La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse dépose son rapport final

4 mai 2021

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse dépose son rapport final

Montréal, le 3 mai 2021 – Après deux années de travail intense, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) présente publiquement avec beaucoup de fébrilité son rapport final. C’est à la suite du décès tragique de la fillette de Granby, en avril 2019, que le gouvernement a mandaté la Commission afin d’examiner les dispositifs de protection de la jeunesse, dans les différents réseaux d’intervention concernés, de manière à identifier les enjeux et les obstacles, et à formuler des recommandations sur les améliorations à apporter.

« L’originalité de notre rapport est qu’il propose aux Québécois un projet de société dans un tout cohérent, où chacun des chapitres et chacune des recommanDACTIONS sont interdépendants. Les recommanDACTIONS devront être mises en application dans une perspective de continuum pour que, dorénavant, aucun enfant et aucun jeune ne passent par la DPJ, à moins qu’ils ne vivent une situation qui compromet leur développement ou leur sécurité », a déclaré la présidente de la Commission, madame Régine Laurent.

Société bienveillante

Tous les enfants doivent pouvoir grandir et se développer pleinement dans des conditions favorables à leur bien-être. Au-delà des défis et des enjeux du système de protection de la jeunesse, nous estimons nécessaire d’inviter la population québécoise à prendre collectivement l’engagement de participer à la création d’une société bienveillante. Une société capable de mettre en place un véritable cercle de bienveillance autour de ses enfants et de ses jeunes, une société capable de mettre les enfants au coeur de ses choix.

« Chaque citoyen a un rôle à jouer pour assurer le bien-être des enfants. Une société bienveillante appelle une responsabilité collective qui exige la conjugaison des efforts de la population, des institutions et de l’État, pour répondre aux besoins des familles. Pour plusieurs enfants et parents qui vivent des difficultés, le fait de pouvoir évoluer dans une société solidaire et inclusive, de pouvoir compter sur une famille élargie, une amie, un voisin, une enseignante, un coach, peut faire toute la différence », a ajouté madame Laurent.

Droits des enfants

Dans une société régie par des règles de droit, la bienveillance s’incarne dans des actions législatives fortes et durables pour les enfants. Cette société doit se donner des moyens pour promouvoir non seulement les droits, mais également le bien-être de tous ses enfants. Ainsi, l’intérêt de l’enfant doit prévaloir dans toutes les décisions qui le concernent. Certains enfants ayant plus de difficulté à faire respecter leurs droits ont besoin d’une meilleure défense de leurs droits, notamment les jeunes autochtones, les enfants en situation de handicap, ceux appartenant à des communautés ethnoculturelles ou ceux faisant l’objet d’une intervention d’autorité de l’État.

Le respect de son intérêt implique que l’enfant ou le jeune doit participer aux décisions qui le concernent, tant sur le plan individuel que public. Même enfant, il est un citoyen à part entière, qu’il faut préparer à exercer un rôle contributif dans notre société. Pour ce faire, les informer, les accompagner et les écouter sont des façons concrètes de les initier à la vie démocratique et de développer leur citoyenneté. Il faut également veiller à leur droit d’avoir accès à des services qui répondent à leurs besoins; à cet égard, il faut porter une attention particulière aux enfants d’expression anglaise, ainsi qu’à ceux qui sont issus de communautés ethnoculturelles.

Pour toutes ces raisons, nous avons fait une série de recommanDACTIONS prioritaires qui visent à assurer le bien-être des enfants et le respect de leurs droits :

  • Adopter une Charte des droits de l’enfant
  • Instaurer une fonction de Commissaire au bien-être et aux droits des enfants
  • Instaurer une fonction de Commissaire adjoint, consacré aux enfants autochtones
  • Réaffirmer clairement les droits des enfants en protection de la jeunesse
  • Assurer une vigie relativement aux services dédiés aux enfants d’expression anglaise
  • Instaurer des stratégies pour assurer l’accès et l’adaptation des services aux communautés ethnoculturelles.

Enfants autochtones

La préservation de l’identité culturelle des enfants autochtones doit être affirmée dans la Charte des droits de l’enfant.
De plus, nous reconnaissons que les Premières Nations et les Inuit sont les mieux placés pour déterminer les besoins de leurs enfants et y répondre. La mise en oeuvre de l’autodétermination en matière de protection de la jeunesse est indissociable du bien-être des enfants autochtones au Québec. Ces enfants sont surreprésentés dans les services de protection de la jeunesse. L’application de la Loi sur la protection de la jeunesse, lorsqu’elle ne respecte pas la culture de l’enfant, produit des effets discriminatoires.

