Publication du rapport « Influences : leçons tirées des politiques et des pratiques en alphabétisation et compétences essentielles au Canada, 1990-2019 »

17 fév 2020

Publication du rapport « Influences : leçons tirées des politiques et des pratiques en alphabétisation et compétences essentielles au Canada, 1990-2019 »

Source: 

Linda Shohet et Isabelle Coutant, Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)

Cette étude retrace l’histoire du développement du cadre des Compétences Essentielles (CE) au Canada, les liens entre les grandes enquêtes internationales sur les compétences des adultes et les programmes fédéraux, leur impact dans certaines provinces et territoires et leur influence sur les milieux de pratique en alphabétisation des adultes. L’objectif était également de contribuer à orienter les programmes et politiques fédéraux en matière de développement des compétences futures pour ou en milieu de travail.
Ce rapport s’est construit à partir d’entrevues avec dix-neuf personnes expertes dans ces domaines. Il s’appuie également sur une revue de littérature couvrant une trentaine d’années.

Le gouvernement fédéral a développé le cadre des Compétences Essentielles sur plusieurs années, à partir d’un travail rigoureux de recherche et d’analyse de tâches en milieu de travail. Un des objectifs initiaux du Projet de Recherche sur les Compétences Essentielles (PRCE) était de favoriser l’employabilité des personnes pour les métiers qui requièrent moins qu’un diplôme d’études secondaires, et surtout d’encourager la formation des employés du secteur privé. Nos sources ont remarqué que, dans un premier temps, ces objectifs ont été atteints, avec des impacts positifs. Par exemple, l’utilisation de la terminologie des CE a permis de parler de formation avec les employeurs, dans un registre plus adapté au milieu de travail et sans la stigmatisation associée à l’alphabétisation.

En revanche, des impacts négatifs on été perçus dès lors que le gouvernement fédéral a décidé d’utiliser les CE plus largement, en dehors du milieu de travail : vers la fin des années 2000, les organismes communautaires en alphabétisation et le milieu institutionnel de l’éducation ont été poussés à utiliser le cadre des CE, qui n’avait pourtant pas été conçu pour ces secteurs. Dans de nombreux organismes, ce changement a révélé un conflit de valeurs, le cadre des CE étant davantage vu comme émanant d’une logique de marché plutôt que d’une vision socialement progressiste.

Par ailleurs, le financement octroyé aux organismes en alphabétisation a été progressivement conditionné à la création de programmes qui permettaient de former des adultes au Niveau 2 « avancé », selon l’échelle des enquêtes internationales sur les compétences des adultes. Pourtant, la recherche indique que ces enquêtes sont seulement des études statistiques démographiques, qui servent à dresser un portrait de populations, et ne devraient donc pas servir à évaluer des individus. Plus encore, la définition du Niveau 3 des enquêtes comme « seuil acceptable » pour fonctionner adéquatement dans la société a été initialement proposée pour simplifier le discours sur les résultats. Cette proposition a malheureusement été acceptée comme un « fait » scientifique.

Selon nos sources, le cadre des CE a été conçu en ne prenant en compte que la réalité de la majorité anglophone du pays. Les CLOSM et les francophones du Québec n’ont pas participé à son développement, et les conditions de financement attachées aux CE ont souvent eu un impact négatif dans les CLOSM. Plus généralement, les besoins spécifiques des minorités (personnes immigrantes, Autochtones) n’ont presque pas été pris en compte lors du développement et du déploiement des Compétences Essentielles.

Dans le discours politique actuel, l’avenir du développement des compétences se trouve dans les technologies de pointe et le numérique. S’il est vrai que ces savoirs sont et seront de plus en plus demandés dans les milieux de travail, les compétences de base en littératie restent fondamentales dans toutes les sphères de la vie. Nos sources s’accordent à dire que le Canada  doit se doter d’une vision large de l’éducation et de la formation des adultes, d’une stratégie pan-canadienne dans ce domaine qui prenne en compte les personnes les moins alphabétisées, et inclure et répondre aux besoins de toutes les communautés culturelles.