Une communication simple et accessible en santé, ça nous concerne!

Une communication simple et accessible en santé, ça nous concerne!

2016
Ginette Richard

Résumé: 

Un exemple de pratiques citoyennes visant à augmenter le pouvoir des participantes et des participants sur leur santé

Un projet d’Alpha-Nicolet

À Alpha-Nicolet, d’année en année, la santé ressortait comme une préoccupation bien présente dans le groupe. Les participantes et les participants rencontraient de nombreuses difficultés lorsqu’ils utilisaient les divers services de santé : chez le médecin, à la pharmacie, chez le dentiste, lors de la préparation pour un examen médical, etc.

Dans ses activités de sensibilisation, Alpha-Nicolet faisait face au scepticisme des professionnels de la santé à l’égard de l’analphabétisme. De plus, un grand nombre d’intervenants se sentaient dépourvus de moyens pour rendre leurs services plus accessibles.

À l’écoute des participantes et des participants et aux prises avec les réactions des intervenants du milieu, l’organisme a donc décidé de réaliser un projet sur la santé. Ce projet visait à permettre aux participantes et aux participants de développer leur capacité à s’exprimer et à tisser des liens sociaux avec les divers professionnels du secteur de la santé pour ainsi augmenter leur pouvoir sur leur propre santé. Ce projet devait par ailleurs leur permettre de produire des outils qui aideraient les intervenants du réseau de la santé à adapter leurs pratiques aux besoins des personnes peu scolarisées.  

 

Un projet avec et par les participantes

Pour mettre en œuvre ce projet, un groupe de travail a été créé. Malgré les problèmes de transport, sept participantes qui fréquentent Alpha-Nicolet depuis plusieurs années se sont engagées dans ce projet. Pour elles, celui-ci constituait une façon de redonner à d’autres ce qu’elles ont elles-mêmes acquis au fil des ans en s’impliquant à Alpha-Nicolet, tout en leur permettant de renforcer des compétences qu’elles possédaient déjà. Le groupe est assez homogène, les participantes se débrouillent avec l’écrit, mais elles éprouvent encore des difficultés à décoder. La plupart d’entre elles ont participé soit à des groupes de travail, soit à des projets de l’organisme. 

L’horaire du groupe de travail était fixé en fonction des disponibilités des participantes. Les rencontres se tenaient les lundis à 10 h, heure à laquelle le transport permettait aux participantes d’arriver à Alpha-Nicolet.  

La constitution du groupe a constitué une étape cruciale. Les premières semaines, les participantes ont appris à travailler ensemble avant de commencer à se poser des questions sur la santé. Même si plusieurs participantes se connaissaient, l’accueil des nouvelles s’est avéré essentiel pour que toutes se sentent solidaires et unissent leurs efforts à l’occasion de ce projet. Tout au long de celui-ci, le travail d’équipe a occupé une place importante. Les compétences de chacune étaient utilisées en complémentarité pour la recherche et le décodage de l’information, pour fouiller dans la documentation, etc.  

 

Le groupe de travail, Alpha-Nicolet

Après deux ou trois rencontres d’une demi-journée, le groupe a lui-même décidé de prolonger le travail jusqu’à 15 h. L’intensité des activités variait pendant la journée. Le groupe prenait le temps au début de la journée d’échanger sur les expériences vécues pendant la semaine. Souvent, le thème de la santé surgissait dans ces discussions, un rendez-vous chez le médecin devenant l’occasion de parler des expériences. L’animatrice faisait un rappel relativement au travail effectué la semaine précédente en affichant les notes du groupe.  Elle demeurait à l’écoute du groupe, car c’était lui qui guidait le travail, et proposait des activités selon l’évolution du travail : travail en équipe, utilisation du projecteur, travail à l’ordinateur. Des pauses étaient prévues lorsque cela était nécessaire, et les discussions se poursuivaient le midi.

De plus, des intervenants du réseau de la santé, avec qui des liens avaient déjà été créés lors d’un projet précédent, étaient associés au projet. Ils ont participé à la recherche de moyens visant à faciliter la transmission de l’information et la communication, à l’intention des personnes les plus en contact avec le public, en particulier les infirmières.  