« Plusieurs commissions se sont déjà penchées sur les enjeux autochtones, et les solutions sont connues. Il est temps de passer à l’action pour les enfants des peuples autochtones », a précisé madame Laurent.

Services de prévention — De la grossesse à la vie adulte

Pour créer une véritable société bienveillante, il est incontournable de bien soutenir les familles et de protéger les enfants. Pour cela, il faut miser sur des services de prévention, de la grossesse jusqu’à la vie adulte. Les services doivent être organisés pour répondre aux besoins de toutes les familles et pour soutenir le développement de tous les enfants, tout en incluant des stratégies et des programmes adaptés pour rejoindre et aider efficacement les familles plus vulnérables. Pour ce faire, les services doivent être disponibles dans les milieux de vie des familles (dans la communauté, à la garderie, à l’école) et offerts avec l’intensité et pour la durée nécessaire. Les services doivent s’adapter aux familles, et non l’inverse!

Les enfants et les familles ont besoin d’être soutenus et accompagnés très tôt, au bon moment, avec les bons services, avant que des difficultés graves n’apparaissent. Ne compter que sur les directions de la protection de la jeunesse pour enrayer à eux seuls la souffrance et la détresse des enfants constitue une erreur et mène à une impasse. L’histoire nous l’enseigne. En contrepartie, lorsque leur intervention est vraiment requise, nous devons pouvoir pleinement compter sur leur diligence, leur expertise et la qualité de leurs interventions.

« Nous sommes convaincus qu’un virage “prévention” est à faire. Il faut agir le plus tôt possible dans la vie des enfants pour soutenir leur développement et nous assurer que ceux qui ont le plus de besoins reçoivent les services en temps opportun. Nous devons également agir sur l’ensemble des facteurs qui augmentent les risques de mauvais traitements et de négligence. Les conséquences de la maltraitance sur les enfants étant sévères et prolongées, cette dernière est incontestablement un enjeu de santé publique et mérite une attention systématique », a affirmé madame Laurent.

La détresse des parents a des effets très importants sur le développement des enfants, et ces difficultés doivent être prises en compte afin d’assurer une réponse adéquate aux besoins de chaque membre de la famille. Ces parents peinent à obtenir les services dont ils ont besoin, par exemple pour traiter des troubles de santé mentale, une dépendance ou pour recevoir de l’aide dans des contextes familiaux marqués par la violence conjugale. Le soutien parental est incontournable et constitue la pierre angulaire de la prévention.

L’offre de service, telle qu’elle est déployée actuellement, ne permet pas de rejoindre, de mobiliser et de soutenir adéquatement des familles en plus grande difficulté avec l’intensité nécessaire pour éviter la protection de la jeunesse. Mais il faut aussi que l’offre de service puisse soutenir les familles à la suite d’un passage de l’enfant en protection de la jeunesse afin d’éviter la récurrence de maltraitance.

Pour toutes ces raisons, nous avons fait une série de recommanDACTIONS prioritaires qui visent à renforcer, à rehausser et à compléter une panoplie de services de proximité à la famille :

  • En périnatalité et en petite enfance
  • En assurant des services de garde éducatifs aux enfants pouvant le plus en bénéficier
  • En renforçant le soutien offert dans les CLSC aux jeunes et aux parents
  • En augmentant le soutien psychosocial dans les écoles pour favoriser le bien-être et la réussite des enfants
  • En complétant l’implantation de programmes qui ont fait leurs preuves pour répondre aux besoins chroniques de certaines familles, afin d’éviter, dans la mesure du possible, le recours à la protection de la jeunesse
  • En finançant les organismes communautaires afin de leur permettre de réaliser leur mission, et ce, de manière récurrente et à long terme.

Nous croyons fermement qu’une action intersectorielle efficace permettra de mieux soutenir les familles en difficulté et de tisser un filet de protection autour des enfants, assurant leur développement harmonieux et leur bien-être. Les efforts de tous les acteurs doivent se conjuguer et les services doivent être bien coordonnés, de façon à avoir du sens pour les parents et les enfants. Les intervenantes doivent avoir le temps d’assurer un accompagnement réel et d’ajuster l’offre de service aux besoins des familles. Enfin, dans le but d’assurer une réelle collaboration, les renseignements nécessaires doivent être communiqués dans l’intérêt de l’enfant.

Une série de recommanDACTIONS sont proposées pour améliorer le travail collectif et concerté autour des familles. Elles touchent tant les stratégies pour améliorer le travail interdisciplinaire que pour atténuer les obstacles à la concertation, comme la confidentialité des informations sur la situation de l’enfant.

