Au Canada et au Québec, la santé reproductive a toujours été au cœur des combats menés par les femmes et les enjeux ont été multiples : le planning des naissances, le droit à l'avortement, les conditions d'allaitement, la périnatalité, la pratique des sages-femmes, la procréation assistée, etc. Plusieurs acquis ont été obtenus, tels que le planning des naissances et le droit à l'avortement. Cependant, des obstacles et des défis restent à relever, notamment en matière de justice reproductive.
Sommaire
Éléments de définition
- Santé sexuelle : « approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles[;] possibilité de vivre des expériences sexuelles agréables et sûres, exemptes de coercition, de discrimination et de violence » (Organisation Mondiale de la Santé)
- Santé reproductive : recouvre les enjeux de santé sexuelle, ainsi que la capacité et liberté de procréation, soit le choix d’enfanter ou non, quand et comment (Fonds des Nations Unies pour la population)
- Justice reproductive : « La justice reproductive situe l’accomplissement de la pleine autonomie sexuelle et reproductive des femmes et des filles au sein d’un projet plus large de justice sociale. Ce mouvement a émergé de l’initiative de femmes racisées et autochtones et continue d’être majoritairement porté par elles. » (Fédération du Québec pour le planning des naissances)
Portrait statistique
Comme le rappelle l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le genre affecte à la fois l’accès à l’information et aux services en santé, ainsi que le parcours au sein du système de santé. En 2020, « près de 800 femmes par jour sont mortes de causes évitables liées à la grossesse et à l’accouchement » dans le monde, ce qui représente un décès toutes les deux minutes. L’écrasante majorité de ces décès maternels subviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire - environ 70 % en Afrique subsaharienne et 16 % en Asie du Sud. À titre de comparaison, d’après le Fonds des Nations Unies pour la population, « le risque de décès maternel au cours de la vie est de 1 sur 49 dans les pays à faible revenu, contre 1 sur 5 300 dans les pays à revenu élevé ». Ils sont principalement liés à la fragilité des systèmes de santé, accrue par les crises humanitaires et climatiques, et aux inégalités causées par les normes de genre. Qui plus est, ces taux stagnent depuis plus de deux décennies.
Statistique Canada nous informe qu’il « n'existe actuellement aucun ensemble complet de données sur un large éventail d'indicateurs de la santé sexuelle et reproductive au Canada ». C’est pourquoi une vaste enquête a été lancée en 2021, dont nous n’avons pas encore les résultats. Ce que l’on sait toutefois, c’est que l’accès aux soins et le respect des droits des patientes sont inégaux entre les femmes autochtones, les femmes racisées – d’autant plus si elles sont immigrantes –, et les femmes blanches. Ainsi, un mémoire publié en 2022 par la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador met en lumière qu’au moins 55 femmes des Premières Nations ou Inuit ont été stérilisées de force au Québec entre 1980 et 2019. Les participantes ont également relevé un « traitement différentiel, des attitudes négatives et des propos dégradants de la part du personnel médical ». Qui plus est, une étude menée par le Service aux collectivités de l’UQÀM et Relais-femmes indique notamment que « les femmes noires interrogées ont été victimes de bris protocolaires », c’est-à-dire « des moments de négligence à l’égard de pratiques qui ont été prédéfinies dans le système de santé ».
De même, il n’existe pas de chiffres sur la prise en charge des personnes de la diversité de genre et sexuelle. Cependant, l’organisme pancanadien Egale a mené une étude sur l’accès aux soins de santé des personnes trans et non binaires au Canada en 2023. Les résultats indiquent que « les participant·es faisaient face à divers obstacles et défis pour recevoir les soins qu’iels souhaitaient » et que « presque tou·tes les participant·es ont fait part d’une expérience négative » liée à « la divulgation et à l’invalidation de leur identité, à la discrimination et au rejet, ainsi qu’à la stigmatisation et à l’humiliation ».
Les évolutions et les acquis en santé reproductive au Québec
Selon la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), les luttes pour les droits des femmes en matière de santé reproductive datent de bien avant les années 1970.
En effet, en 1869 déjà « des milliers de personnes ont enfreint les lois canadiennes adoptées en 1869 et en 1892 qui rendaient illégaux l'avortement ainsi que toute diffusion d'information sur la contraception et la vente de produits contraceptifs et abortifs. Ainsi, l'information liée à la contraception et aux méthodes contraceptives était diffusée à travers un réseau informel. Au Québec, avant l'implication de Rita et Gilles Brault dans l'organisation d'assemblées de cuisine sur le cycle menstruel et la méthode sympto-thermique, c'est surtout le milieu anglophone qui rendait accessible certaines méthodes contraceptives comme la capote anglaise ».
Les combats des femmes ont permis plusieurs acquis en santé reproductive au Québec et dans le reste du monde : « soulevons, entre autres, la décriminalisation de l'avortement en 1988 et, plus récemment, l'injection de nouveaux fonds afin de consolider les services d'avortement partout à travers le Québec, l'accès accru à la contraception, une plus grande ouverture face à la sexualité, la reconnaissance internationale des droits reproductifs et sexuels des femmes lors de la conférence du Caire en 1994, la reconnaissance et la légalisation de la pratique sage-femme ainsi que l'instauration de quelques maisons des naissances ».
