Enjeux féministes des TIC

Les enjeux féministes des TIC : où en est-on?

Depuis l’arrivée d’Internet et des ordinateurs dans les foyers et dans les milieux de travail, le CDÉACF s’intéresse à l’impact de ces technologies sur les femmes : les TIC ont initialement été surtout valorisées pour leurs possibilités en termes de réseautage, de communication et d’accès à l’information.

Pourtant, les innovations technologiques ont également montré qu’elles creusaient des inégalités : l’accès aux technologies est loin d’être égal, et surtout les usages varient d’un groupe socioéconomique à un autre, les personnes les plus vulnérables étant les moins susceptibles d’effectuer des tâches à l’ordinateur (voir notre dossier PEICA).

En ce qui concerne les femmes, elles sont sous-représentées dans les métiers des TIC, non par manque de compétences ou d’intérêt, mais parce que des biais sociaux les conditionnent encore trop souvent à penser qu’elles sont moins bonnes que les hommes dans le domaine des technologies.

Plus grave encore, les risques associés à l’utilisation d’Internet sont un frein majeur à sa pleine appropriation par les femmes, celles-ci étant les principales victimes de cyberharcèlement et de violences en ligne.

Et pour les groupes?

Les impacts différenciés selon le genre se reflètent aussi dans les lieux de travail où les femmes sont la majorité des employé-e-s : c’est le cas dans les centres de femmes et les organisations féministes en général. Une étude menée par le CDÉACF en 2018 montrait en effet que les travailleuses se sentent souvent peu à l’aise avec les TIC et moins confiantes dans leurs choix technologiques.

Or, davantage d’autonomie dans ce domaine peut contribuer à augmenter l’impact du travail des groupes, à plusieurs niveaux :

Travail en équipe

Maîtriser les outils de travail à distance, faire les bons choix technologiques pour répondre aux besoins de l’organisation, résoudre des problèmes techniques ou savoir comment communiquer avec la personne qui vient dépanner le système, etc. : plus l’équipe de travail comprend et s’approprie les technologie, plus son travail est efficace, aussi bien en terme de collaboration que de sécurité ou de performance financière. Par exemple, faire le meilleur choix de service infonuagique sécurisé et choisir des logiciels libres et gratuits ont un impact direct sur la protection des données et le budget de l’organisme. Or, pour faire ces choix, il faut être informée et formée. Dans le milieu du logiciel libre, seulement 10% des personnes qui contribuent sont des femmes. Ce manque de diversité et de représentation renforce la perception que les outils libres ne concernent pas les femmes. Or, y contribuer permet de se doter d’outils adaptés à davantage de réalités, et de casser les biais qui se sont installés dans le codage même des programmes!

La mobilisation et la communication avec les membres

La communication à distance ne remplacera pas une activité d’éducation populaire féministe en présence, mais les technologies permettent d’informer, de mobiliser pour un événement, et de rejoindre des nouveaux publics. Pour utiliser à  leur plein potentiel ces outils, il faut aussi en comprendre les limites et faire des choix qui permettent bel et bien de créer des alliances. Par exemple, selon l’outil choisi, on rejoindra ou non des personnes en situation de handicap, selon la façon dont l’accessibilité a été pensée dans la création de cet outil.

Il faut aussi maîtriser les paramètres de sécurité de ses comptes de réseaux sociaux pour éviter de subir un vol de données ou du cyberharcèlement.

Plus généralement, pour les travailleuses, comprendre et s’approprier les TIC permet de soutenir les usagères dans leur propre apprentissage des appareils et services web, puisque les groupes de femmes accueillent aussi des usagères qui maîtrisent peu ou pas les TIC.

Les freins à l’appropriation des outils TIC

Internet et les appareils connectés en général sont pensés, créés et gérés en grande majorité par des hommes. Ce manque de diversité a un impact sur les représentations que l’on se fait de ce domaine de pratique et d’expertise. Les femmes manifestent moins d’intérêt pour les formations et les emplois dans les TIC, utilisent moins les nouveaux outils développés, et risquent donc de se retrouver à la remorque de l’utilisation des technologies.

La présence des femmes en ligne est également freinée par les risques associés à leur utilisation de l’espace numérique : chez les 18-29 ans, « les jeunes femmes (32 %) [sont] près de deux fois plus susceptibles que les jeunes hommes (17 %) de subir de la violence en ligne. Ces expériences malsaines créent un sentiment de méfiance, tant dans la vie personnelle que professionnelle.

De façon générale, les inégalités de genre se manifestent dans les TIC, les écarts de revenu ayant un impact sur l’accès aux technologies. De plus, le temps disponible pour les loisirs sur écran est fortement relié aux obligations familiales et domestiques, qui sont encore majoritairement assumées par les femmes.

Femmes et TIC : et pour l’avenir?

Comme dit plus haut, le domaine des TIC reflète des inégalités sociales présentes à bien d’autres niveaux. Cependant, la transformation numérique rapide et globale pousse les constats encore plus loin : la démocratisation des appareils connectés nécessite des matériaux dont l’extraction a des conséquences négatives sur l’environnement ; or, ces chantiers d’extraction ont un impact plus grand sur les femmes, comme l’a synthétisé le Réseau des tables régionales des groupes de femmes, dans son rapport Femmes et environnement : enjeux d’égalité pour toutes les femmes.

De plus, le développement des techniques qui utilisent l’intelligence artificielle nécessite que les femmes et les minorités intègrent ce domaine de travail, pour que les données générées reflètent la diversité plutôt que de véhiculer encore des biais ou omettre des pans entiers de la réalité du monde.

Enfin, la mission de transformation sociale des organisations féministes devra s’appuyer, en partie, sur le potentiel des TIC, ce qui implique de renforcer l’appropriation de ces outils et l’autonomisation des groupes dans leurs usages.