Protection de la jeunesse

La protection de la jeunesse incarne, en quelque sorte, les soins intensifs des services sociaux. Elle nécessite la mise en place de services spécialisés pour répondre aux besoins des enfants et des jeunes.

Il s’agit d’une intervention d’exception qui vise à protéger les enfants et ne peut constituer une porte d’entrée pour obtenir des services de soutien. La participation des jeunes et des parents est essentielle pour la réussite de l’intervention, et l’intérêt de l’enfant doit être au coeur de toutes les décisions de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Nous avons donc formulé des recommanDACTIONS qui visent à :

  • Mettre davantage à contribution les intervenantes significatives, quelle que soit leur appartenance, qui sont déjà impliquées auprès de l’enfant et de sa famille, et ce, à toutes les étapes du processus d’intervention en protection de la jeunesse
  • Porter une attention particulière aux enfants signalés à plusieurs reprises, en allant vérifier leur situation directement dans les milieux de vie avant de prendre la décision de retenir ou non le signalement
  • Rehausser le niveau de formation des intervenantes qui traitent les signalements, ainsi que le soutien et l’accompagnement qui leur est offert
  • Rehausser la rigueur de l’évaluation des situations, en tablant davantage sur le jugement clinique des intervenantes, qui devra être reflété dans la qualité des rapports qu’elles rédigent
  • Améliorer les pratiques de collaboration et de concertation entre la DPJ, les corps policiers et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) concernant les enfants victimes d’abus sexuels, d’abus physiques et de négligence grave.

Recours au processus judiciaire

Le recours au processus judiciaire devrait être limité aux situations où il est impossible de s’entendre avec les familles. Pour éviter les recours judiciaires, il est nécessaire de privilégier les approches de médiation à toutes les étapes du processus de protection de la jeunesse, incluant le volet judiciaire, en intégrant la participation, la mobilisation et la collaboration de toutes les parties.

À cet effet, nous avons proposé des recommanDACTIONS qui visent à :

  • Favoriser le recours accru aux approches de médiation et de concertation, tant dans l’intervention sociale que dans l’intervention judiciaire
  • Favoriser des approches de conciliation lorsque la situation est judiciarisée
  • Adapter le processus judiciaire à la réalité des familles en protection de la jeunesse.

Une famille pour la vie

« Chaque enfant a le droit de vivre au sein d’une famille bienveillante qui lui permet de grandir et de se développer sainement. La notion de permanence doit être au coeur du cadre légal, des pratiques cliniques et judiciaires. La famille biologique de l’enfant doit être accompagnée et soutenue afin d’offrir ce cadre et cette permanence. Si la famille biologique ne peut répondre aux besoins de l’enfant en temps opportun, celui-ci doit pouvoir s’enraciner dans une famille prête à s’engager envers lui pour la vie. Ces familles doivent être soutenues pour ce faire », a souligné madame Laurent.

À cet égard, nos recommanDACTIONS visent à :

  • Rendre obligatoire la prise en compte de ce que l’enfant exprime concernant son avenir et son projet de vie
  • Planifier mieux et plus tôt un projet de vie alternatif pour l’enfant, dès qu’un risque est constaté concernant la possibilité de le maintenir dans sa famille ou de le retourner auprès d’elle
  • Assurer que, dans tous les cas, ce soit le critère de l’intérêt de l’enfant qui dicte toutes les décisions concernant son avenir
  • Assurer le respect des durées maximales d’hébergement, au terme desquelles les décisions tant sociales que judiciaires doivent assurer la stabilité et la permanence des liens pour l’enfant, au sein d’une famille pour la vie
  • Faciliter le recours à l’adoption et à la tutelle pour les enfants, au terme des durées maximales d’hébergement, lorsque cela est dans leur intérêt
  • Introduire une nouvelle forme d’adoption, l’adoption sans rupture de liens avec la famille biologique, notamment pour des enfants plus âgés, pour lesquels leurs parents demeurent significatifs
  • Soutenir d’une meilleure manière les familles d’accueil prêtes à s’engager auprès des enfants, en améliorant les collaborations avec elles, en les accompagnant davantage pour assurer le bon développement des enfants et en leur offrant une meilleure formation.

Centres de réadaptation

Les placements en centres de réadaptation font partie de la réalité de certains jeunes. Ces centres sont souvent fréquentés par les enfants et les jeunes qui ont vécu des traumas et qui présentent des difficultés importantes, souvent dans toutes les sphères de leur développement.

Nous sommes soucieux que les services de réadaptation soient organisés de façon à favoriser le pouvoir d’agir des jeunes, à répondre à leurs besoins individuels et familiaux, à tenir compte des traumats qu’ils ont vécus, à répondre à leurs besoins relatifs à leur développement et à les préparer à la transition vers la vie adulte.

