aller de soi, c’est seulement à la fin des années 1960 qu’il devient possible d’écrire, de compiler et d’exécuter un programme sur la même machine (Waldrop, 2002: 142-147), des années avant que la plupart des codeurs commencent à visualiser sur un écran le code qu’ils éditent. Enfin, le rôle d’internet dans la transformation du travail du code occupe une place de premier choix pour l’analyse socio-historique, que ce soit dans l’émergence de communautés en ligne, le changement d’échelle de la coopération logicielle ou encore l’entrée dans le code par l’autodidaxie. Dans l’esprit de la revue RESET, les propositions prendront soin d’interroger les propriétés a priori révolutionnaires d’internet, en prenant au sérieux les continuités des pratiques, comme le partage des codes sources, pour mieux mettre en valeur leurs transformations effectives et les éventuelles ruptures.

Les contributions pourront s’inscrire dans trois pistes de recherches.

Pistes de recherche

Coder comme activité et comme travail

Ce numéro encourage tout d’abord les contributions qui pourront fournir une description détaillée et située en réponse à la question : « qu’est-ce que coder » ? Une première approche consiste ici à s’intéresser au contenu même de cette activité. En particulier, l’acte d’écrire du code source se distingue d’autres formes d’écritures par son caractère performatif (Denis & Pontille, 2010), dont il conviendra de préciser les conditions pour saisir ce qui le rapproche ou le distingue d’autres actes d’écriture. L’émergence et la gestion de la « dette technique », c’est-à-dire des contraintes liées à l’accumulation de code ancien (legacy code) et de bugs non résolus qui pèsent sur l’écriture présente, est un des nombreux cas qui pourraient être mobilisés. Par ailleurs, l’apprentissage de la programmation suppose aussi de se confronter à différentes formalisations des savoirs. Dès lors, cet apprentissage rejoint les travaux sur le « rapport scriptural-scolaire » au langage (Lahire, 2008), qui suppose de savoir passer d’un rapport pratique à un rapport plus réflexif afin de parvenir à « maitriser » le code.

Une deuxième piste suggère d’explorer le « rapport opératoire » des développeurs au « monde écran » (Bidet, 2011), par exemple à travers les outils, matériels ou logiciels, qui sont employés par les programmeurs pour percevoir, écrire et manipuler le code. Le monde foisonnant des éditeurs de texte en fournit un bon exemple, à commencer par les fameuses querelles qui opposent les défenseurs de Vi et les champions d’EMACS, jusqu’au marché des IDE (Integrated Development Environment) que de gigantesques corporations investissent, comme Microsoft ou IBM, mais qui ont aussi leurs concurrents − et leurs marchés de niches.

Par ailleurs, le travail du codeur ne peut pas être résumé à l’écriture pure et simple du programme. On pourra par exemple se pencher sur les longues périodes de lecture (du code source des collègues, de la documentation), sur les recherches sur Stack Overflow, sur le processus critique de débogage, la nécessité d’être à jour sur les nouvelles techniques en adoptant « une attitude de veille permanente » (Lelong, Thomas et Ziemlicki, 2004), etc. Le travail des codeurs déborde souvent ce qui relèverait du strict nécessaire pour finaliser un programme, et peut inclure, selon les contextes historiques et organisationnels, de la maintenance d’infrastructures ou du service client. Or si l’écriture de mails et l’écriture de code peuvent avoir un air de famille pour l’analyste, ce n’est pas toujours vécu ainsi par les professionnels.

Enfin, coder s’avère souvent être une activité d’écriture à plusieurs mains. Parfois pratiquée à grande échelle comme dans le cas des logiciels libres, elle a alors été étudiée sous l’angle de la cognition distribuée (Conein, 2004). Quelles sont les modalités pratiques et les conditions matérielles de cette écriture collective ? Ce changement d’échelle a été permis par des innovations conceptuelles, comme la modularité introduite par le système UNIX, des mouvements juridiques et politiques, comme le logiciel libre et les licences GPL, mais aussi des infrastructures de collaboration et de partage. Rappelons le rôle important des Bulletin Boards Systems ou des listes de diffusion (Paloque-Bergès, 2018), au point que la gestion de la messagerie électronique devient l’une des tâches principales d’un développeur, à l’instar d’autres métiers (Akrich, Méadel, & Paravel, 2001; Bretesché, Corbière, & Geffroy, 2012; Denis & Assadi, 2005). Plus récemment, de nouveaux outils ont gagné le milieu du développement logiciel, comme le contrôle de version, bouleversant les pratiques collaboratives des ingénieurs (Couture, 2012). Comment comprendre, dans le monde de Git et de ses plateformes, les formes de coordination, les valeurs, les normes et les rituels qui permettent la gestion des collectifs d’écriture du code, professionnels comme militants ? Pour apporter des réponses situées et empiriques, on pourra ainsi s’intéresser à la place qu’y occupe le télétravail (voir axe 2), ou encore aux nouvelles articulations entre écrit et oral au sein de ces espaces de travail, les deux ayant connu des formes de systématisation − l’écrit avec les outils de gestion de version et des tickets, l’oral avec les méthodes dites “agiles” et les réunions fréquentes qu’elles prescrivent et cadrent.

