« Pour une personne analphabète, se rendre dans une bibliothèque c’est comme un non-sens. C’est un lieu de lecture, c’est un lieu de connaissance, et souvent ils ont une piètre estime d’eux-mêmes en lecture. Donc ils ne voient pas l’intérêt d’aller dans une bibliothèque. » - Formatrice en alphabétisation, Harvey 2018
Éléments de définition
- Bibliothèque : « organisme ou partie d’un organisme, dont les buts principaux sont de créer et d’entretenir une collection et de faciliter l’utilisation des ressources documentaires et des installations adaptées aux besoins d’information, de recherche, d’éducation, de culture et de loisirs de ses usagers [et usagères] » (ISO 2789:2006)
- Bibliothéconomie : « ensemble des techniques et savoir-faire nécessaires à la gestion d’une bibliothèque dans ses différentes dimensions » dont, principalement « la politique documentaire, la politique de services, la gestion des ressources (humaines, financières, matérielles), les processus de traitement et de communication des documents [et] l’automatisation des tâches » (Enssib 2013)
- Littératie : la littératie désigne la « capacité d'une personne à lire et à comprendre un texte, lui permettant de maîtriser suffisamment l'information écrite pour être fonctionnelle en société » (OQLF 2018)
- Alpha de la Matanie rappelle que la littératie se décompose en six niveaux : (0) Lire et comprendre les mots simples et familiers (1) Lire et comprendre des phrases simples (2) Lire et comprendre des textes simples, clairs, correspondant à des tâches peu complexes. (3) Capacité de comprendre et d’interpréter des textes denses ou longs (4 & 5) À ces niveaux, une personne peut traiter de l’information complexe et exigeante.
- Par ailleurs, la littératie se décline en différents sous-domaines, tels que la littératie financière, la littératie médiatique, la littératie numérique, la littératie scientifique, la littératie en santé, ou encore la littératie familiale, qui renvoie aux manières dont les familles utilisent au quotidien leurs compétences en littératie.
Typologie des principales bibliothèques
- Bibliothèques publiques, selon le Ministère de la Culture et des Communications :
- La Bibliothèque et Archives nationales du Québec est une société d’État ayant pour mission de se procurer, de conserver et de diffuser le patrimoine documentaire du Québec;
- Les Bibliothèques publiques autonomes desservent les municipalités de plus de 5 000 habitants;
- Les Bibliothèques affiliées aux centres régionaux de services aux bibliothèques publiques desservent les municipalités de moins de 5 000 habitants et fonctionnent principalement grâce à des bénévoles.
- Bibliothèques scolaires : « bibliothèque dépendant d’établissements d’enseignement de n’importe quel type au-dessous du niveau de l’enseignement supérieur, dont la fonction principale est de desservir les élèves et enseignan[t·es] de tels établissements » (ISO 2789:2006)
- Bibliothèques universitaires : « bibliothèque dont la fonction principale est de desservir [la communauté étudiante], le corps enseignant et le personnel d’une université ou d’une autre institution d’enseignement supérieur » (ISO 2789:2006)
- Bibliothèques communautaires : « bibliothèque qui ne fait pas partie d’une zone statutaire d'une région et qui n'est pas gérée ou entièrement financée par une autorité gouvernementale locale ou nationale [et qui] offre des services de bibliothèque à la population d'une communauté locale ou régionale » (IFLA)
Les compétences en littératie au Québec
Selon le Rapport québécois du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (2012) :
Niveau de littératie |
Part de la population de 16 à 65 ans (en %) |
---|
0 |
4,1 |
1 |
14,9 |
2 |
34,3 |
3 |
35,5 |
4-5 |
11,5 |
Autrement dit, la majorité de la population québécoise se situait en 2012 en dessous du niveau 3. Le score moyen en littératie au Québec était de 268,6 sur une échelle de 0 à 500, il était donc inférieur à celui du Canada, mais également à la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
La Fondation pour l’alphabétisation a calculé des projections pour l’année 2020, afin d’actualiser les données disponibles. Le rapport estime que la situation s’est nettement améliorée, bien que des enjeux persistent. Ainsi, le pourcentage de la population de 16 à 65 ans ayant un niveau de littératie inférieur à 3, c’est-à-dire des enjeux de traitement de l’information écrite, passerait de 53,2 % en 2012 à 46,7 % en 2020. Cette évolution positive serait liée, d’une part, à l’amélioration des taux de décrochage scolaire, d’autre part, au vieillissement de la population, les générations les plus âgées ayant obtenu les scores de littératie les plus faibles en 2012.
La fréquentation des bibliothèques au Québec
D’après l’Institut de la statistique du Québec, la fréquentation des bibliothèques a fortement augmenté en 2021 (+38,8 % d’entrées), mais reste bien inférieure à celle pré-pandémie. Il en va de même pour les visites virtuelles (+15,3 %). En 2022, la fréquentation a continué d’augmenter mais elle n’a toujours pas rattrapé les chiffres de 2019.
Mylène Racine, directrice des communications de la Grande Bibliothèque à Montréal, nous apprend par ailleurs que la majorité des emprunts se fait dorénavant en ligne, plutôt que sur place. Or, l’emprunt en ligne nécessite des compétences en littératie numérique relativement développées.
Rejoindre les populations peu alphabétisées
En 2007, nous avions lancé le Projet Alpha-Biblio, en partenariat avec les services de la bibliothèque de la Ville de Montréal et en collaboration avec six groupes et institutions. L’objectif était de sensibiliser et d’outiller le personnel des bibliothèques, de promouvoir l’accès à la lecture et de développer les activités concertées entre les bibliothèques et les groupes d’alphabétisation. Les répercussions ont été positives, toutefois, le besoin de consolider les initiatives a demeuré présent.
