Bilan 2022 de l'emploi au Québec - Un regard autre sur les pénuries de main-d'œuvre
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MONTRÉAL, le 9 févr. 2023 /CNW Telbec/ - Alors qu'un ralentissement économique se pointe à l'horizon, plusieurs experts se demandent quels en seront les impacts réels sachant que les employeurs s'arrachent encore les candidats. « Nous savions déjà que la pandémie a agi comme un véritable électrochoc en accélérant certains phénomènes sur le marché de l'emploi, mais notre récente analyse révèle qu'elle en a aussi créé d'autres », déclare Emna Braham, directrice générale de l'Institut du Québec (IDQ). Ainsi, dans son bilan annuel de l'emploi qu'il dévoile aujourd'hui, l'IDQ indique qu'il faut désormais non seulement suivre un plus grand nombre d'indicateurs pour brosser un portrait plus fidèle du marché du travail mais surtout, porter un regard autre sur les pénuries de main-d'œuvre.
Pourquoi les employeurs peinent-ils à trouver des travailleurs ?
À la base du phénomène de rareté de main-d'œuvre au Québec se trouve d'abord et avant tout une réalité démographique, avec une population active qui augmente moins rapidement qu'avant et plus lentement que dans les autres provinces. La pandémie est toutefois venue ajouter une contrainte supplémentaire pour certains employeurs en favorisant le déplacement de travailleurs moins bien rémunérés vers des emplois plus payants. Ainsi, depuis 2019, le Québec a gagné quelque 532 000 emplois dont le salaire-horaire s'élève à 30 $ et plus, rendant le recrutement plus ardu pour certains employeurs qui ne peuvent concurrencer au niveau des salaires.
Autre piste pouvant expliquer le phénomène : le fort taux d'absentéisme. En 2022, le nombre d'heures perdues pour des raisons de maladie ou familiales est demeuré 19 % plus élevé qu'avant la crise sanitaire. Pour combler ces heures perdues, certains employeurs ont dû recruter - ou du moins, tenté de le faire - un plus grand nombre de travailleurs. Reste maintenant à savoir si cette situation est temporaire ou si elle perdurera.
Avec 78 % des 15 à 64 ans au travail, soit un taux d'emploi plus élevé qu'avant la crise sanitaire et qu'ailleurs au Canada, la marge de manœuvre du Québec pour accroître son offre de main-d'œuvre demeure donc limitée.
Dans un tel contexte, pas étonnant que les employeurs s'ingénient à chercher des solutions pour combler leurs besoins et aient de plus en plus recours aux immigrants temporaires. Le nombre de travailleurs temporaires et d'étudiants étrangers à occuper un emploi a, par ailleurs, presque doublé au Québec depuis 2018, pour atteindre 111 600 ou 2,5 % de l'emploi en 2022.
Les travailleurs ont le bon bout du bâton, mais l'inflation joue contre eux
Dans la lutte à l'inflation à laquelle se livre la Banque du Canada, l'état du marché du travail et plus particulièrement, la hausse des salaires, fait l'objet d'une attention particulière. Or, notre analyse indique que les salaires ont augmenté de 5,8 % en un an, soit plus du double qu'en 2021. Cependant, cette croissance ne s'explique pas uniquement par les tensions sur le marché du travail mais également par le déplacement de travailleurs vers des emplois mieux rémunérés et qui tirent la moyenne vers le haut.
Bien que l'inflation gruge le pouvoir d'achat des travailleurs, elle ne les place toutefois pas dans une situation plus désavantageuse qu'en 2019. Ainsi, le salaire horaire moyen ajusté à l'inflation était plus élevé en décembre 2022 (21,39 $) qu'en décembre 2019 (20,56 $), soit une hausse de 4 %.
Ajouter des travailleurs ne suffira pas…
« Pour mieux comprendre pourquoi les tensions sur le marché du travail sont plus aigües au Québec que dans le reste du Canada, nous avons analysé la demande en main-d'œuvre, - soit la somme des emplois et des postes vacants -, en proportion de la production de chaque province, explique Emna Braham. Cette analyse révèle que le Québec serait plus " gourmand " en travailleurs. Ainsi, pour générer un milliard de dollars de PIB, la demande totale en main-d'œuvre au Québec est 17 % plus élevée qu'en Ontario. » Cette réalité s'expliquerait notamment par l'explosion du nombre de postes vacants qui ne requièrent aucune scolarité. Ils sont non seulement cinq fois plus nombreux qu'en 2016 mais ils représentent aujourd'hui plus du tiers de l'ensemble des postes vacants au Québec.
L'amélioration du niveau de scolarité de la population québécoise et la tendance des travailleurs à délaisser les emplois peu qualifiés depuis la pandémie indiquent qu'une partie de ces besoins en main-d'œuvre ne pourront probablement pas être satisfaits. Il faudra donc travailler à réduire cette demande accrue et, non pas seulement, à augmenter le nombre de travailleurs disponibles.
Les contraintes du marché du travail pourraient transformer l'économie
Ainsi, pour pallier les pénuries de main-d'œuvre, les entreprises n'auront d'autre choix que d'accroître leur productivité. La bonne nouvelle est, qu'avec une population plus éduquée et une économie qui s'appuie davantage sur des emplois à plus forte valeur ajoutée, le Québec semble avoir tout en main pour réussir cette nécessaire transformation de son marché du travail.
Comme pour toute transformation, cette dernière comporte toutefois des risques. D'abord, les employeurs qui peuvent difficilement accorder d'augmentations salariales ou offrir certaines conditions comme le télétravail devront être soutenus car leurs difficultés de recrutement risquent de perdurer en cette période de transition. Ce soutien sera nécessaire pour maintenir certaines productions au Québec, assurer la vitalité de nos régions ou encore favoriser l'attractivité de nos centres-villes.
De plus, bien que les efforts pour accroître le niveau d'éducation des Québécois commencent à porter leurs fruits, il n'en demeure pas moins que notre société est encore confrontée à des enjeux de littératie et de numératie, et de décrochage scolaire, lesquels pourraient même s'exacerber face à un marché de l'emploi prêt à tout pour combler ses besoins. À cet égard, il faut donc s'assurer d'accroître les investissements en éducation, notamment pour encourager la persévérance scolaire et ainsi, hausser le niveau de compétences essentielles à l'économie du savoir.