Nous recommandons entre autres que le gouvernement lance rapidement un chantier pour revoir l’offre de service et les pratiques cliniques en centre de réadaptation, et que celles-ci garantissent la pleine participation des jeunes et des parents ainsi que le respect de leurs droits.

Transition à la vie adulte

Les coûts humains et sociaux de l’absence de soutien à la transition à la vie adulte sont grands et entraînent des conséquences graves et durables. Une société bienveillante veille à ce que chaque jeune ait accès à un ensemble de mesures pour le soutenir dans cette transition importante de sa vie.

Pour favoriser un meilleur passage vers la vie adulte, nous recommandons de :

  • Mettre en place un programme de soutien post-placement jusqu’à l’âge de 25 ans aux jeunes en transition à l’autonomie, et ce, par différentes mesures visant les volets du logement, de la scolarisation et de la qualification professionnelle, du revenu, du soutien social et communautaire et de l’accès aux services de santé et aux services sociaux
  • Permettre aux jeunes de demeurer dans leur famille d’accueil jusqu’à l’âge de 21 ans, à la seule condition que le jeune fasse ce choix
  • Conserver le dossier de l’enfant ayant été suivi en protection de la jeunesse selon les règles usuelles de conservation en santé et services sociaux.

Conditions de pratique des intervenantes

Dans notre vision de la société bienveillante, les intervenantes qui oeuvrent quotidiennement auprès des enfants, surtout lorsqu’ils sont en situation de vulnérabilité, doivent disposer du temps et de la latitude nécessaires pour répondre adéquatement à leurs besoins. Leur travail est peu connu et peu reconnu, voire souvent décrié. Leurs conditions de pratique sont difficiles.

Pour les intervenantes des services à la jeunesse, nous recommandons :

  • De revoir leur charge de travail pour assurer la qualité des services
  • D’assurer leur sécurité physique et psychologique
  • De leur offrir un meilleur soutien et un meilleur encadrement
  • D’améliorer leur formation initiale et leur développement professionnel
  • De reconnaître leur pratique spécialisée d’intervention en protection de la jeunesse en exigeant certaines compétences spécifiques et en harmonisant les primes et les autres avantages sociaux à toutes les étapes de l’intervention en protection.

« Les intervenantes qui travaillent avec les enfants et les familles souffrent; elles ont l’impression que leurs conditions d’exercice ne leur permettent pas de dispenser des services de qualité. Il est important qu’elles soient mieux formées, soutenues, encadrées, que leur sécurité soit assurée et que leur charge de travail soit moins lourde afin qu’elles puissent s’occuper adéquatement des enfants et des familles », a affirmé madame Laurent.

Leadership

Les réformes du réseau, dont celle de 2015, ont fragilisé la gouvernance et le leadership du secteur psychosocial en supprimant d’importantes structures de soutien au développement clinique. Le modèle actuel de gouvernance du réseau est mal adapté à la réalité des services à la jeunesse, à la protection de la jeunesse et, de manière générale, au secteur psychosocial. Il est impératif d’établir un leadership clinique psychosocial fort et un suivi rigoureux afin que les enfants deviennent une priorité au sein de la société québécoise et pour assurer la qualité des services et des pratiques cliniques.

À cet effet, nos recommandations visent notamment à :

  • Rétablir un leadership national visant les services Jeunes en difficulté
  • Rétablir un leadership professionnel psychosocial au sein des CISSS et des CIUSSS
  • Rebâtir les ponts entre les milieux de la recherche et les milieux cliniques au niveau national.

Financement

Après 40 ans d’histoire de la protection de la jeunesse québécoise, le temps est venu d’investir pour réduire les coûts sociaux et économiques liés de la maltraitance — une évidence à ne plus nier. Il faut faire des choix intelligents qui offriront une protection plus efficace aux enfants, et ce, dans toutes les régions du Québec :

  • Investir en prévention afin de diminuer les coûts reliés à l’offre de services spécialisés et surspécialisés
  • Financer les services à la hauteur des besoins réels des enfants et des parents en protection de la jeunesse, mais aussi assurer le financement les services spécialisés que ceux-ci requiert
  • Assurer la continuité du financement à travers les cycles budgétaires.

Conclusion

« La mort de la fillette de Granby, Ti-Lilly, n’est pas que l’échec de nos services aux enfants, aux jeunes et à leurs parents, c’est notre échec collectif. Nous devons passer de l’indignation à la dignité. Nous devons transformer notre colère en actions. Nous devons passer d’un “Québec fou de ses enfants” à un “Québec digne de ses enfants” », a déclaré en terminant madame Laurent.