COVID-19 - Les populations de langue minoritaire laissées pour compte dans les interventions d’urgence
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Dans un monde où environ 773 millions de jeunes et d’adultes sont encore dépourvus de compétences de base en lecture et en écriture (ISU), et où 40 % de la population mondiale n’ont pas accès à un enseignement dans la langue qu’ils parlent ou qu’ils comprennent, la pandémie de COVID-19 est venue exacerber les défis préexistants en matière d’alphabétisation et d’apprentissage.
Le 21 février, le monde célèbrera la Journée internationale de la langue maternelle, consacrée cette année au thème « Promouvoir le multilinguisme pour l’inclusion dans l’éducation et la société ». C’est l’occasion de faire le point sur les stratégies adoptées par les lauréats des prix internationaux d’alphabétisation de l’UNESCO pour adapter leurs programmes d’alphabétisation en langue maternelle au contexte de la pandémie, qui a perturbé l’éducation dans le monde entier.
En Thaïlande, les enfants qui parlent une langue minoritaire et leurs parents risquent d’être exclus de l’apprentissage et des informations essentielles diffusées sur la pandémie
Alors que le multilinguisme peut faire progresser l’inclusion et contribuer à la réalisation du principe des objectifs de développement durable de ne laisser personne de côté, il peut aussi devenir un combat majeur pour les apprenants et leurs parents en période de pandémie. Les groupes minoritaires, en particulier, sont les plus vulnérables en situation d’urgence.
La recherche mondiale montre que les enfants qui étaient déjà désavantagés ont été les plus durement frappés par la fermeture des écoles due à la COVID-19, et que le fossé éducatif entre les riches et pauvres s’est par conséquent encore élargi.
« Les matériels pédagogiques d’urgence sont généralement fournis uniquement dans les langues nationales ou internationales principales, ce qui pose problème dans de nombreux pays », déclare Mme Suwilai Premsrirat, professeure émérite à l’Institut de recherche pour les langues et les cultures asiatiques de l’Université Mahidol (Thaïlande) qui était chargée de la mise en œuvre du programme d’enseignement multilingue malais pattani/thaï, récompensé par le Prix UNESCO-Roi Sejong d’alphabétisation 2016.
À l’époque, le jury du Prix avait été impressionné par le fait que l’équipe avait créé une orthographe à partir du thaï pour écrire le malais pattani, langue qui était auparavant uniquement parlée. Le Prix UNESCO-Roi Sejong d’alphabétisation a contribué aux activités de plaidoyer qui ont permis de convaincre le gouvernement thaïlandais que l’enseignement multilingue fondé sur la langue maternelle pouvait faciliter l’apprentissage chez les enfants issus de minorités ethniques. Cependant, maintenir ces approches multilingues en situation d’urgence s’avère difficile.
Pendant la pandémie, l’apprentissage a été en partie assuré par le gouvernement au moyen de cours télévisés. Toutefois, cela n’a pas toujours été utile aux groupes ethniques minoritaires : « Les cours télévisés ont été une perte de temps pour les enfants issus de minorités ethniques, car ils ne comprennent que très peu la langue utilisée. Les parents ont été nombreux à se plaindre de ne pas pouvoir aider leurs enfants à suivre l’apprentissage à distance parce que les matériels pédagogiques d’urgence en langue thaïe étaient trop difficiles à comprendre pour eux », explique Mme Premsrirat, en soulignant l’importance d’impliquer les parents dans la continuité de l’apprentissage et de veiller à ce qu’ils soient capables de comprendre les informations transmises.
Plutôt que d’appliquer une solution unique pour tous, Mme Premsrirat préconise de mettre en œuvre des programmes d’alphabétisation en langue maternelle dans les communautés locales à l’aide d’outils à faible coût, comme les livres numériques. Il s’agit en effet d’un support meilleur marché et produit plus rapidement que les livres imprimés, car les matériels en langue maternelle peuvent être rédigés et traduits depuis n’importe quel endroit et envoyés aux apprenants sur leur téléphone portable.
