Portrait global des pratiques

Portrait global des pratiques

2012

LA DÉCENNIE 1980

Réagir aux conditions de vie des personnes peu alphabétisées, et plus particulièrement à celles des participantes et des participants des groupes, est un souci porté par le Regroupement, qui tente de diverses manières (échanges, formation, recherche, productions, etc.) de soutenir et d’outiller les groupes afin qu’ils soient en mesure d’agir sur ce plan. Comme cela est inscrit dans sa Déclaration de principes, un des objectifs du Regroupement est de « combattre les inégalités sociales dans le but de construire une société plus juste et équitable» 1. Au fil du temps, les « combats » se sont teintés de diverses couleurs et ont eu différentes cibles. Dans les premiers temps, la survie des groupes était sérieusement et sans cesse menacée, et la problématique de l’analphabétisme, encore méconnue, n’était pas prise en compte chez les décideurs, comme partout ailleurs. Conséquemment, pendant un bon nombre d’années, les efforts du Regroupement ont été investis majoritairement dans des actions visant à faire connaître et reconnaître l’importance de la problématique, à promouvoir la valeur des groupes, du Regroupement et de l’alphabétisation populaire elle-même, ainsi qu’à consolider le financement de l’ensemble du mouvement. Il fallait construire une argumentation, un discours pour expliquer et justifier ce mouvement. Dans les débuts, donc, la réponse plus concrète et directe aux conditions de vie des personnes peu alphabétisées a été portée au quotidien majoritairement par les groupes, laboratoires dans lesquels a été éprouvée une quantité impressionnante de formules et de moyens, dans lesquels on a pataugé, on a découvert, on a évolué.

Selon une animatrice, les travailleuses et les travailleurs étaient très touchés par le vécu des personnes participantes, mais ils n’avaient que peu de moyens concrets et peu de ressources à leur disposition. Au départ, il semble donc que pour réagir aux conditions de vie difficile, on agissait surtout sur les idées, on analysait les situations. La base de ce que l’on comprenait de la conscientisation se limitait majoritairement à cet angle. Bien sûr, on y imbriquait des plages de lecture ou d’écriture et des moments d’expression et de discussion. À cette analyse dite politique se greffaient des gestes de militance : les travailleuses et les travailleurs siégeaient à plusieurs tables de concertation et participaient à divers moyens de pression des autres organisations de défense des droits et d’éducation populaire. On allait manifester, actions auxquelles étaient grandement conviées les personnes participantes. Avec créativité, les groupes ont eu recours au fil des ans à toutes sortes de moyens, de matériel et de stratégies d’animation, tels la simulation d’un bureau de vote, l’organisation de débats, l’écriture collective de lettres de pression, le théâtre, etc. Un autre volet de réponse aux conditions de vie était l’alphabétisation fonctionnelle, qui permettait de traiter du matériel de la vie courante à partir de thèmes choisis par les personnes participantes. Une réponse encore abondamment apportée a été l’aide directe, individuelle. Les travailleuses et les travailleurs offraient généreusement de leur temps et portaient personnellement le souci du soutien aux personnes participantes. Ils offraient par exemple un coup de main dans la recherche d’un logement, pour un déménagement, pour remplir des papiers ou faire une épicerie. L’équipe d’animation cherchait aussi à améliorer les conditions de vie en établissant de bons rapports avec les personnes participantes.

On voulait établir des relations égalitaires, reflet du désir d’une société plus juste.

Dès les débuts, un des moyens promus et mis en action en accord avec les valeurs a été de tenter d’adapter les outils d’apprentissage aux besoins des personnes participantes et de choisir du matériel issu de leur réalité, de leurs demandes, plutôt que du matériel scolaire, souvent infantilisant et réducteur de leurs savoirs d’adultes. Rappelons qu’à cette époque, l’éducation des adultes en était à ses balbutiements. Il n’existait presque aucun outil pratique d’apprentissage de l’écrit adapté aux adultes ni presque aucune étude ou analyse qui portaient sur les personnes peu alphabétisées. Tout était à faire. On s’attelait à la tâche avec plein de bonne volonté : recherche et expérimentation d’outils et de méthodes existants, appropriation de ceux qui sont retenus, adaptation de nombreux autres, création de matériel, etc. On procédait donc par essais et erreurs, puis, avec des échanges, des réflexions et des retours critiques sur les expériences et les productions se coconstruisaient des connaissances et un savoir pratique et théorique sur les questions entourant l’alphabétisation populaire. Quelques années plus tard, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, avec la volonté de protéger son authenticité et de garder le cap sur l’essence de sa raison d’être, le Regroupement et ses membres se sont ouverts à d’autres influences. Ils ont profité des savoirs venant de l’extérieur, par l’entremise de documents et de formateurs universitaires, entre autres.

1 RGPAQ, Déclaration de principes, 2004.

Projection du film Nou, les écrivins, Montréal 2012

LES PRATIQUES AUJOURD’HUI

Avec la multiplication des groupes, les nombreuses expérimentations, les formations offertes par le Regroupement, la recherche, les collaborations, la production de matériel, etc., les pratiques se sont exceptionnellement développées, tout particulièrement celles en réponse aux conditions de vie des personnes participantes. Nous verrons dans un premier temps les pratiques associées directement aux différents volets de ces conditions, qui ont été présentés en première partie, soit celles en relation avec le revenu et l’emploi, le logement, la nourriture, la santé et les technologies de l’information et des communications. Nous terminerons avec un dernier texte, plus général, qui trace les grandes lignes de l’alphabétisation populaire toujours sous l’angle de la réaction aux situations vécues par les personnes qui fréquentent les organismes.