Le code : professions et industries

Les propositions qui se pencheront sur l’émergence des professions et des industries du code sont également les bienvenues. En 1969, IBM décide de séparer (unbundling) matériel et logiciel. Ce dernier devient alors un objet marchand à part entière et le travail du code devient la compétence d’une nouvelle profession, les ingénieurs logiciels. Ces reconfigurations pourront être étudiées à travers leurs conséquences, par exemple sur les caractéristiques socio-démographiques des employées − Marie Hicks (2017) montre comment la revalorisation du métier de programmeur en Grande Bretagne s’est accompagnée de sa masculinisation. Une approche en terme de carrières pourrait quant à elle mettre en valeur des parcours de professionnalisation différenciés, à l’instar des développeurs de logiciels libres (Vicente, 2015) ou des ingénieurs qui deviennent des capital-risqueurs. On pourra enfin s’attacher à décrire les situations d’emploi. La question du lieu de travail est souvent centrale et les configurations sont très variées : en effet, dans une industrie globalisée, une équipe peut partager le même open space ou bien être « multi-située » en favorisant le télétravail ou encore mêler ces deux configurations. De même, les statuts des codeurs mériteraient une analyse à part entière, pour distinguer les ingénieurs-actionnaires des grandes entreprises de la Silicon Valley (Lecuyer, 2007) des auto-entrepreneurs plus précaires qui peuvent collaborer sur un même projet.

Le management du code et des ingénieurs constitue un autre point d’entrée intéressant sur ces professions. En 1975, Frederick Brooks publie un livre qui fait date dans l’histoire du management informatique, The Mythical Man-Month (Brooks, 1995 [1975]). Lui-même codeur et responsable d’équipe chez IBM, il fait un portrait du code comme une activité par essence artisanale (craft) et, dans ce cadre, il fait l’éloge des petites équipes et des start-ups mobiles qu’il oppose aux grandes entreprises monolithiques. Aujourd’hui, si les projets et les start-ups sont loin d’avoir disparu, force est de reconnaître que le code est devenu depuis une activité industrielle, massive et rationalisée. Des techniques de management spécifiques (Agile, SCRUM) et des formes de contrôle par les pairs originales (code reviews, pull requests) ont été inventées et se sont généralisées, en permettant d’augmenter les cadences et de maximiser la productivité de chaque développeur, au détriment pour certains de ce qui faisait l’attrait propre d’une pratique artisanale (Kraft, 1977). À l’étude de ces différentes méthodes et de leur mise en oeuvre pratique, on pourrait adosser une analyse du rôle des managers et de la structuration des équipes.

Enfin, le numéro invite les propositions à étudier l’irruption du code dans des milieux professionnels qui lui sont connexes (jeu vidéo) ou étrangers. On peut penser à l’investissement de plus en plus important de la part de certains milieux universitaires dans des langages comme Python ou R, la valorisation du machine learning dans les disciplines biologiques ou encore les nouvelles compétences requises par les simulations en sciences physiques. Même dans des milieux où le code est présent depuis longtemps, le poids croissant des industries numériques peut générer des reconfigurations radicales. La gouvernance des projets open source, au demeurant déjà bien étudiée (Auray, 2003, 2005 ; Broca, 2013), mériterait d’être à nouveau évaluée à l’aune de ses ambiguïtés (Kelty, 2016), entre responsabilisation néolibérale et participation citoyenne, d’autant que de nombreux projets open source dépendent des ressources humaines et économiques des grandes corporations numériques, comme Google ou Microsoft (Berry, 2008: 134, 159).

Quels rapports aux codes ?