Les acquis pour les naissances
Au Québec, le mouvement pour l’humanisation des naissances a débuté au cours des années 70. Selon le Regroupement Naissances Respectées (RNR), « ce mouvement, fondé sur le féminisme et les approches auto-santé, cherchait à remettre la femme au cœur de l'expérience de la maternité, particulièrement lors de l'accouchement ». Ce mouvement a permis le rétablissement de la pratique sage-femme pour mieux répondre aux besoins des femmes et de leur partenaire. Le RNR a été créé en 1980 par des femmes et des sages-femmes et œuvre à la croisée du mouvement périnatal, du mouvement des femmes et du mouvement communautaire.
Des acquis importants ont ainsi été obtenus :
- La création de chambres de naissance;
- La présence du père lors de l’accouchement;
- Le développement de l’accompagnement à la naissance;
- La légalisation de la pratique de sage-femme incluant la loi, l’ordre professionnel autonome, le programme universitaire à l’UQTR et le règlement sur l’accouchement à domicile;
- La mobilisation pour un réseau de maisons de naissance sur tout le territoire québécois;
- La promotion, la protection et le soutien du droit des femmes de choisir le lieu et la personne qui les accompagnera lors de l’accouchement;
- La réintroduction d’une culture d’allaitement au Québec;
- La mise en place du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP).
Cependant, malgré ces acquis importants plusieurs obstacles restent à franchir pour une meilleure prise en compte des droits des femmes en périnatalité au Québec.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le mémoire Maternité et inégalités : réalité indissociable mais occultée du RNR.
L'avortement
Avant 1869, aucune loi n'existait sur l'avortement. Puis, le parlement canadien a adopté la première loi le criminalisant : devenait passible d'emprisonnement à vie toute personne qui tentait d'avorter ou de procurer un avortement. En 1892, le parlement criminalise cette fois toute diffusion d'information sur la contraception ainsi que l'annonce et la vente de produits contraceptifs.
Un peu moins d'un siècle plus tard, en 1962, selon le Bureau fédéral de la statistique, 57 617 admissions hospitalières sont dues aux complications liées à un avortement. En 1966, il s'agit même de la principale cause d'hospitalisation des femmes au Canada. Le 14 mai 1969, le projet de loi C-150 (Bill Omnibus) est adopté par le gouvernement fédéral, qui ne peut plus ignorer le scandale des avortements clandestins. Ce projet de loi autorise l'information sur la contraception, la vente de contraceptifs et l'avortement, sous certaines conditions - notamment qu'il existe un risque pour la santé de la mère évalué et établi par trois médecins. En 1988, l’avortement est décriminalisé; il n’a par la suite jamais fait l’objet d’une loi. Au Québec, il est gratuit et légal tout au long de la grossesse, bien que la plupart ait lieu au cours du premier trimestre.
Malgré ces acquis, le droit à l'avortement continue d’être remis en cause par certains groupes. En 2011, la FFQ et la FQPN ont ainsi mis en garde contre la réouverture du débat sur la loi sur l'avortement. Plus récemment, le renversement de Roe vs Wade aux États-Unis a remis l’accès à l’interruption volontaire de grossesse au cœur du débat public. D’abord, à l’échelle fédérale, des membres du Parti Conservateur ont tenté, en 2021 et 2023, de s’attaquer à ce droit fondamental. À l’échelle provinciale, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a souhaité légiférer sur l’avortement, mais les groupes féministes – et le Barreau – s’y sont opposés, pour que les anti-choix n’aient aucun texte légal auquel s’attaquer. Les moyens ont donc plutôt été mis sur l’amélioration de l’accès. Car, si le Québec dispose de plus de points d’accès que les autres provinces, il demeure inéquitable en fonction de là où l’on se trouve – il est parfois nécessaire de changer de région pour respecter les délais définis par les centres ou les cliniques. Qui plus est, la pénurie de main d’œuvre dans le système de la santé réduit la possibilité de choisir entre une interruption chirurgicale ou médicamenteuse.
Les obstacles en santé reproductive au Québec
Plusieurs obstacles restent difficiles à franchir en santé reproductive au Québec, dont le choix des professionnelles pour l'accouchement, la pression sociale sur l'allaitement en public et l’accès juste et égal aux soins de santé. On constate aussi des inégalités dans les conditions de vie toujours plus marquées entre les personnes enceintes.
Le choix des professionnelles pour l'accouchement
La Grande métropole de Montréal concentre plus d’un quart des naissances du Québec. Cependant, selon le RNR les disparités de taux d’interventions en 2009-2010 entre les différents centres hospitaliers sur deux des interventions les plus invasives sont préoccupantes : de 18 à 30 % pour les césariennes et de 5 à 25 % pour les épisiotomies. Cette situation serait d'autant plus préoccupante que l’OMS a fixé le taux optimal de césariennes entre 5 et 15 % au risque d’augmenter les taux de mortalités maternelle et infantile. Quant à l’épisiotomie, sa fréquence est d’autant plus troublante qu’elle constitue une pratique nuisible non-basée sur des données probantes.