 

Notes du groupe de travail

Poser des questions et reconnaître l’importance de l’expérience de chacune 

Une des clés de la réussite de ce projet a résidé dans le fait que tout au long de cette réflexion, l’animatrice est demeurée à l’écoute des participantes tout en restant attentive à leurs attitudes, ce qui lui a permis d’anticiper les questions que les participantes pouvaient se poser et de déceler les doutes ou les préoccupations qu’elles pouvaient ressentir. Elle a accompagné le groupe de travail en posant constamment des questions pour aider les participantes à préciser et à définir les aspects qui exigeaient des éclaircissements, à faire des choix et à prendre des décisions. La communauté de recherche a proposé des questions pour explorer un sujet, par exemple : « As-tu des exemples de ce que tu dis? Qu’est-ce que ça implique? Comment sais-tu cela? Pensez-vous que c’est bon ou mauvais pour nous 1 ? »
Les discussions ont permis aux participantes de nommer ce qu’elles ont appris de leurs expériences personnelles avec les services de santé et d’insister sur l’importance de ces acquis. Le projet leur a offert un moyen concret de partager ces acquis avec d’autres.
La réflexion, la recherche et les rencontres au cours du projet leur ont également permis d’améliorer leurs connaissances et leurs compétences. Basée sur l’approche de conscientisation, l’intervention de l’animatrice avait constamment pour but de faire en sorte que les participantes trouvent leurs propres réponses. C’est ainsi que le projet a pu réellement devenir la réalisation du groupe de travail.

Étape par étape

  • Explorer les problèmes vécus

Dès le départ, les participantes ont travaillé à bien définir les problèmes : comprendre le fonctionnement des services de santé et le vocabulaire utilisé, décrire les difficultés rencontrées et trouver des moyens qui permettraient de surmonter ces difficultés.

Elles ont parlé des expériences personnelles vécues pour faire ressortir les propos et les consignes incompris dans les services de santé. Ce travail a permis de déterminer des lieux à visiter en vue de mieux comprendre le fonctionnement et le vocabulaire.

Elles ont réfléchi à des pistes de solution pour résoudre les problèmes vécus. Les membres du groupe de travail ont exploré les solutions qui permettraient une meilleure communication avec le personnel de la santé. De part et d’autre, quelles attitudes et quelles façons d’agir permettraient aux participantes et au personnel du milieu de la santé de mieux se comprendre? 

 

1 GAGNON, M. Guide pratique pour l’animation d’une communauté de recherche philosophique, Québec, Presses de l’Université Laval. http://catalogue.cdeacf.ca/Record.htm?idlist=2&record=19174459124919926319

Plusieurs rencontres avec des professionnels de la santé et visites au cœur des services de santé ont été organisées. Les participantes ont rencontré une pharmacienne, elles ont visité un laboratoire médical et se sont rendues à l’urgence d’un centre de santé. À la suite de ces visites, elles ont traité l’information recueillie et les notes prises, les enregistrements audio et la documentation reçue.

Elles ont analysé l’accessibilité de la documentation et de l’information médicales : documents sur des maladies chroniques, les premiers soins, les soins des pieds, etc. Ensemble, elles ont fait des recherches dans des encyclopédies, des dictionnaires et sur Internet.

Elles ont fait des mises en situation pour être en mesure de jeter un autre regard sur leurs propres expériences dans les services de santé.

  • Comprendre la communication interpersonnelle

Des activités sur la communication

Le groupe de travail a cherché à mieux comprendre la communication interpersonnelle, ce qui faciliterait par la suite la création d’outils qui permettraient d’améliorer la communication dans le milieu de la santé. Tout au long du projet, des activités ayant pour but de susciter la réflexion sur la communication ont été organisées. On a entre autres parlé de l’écart qui existe parfois entre ce qu’une personne dit et ce qu’une autre comprend de ce qui est dit. Cette réflexion a eu pour effet immédiat de resserrer les liens au sein du groupe de travail, de susciter un sentiment de solidarité des unes envers les autres et de faciliter le travail en équipe.  

Deux exemples d’activités sur la communication 

Demander à une personne de décrire à une autre une forme dessinée sans que la dernière ne puisse voir cette forme et observer par la suite la différence entre ce qui a été dit et ce qui a été compris.
 
Les trois filtres de Socrate : se demander si quelque chose est vrai, bien et utile avant de s’exprimer.
 

 

Visite au laboratoire

Analyse de la communication entre médecin et patiente

Le groupe a écouté la vidéo Bongour docteur, qui reflétait bien leur vécu. Elles y ont reconnu leurs propres expériences. Ces discussions ont permis de mieux comprendre la communication entre un médecin et une patiente.

  • Des outils pour répondre aux besoins

Grâce à tout ce travail, les participantes ont réussi à définir les problèmes de communication qui causaient le plus d’inquiétude à l’égard de la santé. Les discussions leur ont par ailleurs permis de déterminer les principaux besoins à l’origine de ces difficultés. C’est ainsi qu’elles ont décidé de produire trois outils pour répondre à ces besoins :

Le premier outil a été conçu à l’intention des intervenants du milieu de la santé et des personnes peu scolarisées : « Se comprendre... Pour ma santé, c’est important ! »

Il devait permettre d’améliorer le canal de communication entre les personnes peu scolarisées et les professionnels de la santé.

