L'alphabétisation à l'ère des médias sociaux : l'expérience du Tour de lire

L'alphabétisation à l'ère des médias sociaux : l'expérience du Tour de lire

2013
Sylvain-Aimé Marcotte, Le Tour de lire

Résumé: 

Depuis de nombreuses années le Tour de lire situe les nouvelles technologies au cœur des apprentissages en alphabétisation populaire. L'article raconte comment le Tour de lire a intégré les médias sociaux dans ses pratiques.

Le RGPAQ offrait en janvier 2013 une formation intitulée « L’Action collective en alphabétisation populaire à l’heure des médias sociaux ». Le Tour de lire comptait déjà une longue expérience d’intégration de l’informatique et d’Internet dans ses pratiques, et l’idée de partir de notre expérience pour explorer avec d’autres les enjeux que posent les médias sociaux nous a amenés à participer à cette formation.

Au Tour de lire, l'informatique occupe une place importante dans nos programmes d'alphabétisation depuis plus de 15 ans. L'ordinateur a en effet rapidement été considéré comme un outil qui permettait de pratiquer la lecture et l’écriture et de se familiariser avec la technologie.

Nous nous sommes lancés dans l'aventure informatique avec une poignée d'ordinateurs « Mac carrés » entassés dans un corridor trop étroit. Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, nous possédons une salle d'informatique munie de dix ordinateurs connectés à Internet.

Le courriel

Depuis les débuts des ateliers en informatique, nous créons des comptes de messagerie par courriel pour les participantes et les participants. Les courriels, en plus d’être pratiques pour la formation, s’avèrent utiles dans la vie personnelle, car ils leur permettent de rester en contact avec les amis et les membres de la famille. Il s’agit aussi d’un outil essentiel pour nombre de services offerts dans notre société technocratique.
 
Pour la plupart des participantes et des participants, posséder sa propre adresse électronique constitue une fierté. Ils se sentent comme ceux qui « savent lire et écrire ». Nous faisons donc en sorte qu’ils aient à s'en servir. Ils échangent des lettres par courriel avec les autres participantes et participants et leurs formateurs. S’il est souvent très touchant de les voir envoyer leur premier courriel, il est encore plus émouvant de les voir recevoir le premier message qui leur est destiné.

Alphamonde

Le Tour de lire a créé en 2005, avec ses participants, un journal électronique interactif sur Internet afin d'échanger avec les groupes d'alpha du monde entier. Ce projet est né de la mise en pratique de l'utilisation des courriels, et c'est à la suite de l’enthousiasme suscité par une correspondance avec des personnes analphabètes de la Belgique qu'est venue l'idée de créer www.alphamonde.ca.

Ne plus s'exprimer uniquement en son nom

« Le besoin d'écrire sur leurs conditions de vie, sur ce qu'ils vivent dans leur groupe, sur les choses significatives du quotidien était très fort pour les participants et les participantes du Tour de lire. À leurs yeux, c'était un moyen d'exister. Créer une publication Internet interactive pouvait favoriser les discussions entre adultes francophones de différentes régions. Savoir qu'on n'est pas seul à éprouver des problèmes avec la lecture et l'écriture, à avoir des conditions de vie difficiles, à être en processus d'alphabétisation permet de briser son isolement, de se sentir plus fort et de s'ouvrir au monde 1

Nous pouvons être fiers d'avoir mis en place un média social interactif avant même que soit créé le célèbre Facebook, en 2006. À la même époque, nous avons aussi lancé le site Internet du Tour de lire.

1 RGPAQ, « Qu'est-ce que la prévention de l'analphabétisme? », Le Monde alphabétique, numéro 17, printemps 2005.

Facebook

Selon la plus récente étude NetTendances du CEFRIO, publiée en juin 2013, « 62,7 % des adultes québécois utilisent les médias sociaux. Cela correspond d’assez près au taux d’utilisation du géant en la matière, Facebook. Une tendance s’affirme aussi : les médias sociaux ne sont pas qu’une affaire de « jeunes » […] En fait, la proportion des utilisateurs de plus de 55 ans est passée de 58,9 % en 2012 à 73,9 % cette année. 2

En 2013, les participants du Tour de lire sont eux aussi entrés dans l'ère Facebook. Pourquoi les mettre en contact avec les médias sociaux?

Pour pratiquer la lecture et l’écriture certes, mais aussi pour ne pas passer à côté de cet outil de communication et de ce phénomène social. Plusieurs parlent même d’un enjeu de société.

Si on ne sait pas utiliser un ordinateur, Internet, les courriels et Facebook, certains disent qu’on devient un « analphabète informatique ». Ainsi, les personnes ayant de la difficulté à lire et à écrire risquent de devenir « doublement analphabètes » et d’être par conséquent exclues encore davantage de la société, d’où un réel besoin pour elles de s’approprier l’informatique, Internet et les médias sociaux.

En prenant la décision de créer notre page Facebook, nous avons voulu que celle-ci devienne un outil qui permettrait à nos membres de s'informer sur ce que le Tour de lire publie. Alimentée chaque semaine par un membre de l'équipe, la page devient en quelque sorte le reflet de la vie de groupe de l'organisme.

Facebook permet à notre organisme d’être exposé sur le Web. Nous avons également invité chaque participante et chaque participant à créer sa propre page Facebook, soit réelle, soit avec une identité « incognito », question de pouvoir tout lire et, plus important encore, de pouvoir s’exprimer et donner son opinion sur ce site.

Les participantes et les participants ont donc l'occasion d'aller lire le contenu de notre page et de pratiquer leur écriture en commentant les photos publiées et les articles ou messages diffusés. Le contenu de cette page les intéresse beaucoup, car dans les faits, c'est leur réalité qui est illustrée.

Les personnes faiblement scolarisées ont une culture axée davantage sur l'image. Ainsi, avec Internet et Facebook, remplis de photos et de vidéos, elles se sentent davantage interpelées et concernées.

Nous amorçons donc notre deuxième année « Facebook » et espérons voir d'autres groupes d'alpha faire le saut pour que nos participants puissent se faire de nouveaux « amis Facebook », comme on dit de nos jours!