Un meilleur aménagement des villes comme moyen de réduire la violence faite aux femmes
Cet éditorial signé par Carrie Mitchell peut être affiché en ligne ou publié gratuitement. Une version de langue anglaise a été publiée sur le site web du Globe and Mail le lundi 3 juin 2013. Une version de langue française a été publiée par HuffPost Québec le lundi 19 août. Veuillez noter que la photo de Kathryn Travers de Femmes et Villes International est également disponible pour publication. Pour plus de détails, contactez Isabelle Bourgeault-Tassé au ibourgeault-tasse@crdi.ca.
OTTAWA, le 20 août 2013 /CNW/ - Un mauvais aménagement du territoire urbain peut-il favoriser la violence faite aux femmes ? Pensons au viol collectif et au meurtre, survenus à New Delhi en décembre dernier, d'une jeune femme que les médias ont surnommée « Nirbhaya » (« sans peur »). Pendant qu'une population en colère envahissait les rues pour protester contre le meurtre de la jeune Nirbhaya, d'autres agressions brutales faisaient la manchette dans la presse internationale. Cette semaine encore, à Kolkata, une fillette de 11 ans a succombé à ses blessures après avoir résisté à son agresseur, tandis qu'une autre fillette âgée de 7 ans a été agressée, puis jetée d'un train qui traversait le Chhattisgarh.
Face à une population indignée par le problème de la sécurité des femmes, le gouvernement de l'Inde a mis sur pied un comité de haut niveau chargé d'examiner les réformes juridiques possibles pour empêcher les violences sexuelles. Présidé par l'ancien juge en chef J. S. Verma, ce comité a demandé à ce que l'on apporte des modifications radicales à la législation indienne. Il a notamment conclu que l'absence d'une bonne gouvernance était la cause évidente du climat d'insécurité actuel qui mine la primauté du droit.
Un aménagement judicieux du territoire urbain va de pair avec la bonne gouvernance. Les autorités et les urbanistes pourraient en faire davantage pour concevoir des villes sûres et inclusives, et ce, non seulement en Inde, mais aussi dans une grande partie du monde. Concevoir des villes en pensant à la dignité de leurs habitants les plus pauvres et les plus vulnérables ne constitue qu'un modeste geste de réparation par rapport à ce qui a si mal tourné à Delhi et à tant d'autres endroits.
Pour les femmes et les jeunes filles, les lieux publics sont trop souvent synonymes de danger. Chaque tâche quotidienne, comme le simple fait d'aller chercher de l'eau, peut tourner en incident violent : des bagarres éclatent à proximité des réservoirs d'eau et des fontaines publiques, les femmes étant contraintes d'en venir aux coups; femmes et jeunes filles sont couramment victimes de harcèlement et d'agression, les garçons faisant des commentaires grossiers et se prêtant à des attouchements pendant qu'elles font la queue pour obtenir de l'eau. Souvent, les toilettes publiques sont carrément dangereuses, et pas uniquement sur le plan sanitaire. Comme si le débordement des eaux usées, les jours sans eau ni électricité, les portes des cabines de toilettes brisées ou inexistantes et les frais d'utilisation élevés ne suffisaient pas, les femmes se font harceler par les hommes et les garçons qui rôdent autour des installations sanitaires. Elles se résignent souvent à déféquer dans un champ plutôt que de supporter la honte de se faire espionner dans les toilettes publiques.
Ces problèmes peuvent sembler impossibles à surmonter, mais il n'en est rien. Un simple petit geste consisterait, pour les représentants locaux et les prestataires de services publics, à marcher littéralement dans les pas des femmes. Inspirés par les mesures de vérification de la sécurité des femmes prises pour la première fois à Toronto et à Montréal, au Canada, des chercheurs du groupe Jagori, un organisme oeuvrant pour les femmes établi à New Delhi, organisent des tournées d'inspection des quartiers. Ils vérifient l'éclairage, l'aménagement des allées et l'état des installations publiques, notamment les sources d'eau communes et les toilettes publiques. Ils encouragent les autorités municipales à marcher avec les résidents de leur communauté, qui leur indiquent les installations inadéquates et les endroits où ils ne se sentent pas en sécurité.
Ces vérifications mettent en relief des problèmes qui étaient auparavant négligés et montrent à quel point des infrastructures médiocres et un mauvais aménagement du territoire urbain peuvent désavantager injustement les femmes et créer des milieux non sécuritaires. Les autorités remarquent alors les formes de harcèlement subtiles et moins subtiles dont sont l'objet les femmes et les jeunes filles qui tentent d'accéder aux services urbains essentiels.
La recherche a révélé qu'une solution consisterait à sensibiliser la population pour qu'elle comprenne bien ses droits et sache s'en prévaloir. Par exemple, on a constaté que des fonds destinés à la prestation de services urbains et qui devaient servir à la réinstallation de communautés à la périphérie de Delhi n'avaient pas été affectés tel que prévu. Les résidents ont invoqué la Right to Information Act (la loi sur l'accès à l'information de l'Inde) pour accéder aux archives publiques et ont par la suite fait valoir auprès des autorités locales leur droit à des services d'approvisionnement en eau, d'assainissement et de collecte des déchets.
Les changements sociaux ne se font pas du jour au lendemain, mais des progrès peuvent être réalisés à court terme. Il est possible d'adopter dès maintenant des mesures pratiques pour créer des espaces urbains qui ne fassent pas courir de risque inutile aux citoyens. Dans de nombreuses villes, ces mesures passent par la planification d'une prestation sûre et équitable des services urbains essentiels - l'eau, l'assainissement, la gestion des déchets et les transports publics - et par l'aménagement du territoire de concert avec les habitants pauvres et vulnérables, plutôt que pour ou contre eux. Cela signifie que les organismes et les citoyens doivent collaborer à l'atteinte d'un objectif commun : une bonne gouvernance urbaine, des espaces urbains sûrs et inclusifs et des services pour tous.