Le numéro invite également les contributions à interroger le rapport entre le code et les personnes qui l’écrivent. En la matière, le thème de l’éthique hacker est devenu incontournable (Himanen, 2001). Coder constituerait ainsi une activité créative, à mi-chemin entre bricolage et pratique ludique, guidée par le plaisir de la résolution de problèmes logiques. En bref, coder serait fondamentalement fun. À rebours de cet enthousiasme sans borne, il ne faudrait pas voir dans « l’engouement pour le faire [...] que la simple expression d’une nouvelle ruse de la raison capitaliste » (Lallement, 2015: 20). La question de l’engagement dans le travail du code devient alors centrale pour expliquer et comprendre les investissements considérables de certains codeurs. Il faudrait parvenir à une description fine de ce qui constitue et ce qui sépare le « sale boulot » du « vrai boulot » (Bidet, 2011), et restituer autant les formes d’engagement valorisantes que des rapports aux codes plus routiniers, déplorés par certains depuis la fin des années 1970 (Kraft, 1977). Entrer dans le sens que les professionnels donnent à leur pratique du code pourrait demander d’explorer ces communautés professionnelles qui se constituent autour de chaque langage et de sa « philosophie », et les « bonnes pratiques » qu’elles mettent en avant et qui varient remarquablement de l’une à l’autre. La pluralité des rapports à l’informatique pourra également être examinée au regard des rapports aux sciences et en questionnant par exemple la séparation entre une dimension instrumentale ou à l’inverse « esthétique », reliée au goût du défi intellectuel mathématique (Zarca, 2009).

La question du rapport aux infrastructures est également une piste à suivre. D’un côté, les infrastructures logicielles seraient invisibles tant pour les utilisateurs, qui ne les remarquent que lors des pannes, que pour les programmeurs qui y entretiennent un rapport familier et presque ordinaire (Star, 1999). D’un autre côté, une part importante des développeurs constitueraient des « publics récursifs » (Kelty, 2008), qui veillent sur les infrastructures dont ils se servent, qui connaissent l’interdépendance de ces dispositifs et, surtout, qui sont compétents pour ouvrir la boîte noire des programmes. Une étude précise du souci et du soin des infrastructures permettrait d’expliquer pourquoi deux programmes essentiels au fonctionnement d’internet, le noyau Linux qui alimente la majorité des serveurs, et OpenSSL qui chiffre les échanges sur le web, bénéficient pourtant de visibilités radicalement différentes : Linux abrite des célébrités du milieu, comme Linus Torvalds, et attire des milliers de contributions chaque mois, tandis qu’OpenSSL n’est sorti de l’ombre qu’après avoir été identifié comme responsable de Heartbleed, l’une des plus importantes failles de sécurité qu’internet ait connue.

Une autre piste pour l’enquête serait d’interroger les rapports aux codes sources, en démêlant les liens entre appréciation esthétique, normes et légitimité des codes. De nombreux informaticiens ont qualifié le code d’art (Knuth, 1974), tout en le mettant en tension avec la science informatique. Le langage Python donne une illustration intéressante de cette tension opposant, d’une part, un standard rigide connu sous le nom de PEP8 qui dicte par exemple la longueur maximale des lignes, et, d’autre part, une appréciation des emplois « idiomatiques » du Python (pythonic code) qui reflèterait au mieux la « philosophie » du langage. Ces jugements posent la question de la légitimité et du prestige différentiels des pratiques à l’intérieur et entre différentes communautés de code − les frontières entre ces communautés demandant sans doute à être interrogées.

Enfin, ce numéro encourage les propositions autour des rapports non professionnels au code et de ce que l’on peut appeler des « contributions ordinaires » (Rankin, 2018), telles que programmer sa calculatrice scientifique en recopiant des programmes tout prêts, rédiger et partager des macros excel, écrire des messages dans des langages de markup (HTML, Markdown, Wikicode ou Bbcode) sur des sites, wiki ou forums. Il peut aussi s'agir d'examiner les ressorts d'une pratique amateur de la programmation, qu'il s'agisse de loisirs ou d'un "travail-à-côté" (Weber, 1989 ; Flichy, 2010).

Note aux contributrices et contributeurs

Les résumés des articles (3 000 signes maximum) sont attendus pour le 17 janvier 2020. Ils sont à envoyer aux quatre adresses suivantes :

Revue RESET reset@openedition.org

Gabriel Alcaras gabriel.alcaras@ehess.fr

Manuel Boutet manuel.boutet@gmail.com

Antoine Larribeau antoine.larribeau@ens-lyon.fr

Ces courtes propositions sont anonymisées puis font l'objet d'une première sélection par le comité de rédaction et par les coordinateurs du numéro afin d'assurer la pertinence scientifique et thématique des articles à venir. Les auteur·e·s des résumés retenus sont ensuite invités à soumettre un article complet.

Calendrier

Date limite pour les propositions d’articles (résumé de 3 000 signes maximum, espaces compris et bibliographie exclue) : 17 janvier 2020.

Réponse aux auteur·e·s : début février 2020.

Date limite de remise des articles (40 000 à 60 000 signes, espaces compris et bibliographie exclue) : 10 avril 2020.

Bibliographie

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