Ainsi, dix ans plus tard, si la situation s’était améliorée, elle n’était pas réglée pour autant. Une étude que nous avions réalisée pour la Direction des Bibliothèques de la Ville de Montréal en 2018 a mis en lumière l’utilisation des services des bibliothèques publiques et les perceptions de ces bibliothèques par les personnes peu alphabétisées. Il en est ressorti que les bibliothèques sont avant tout perçues comme des lieux d’emprunts de livres exclusivement, ce qui revêt un caractère intimidant pour les personnes ayant un niveau de littératie plus faible, et les autres activités ou services sont moins connus – voire ne le sont pas du tout. C’est pourquoi les bibliothèques doivent « offrir aux personnes moins alphabétisées un environnement dans lequel elles se sentent accueillies[,] leur fournir à la fois des collections adaptées [et] faire appel à du personnel formé » (Harvey 2018, 8).
La Fédération internationale d’associations de bibliothécaires et d’institutions estime en effet qu’il existe quatre prérequis pour promouvoir la littératie au sein des bibliothèques. Il faut en premier lieu un fonds attractif et à jour, véritablement arrimé aux besoins des personnes concernées. Il est également nécessaire de fournir du choix, tant dans les ressources que dans les services proposés. À cela s’ajoute le besoin d’un personnel formé aux enjeux d’alphabétisation et polyglotte, afin de favoriser les échanges avec les personnes nouvellement arrivées. Ceci étant, rien n’est possible sans une infrastructure accueillante et universellement accessible. L’Association des bibliothèques publiques du Québec va également en ce sens, plaidant pour une meilleure concertation entre les acteurs et actrices œuvrant en littératie.
Car, les bibliothèques peuvent repousser, en raison d’un accueil inadapté, d’un système d’orientation trop complexe, ou encore d’une programmation et de collections ne répondant pas aux besoins des personnes peu alphabétisées. Pourtant, dans la lignée de l’UNESCO, la Déclaration des bibliothèques du Québec insiste sur deux points. D’abord, la bibliothèque doit fournir un « accès aux ressources documentaires ou culturelles […] librement et sans discrimination ». Qui plus est, l’accompagnement fourni « s’articule et se développe en fonction des besoins spécifiques de ses usagers [et usagères] ». Pour mener à bien ces missions, des partenariats avec les organismes de terrain sont essentiels, mais rien ne se fera sans des politiques publiques ambitieuses, alors même que, selon l’Association des bibliothèques publiques du Québec, l’alphabétisation ne fait guère parti du débat public.
Des exemples de projets menés ici
Co-Savoir, alors connu sous le nom de CDÉACF, a lancé il y a plus de vingt ans des collections et des minibibliothèques pour les nouvelles apprenantes et apprenants, en collaboration avec le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec. L’objectif était de fournir une sélection d’ouvrages adaptés et diversifiées, mais aussi de permettre aux nouveaux lecteurs et aux nouvelles lectrices de manipuler et s’approprier l’objet même qu’est un livre. Aujourd’hui, chaque minibibliothèque contient une quarantaine de livres faciles à lire, regroupant, entre autres, des romans, des bandes dessinées, des livres d’histoire ou encore de sport. (Découvrez le Guide d'accompagnement.)
La Bibliothèque de Québec et le CHU de Québec-Université Laval ont lancé un programme de littératie en santé. Autrement dit, les deux institutions se sont alliées pour fournir à la population les « connaissances, [la] motivation et [les] compétences nécessaires pour trouver, comprendre, évaluer et utiliser l’information en santé en vue de prendre des décisions dans la vie de tous les jours au regard de l’utilisation des services de santé, des mesures de prévention et de promotion de la santé » (Shohet 2018). Ce projet a notamment pris la forme d’une collection nommée Remèdes littéraires, disponible dans six bibliothèques de la ville. Elle est constituée de différents ouvrages, sélectionnés par le personnel médical, qui vulgarisent et outillent la population sur la nutrition, la psychologie, la pédiatrie et les soins spirituels. Il demeure toutefois essentiel d’interroger l’accessibilité de cette collection pour les populations peu ou moins alphabétisées.
L’Institut canadien de Québec a quant à lui miser sur la littératie générale et la littéracie familiale, en développant deux projets pour les enfants : Une naissance, un livre et Éveil à la lecture. Dans le cadre du premier projet, en abonnant son enfant de moins de un an, la Bibliothèque offre un ensemble-cadeau comprenant différents ouvrages et magazines. Le second projet concerne les 0-5 ans, pour qui ont été développées différentes activités et ateliers impliquant la lecture. Dans le même ordre d’idée, depuis 25 ans, chaque 27 janvier est célébrée la Journée de l’alphabétisation familiale. La campagne nationale de lecture soutient des initiatives dans les provinces anglophones, que ce soit à Calgary, Halifax, Ottawa, Moose Jaw, Victoria ou encore Winnipeg.
Par ailleurs, depuis les années 2010, plusieurs bibliothèques ont engagé des travailleuses et travailleurs sociaux, afin de mettre en place des relations d’aide avec les populations vulnérables qui fréquentent les bibliothèques. Au Québec, c’est à Drummondville que l’on trouve la première initiative de ce genre, grâce à un partenariat avec l’organisme La Piaule Centre-du-Québec. Ce ne sont pas moins de 400 interventions qui ont été menées par la travailleuses pendant les neufs premiers mois de son mandat. Les bibliothèques peuvent ainsi poursuivre leur objectif d’intégration sociale et de réduction des inégalités.