Par ailleurs, le choix de la professionnelle pour l'accouchement a un impact important sur le déroulement de la grossesse, de l’accouchement et du postpartum immédiat. Au début des années 2010, au Québec, les obstétriciennes-gynécologues suivaient 58 % des femmes, les omnipraticiennes 40 %, et les sages-femmes un faible taux de 2 %. Aujourd’hui, ce taux est d’environ 4,2 %, contre 11,8 % à l’échelle du Canada. Cependant, un sondage CROP (2010) affirme que 26 % des femmes souhaiteraient accoucher à l’extérieur de l’hôpital, option que les sages-femmes sont les seules à offrir. Selon le RNR, un quart des femmes n'auront pas le choix de leur professionnelle et de leur lieu d’accouchement. Sur les listes d’attentes pour une place en maison de naissance, 3 femmes sur 4 reçoivent un refus – et ce sans compter les régions où les services des sages-femmes sont inexistants. Notons toutefois que le recours au suivi par une sage-femme nécessite d’en avoir connaissance. D’après une étude de santé publique réalisée en 2009 à l’échelle canadienne, les femmes qui choisissaient ce suivi étaient en moyenne plus diplômées et disposaient d’une forte stabilité en termes de configuration familiale et de revenus. Hirut Melaku, accompagnatrice à la naissance et à l’allaitement, souligne également qu’une « plus grande proportion de femmes noires accouche à l’hôpital comparativement aux femmes blanches » dans la mesure où elles se voient offrir moins de choix, et que les espaces de naissance sont composés en majorité de personnes blanches.
La pression sociale sur l'allaitement en public
Plusieurs groupes de femmes, au Québec, dénoncent le contrôle sur le corps des femmes durant la grossesse et à l’accouchement. Mais ce contrôle et cette pression sociale sont de plus en plus exercés sur l’allaitement dans un contexte d’hypersexualisation. En effet, le RNR déplore le fait que, dans les médias, de plus en plus de femmes allaitant leur bébé sont exclues d’endroits publics ou de magasins. Ces exclusions se justifient seulement sous prétexte d’atteinte à la pudeur : « voir le geste d’allaiter en public comme un acte vulgaire constitue une distorsion insensée lorsqu’on pense aux publicités sexistes qui abondent sur la place publique. Pourquoi répondre au besoin primaire de nourrir son enfant est davantage dérangeant que toutes ces publicités sexuellement suggestives présentant des femmes pratiquement nues? Pourquoi se permet-on de dicter aux femmes où et comment elles doivent nourrir leur enfant? Beaucoup de travail reste à faire pour que la société comprenne que l’allaitement est un geste naturel et que les femmes qui le pratiquent ont besoin de soutien, pas de contraintes et de jugement ».
Les perspectives en santé reproductive
Le Regroupement Naissance Respectées a mis l'accent sur un certain nombre de recommandations sur les défis et les perspectives en matière de santé reproductive au Québec :
- Afin de dresser un portrait québécois de l’état de la situation des droits des femmes en lien avec l’accouchement, une vaste étude longitudinale doit être réalisée sur la perspective des femmes et de leur expérience périnatale;
- La mise en place de politiques municipales pour le respect du droit à l'allaitement en public;
- Augmenter le respect des droits reproductifs par les intervenant·es du réseau de la santé, la reconnaissance de l’autonomie des femmes en lien avec la grossesse, l’accouchement et la première année de vie de leur enfant;
- Permettre aux femmes de faire un choix informé, aux scientifiques de faire des études basées sur des statistiques récentes détaillées sur les naissances, aux établissements de mesurer avec exactitude leurs efforts vers le soutien à la naissance physiologique et la réduction des interventions;
- Rendre publics et mettre à jour annuellement les taux d’interventions par établissement, par région et pour le Québec;
- Assurer l'implantation de mesures gouvernementales qui garantissent des conditions de vie décentes pour augmenter l’égalité des femmes enceintes ou qui œuvrent auprès des femmes en période périnatale.
- Résoudre le problème d’inaccessibilité aux soins et aux professionnelles pour assurer le respect du choix des femmes pour le suivi de grossesse et l’accouchement et pour lutter contre l'incompréhension du rôle des sages-femmes.
La Fédération québécoise pour le planning des naissances estime par ailleurs qu’il est nécessaire, dans un objectif de justice reproductive, de : « Placer les communautés les plus marginalisées en position de leadership; développer leurs compétences et leur pouvoir social, politique et économique; élaborer des plans de travail concrets (travailler par campagne, ou projet); intégrer des enjeux et des préoccupations issus de la communauté qui traversent les axes de la classe, de la « race » et des générations, et les porter sur la scène politique; développer des réseaux avec des organisations alliées ». Ces recommandations valent pour les personnes autochtones et racisées, mais également pour les personnes trans.
À cela s’ajoute la nécessité de souscrire, pour le personnel médical, au Principe de Joyce, c’est-à-dire de « garantir à [toutes et] tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle ».
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