En Algérie, le maintien des approches multilingues de l’alphabétisation des adultes à distance est essentiel pour la diffusion de l’information
La Stratégie nationale pour l’alphabétisation multilingue de l’Office national d’alphabétisation et d’enseignement pour adultes (ONAEA) de l’Algérie, qui s’est vu décerner le Prix UNESCO-Roi Sejong d’alphabétisation en 2019, illustre également l’importance de l’enseignement et l’alphabétisation en langue maternelle ainsi que de l’utilisation des technologies de l’information en situation d’urgence. Ce programme dispense des cours d’alphabétisation pour adultes dans les deux langues officielles du pays, le tamazight et l’arabe, et met en avant le rôle primordial de l’alphabétisation en langue maternelle.
M. Kamel Kherbouche, Directeur de l’ONAEA, souligne l’importance de l’approche multilingue de l’apprentissage et, plus particulièrement, de l’alphabétisation :
« Selon nous, il est sage d’adopter une approche bilingue de l’alphabétisation pour faire en sorte que le premier contact avec l’écrit intervienne dans la langue maternelle, de façon à prévenir toute peur de l’échec et à accroître les taux de participation. Toutefois, il est également crucial d’apprendre à lire et à écrire dans la ou les langues de travail et de communication officielles du pays afin d’assurer l’inclusion et l’accès au marché du travail, et donc l’autonomie économique et sociale. »
L’arabe et le tamazight sont les deux langues nationales de l’Algérie, mais certains citoyens ne savent lire et écrire que dans l’une d’entre elles. Il est par conséquent indispensable d’adopter une approche multilingue de la communication et de l’information pour que tous les citoyens reçoivent les messages et informations essentiels, surtout en période de pandémie.
« En ce qui concerne la lutte contre la propagation de la COVID-19, l’utilisation des différentes langues nationales officielles du pays permet de garantir que tous reçoivent et comprennent les messages qui sont diffusés. Nous nous sommes également penchés sur le rôle des chefs de famille pour les informer sur les comportements à adopter face à la pandémie. Nous en faisons des vecteurs d’information pour les autres membres de leur famille, leurs voisins et leur environnement immédiat. »
Depuis que le programme jouit d’une reconnaissance internationale grâce au Prix UNESCO-Roi Sejong d’alphabétisation 2019, l’Office et ses activités ont gagné en visibilité et bénéficient d’un soutien renouvelé de la part de divers acteurs, parmi lesquels responsables, alphabétiseurs et partenaires. Pour M. Kherbouche, le Prix a ravivé la volonté de renforcer le programme et de lancer de nouveaux projets, par exemple dans le domaine de l’éducation pour le développement durable et de la préservation du patrimoine immatériel du pays à travers les connaissances des apprenants, l’alphabétisation familiale et l’éducation à la citoyenneté.
« Au-delà des pratiques novatrices, dont la diffusion à grande échelle contribuera assurément à la promotion de l’alphabétisation, il nous semble réellement important de répandre l’idée que l’alphabétisation ne se limite pas à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, mais qu’elle constitue un investissement dans le potentiel humain dont les effets aux niveaux individuel et collectif sont garantis. »
Découvrez les stratégies adoptées par d’autres programmes d’alphabétisation récompensés par l’UNESCO pour maintenir leur action pendant la pandémie : Jordanie et République démocratique du Congo et Colombie et Indonésie.
Les deux prix internationaux d’alphabétisation de l’UNESCO sont : le Prix d’alphabétisation UNESCO-Roi Sejong, créé en 1989 grâce au soutien du Gouvernement de la République de Corée, qui accorde une attention particulière au développement de l’alphabétisation en langue maternelle ; et le Prix UNESCO-Confucius d’alphabétisation, créé en 2005 grâce au soutien du Gouvernement de la République populaire de Chine, qui est consacré à la promotion de l’alphabétisation au service des adultes et des jeunes non scolarisés, et en particulier des femmes et des jeunes filles, vivant en milieu rural.