Cet outil a été produit avec un dessinateur graphiste. Pour les participantes, c’était une première. Elles devenaient des expertes dotées d’un rôle clé, ayant à déterminer le contenu et les situations à illustrer et à guider la création des illustrations. Grâce à la collaboration d’un professionnel, la qualité graphique de l’outil contribuerait à ce qu’il soit mieux perçu par les personnes qui l’auraient en main et permettrait d’accroître sa durabilité.

Ce premier outil a été distribué, avec la collaboration des intervenants du réseau de la santé, à tous les intervenants concernés dans divers services de santé (professionnels de l’urgence, infirmières, pharmaciens, etc.). 

Pour les salles d’attente, à cause des exigences liées à l’hygiène et du manque de ressources pour le nettoyage régulier des outils d’information, des affiches ont été produites. Celles-ci ont été conçues en deux versions pour deux périodes de l’année afin de souligner la Journée internationale de l’alphabétisation et la Journée de l’alphabétisation familiale. Deux autres outils ont été entièrement produits par le groupe. Les participantes ont eu à trouver des images pour illustrer le contenu qu’elles avaient élaboré, ce qui les a amenées à explorer le concept des droits d’auteurs.  

 

« Moi et le monde médical » serait destiné aux personnes peu alphabétisées ou peu scolarisées afin d’aider ces dernières à se préparer aux rendez-vous médicaux et de leur permettre de gagner en confiance relativement à leur capacité de s’exprimer et de discuter avec le personnel soignant. Ce second outil a été distribué de porte en porte dans toute la municipalité.  

Un troisième outil s’avérait nécessaire : « Être à jeun et comment y parvenir ».

 Le défi demeure de trouver les moyens de transmettre cet outil aux médecins afin qu’ils le remettent à leur tour aux patients qui doivent être à jeun pour des examens médicaux ou des prélèvements.

Faire confiance

Une autre clé de la réussite de ce projet a résidé dans la confiance en la capacité des participantes de réaliser ce projet. Le groupe de travail a su traverser les étapes laborieuses de la recherche et de l’analyse et faire les choix nécessaires aux différentes étapes. L’animatrice a ressenti quelques doutes pendant les étapes où il y avait beaucoup d’information à traiter, et il a parfois fallu rappeler aux participantes les résultats visés. Malgré cela, le projet s’est poursuivi avec succès, et ce, surtout grâce à la confiance accordée aux participantes.  

 

  • La diffusion des outils

Sur la base de leurs connaissances des difficultés vécues, des objectifs visés par chacun des outils, des besoins auxquels ceux-ci devaient répondre, des ressources en santé concernées dans leur localité et du budget disponible, les membres du groupe de travail ont planifié la distribution des outils tout en précisant le nombre d’exemplaires à produire, le mode d’impression et d’assemblage, la distribution (où et comment), etc. Tout un exercice de planification et de calcul!

  • Le lancement des outils

Le processus ne pouvait prendre fin sans un lancement des réalisations du groupe, qui permettrait de faire connaître ce projet et les outils produits. Le groupe de travail a organisé les divers aspects du lancement : les invitations, le déroulement de l’évènement ainsi que les présentations pendant le lancement. (photo 65 lancement )

  • L’impact du projet

Tout au long de ce projet, les participantes du groupe de travail ont eu à planifier, à comprendre une quantité importante d’information tant orale qu’écrite, à écrire, à prendre des notes et à calculer. Le projet a constitué pour elles une occasion non seulement d’apprentissage de nouvelles connaissances, mais aussi d’acquisition de nouvelles compétences individuelles et collectives et d’un plus grand pouvoir sur leur vie et sur leurs relations avec le personnel du secteur de la santé. Elles ont retiré de la fierté d’avoir contribué à la solution d’un problème important dans les services de santé de leur milieu.

Alpha-Nicolet estime que ce projet a contribué à une meilleure compréhension, par le personnel du milieu de la santé, des difficultés vécues par les personnes peu scolarisées lorsque ces dernières doivent avoir recours aux services de santé.

  • Des obstacles importants 

La réalisation d’un tel projet ne va pas sans la rencontre d’une multitude d’obstacles. Il est en effet ardu d’obtenir la collaboration des intervenants du réseau de la santé. Les structures sont complexes, et les gens sont débordés. De plus, les structures sont instables et il y a beaucoup de roulement de personnel. Par exemple, les personnes qui ont collaboré à ce projet ont changé de postes. Le travail est donc constamment à refaire pour maintenir la collaboration.

Le transport constitue également un obstacle majeur. Les participantes doivent se déplacer sur un grand territoire où le transport collectif est absent. Alors, comment faciliter la participation?

Le manque de temps et de ressources a des conséquences importantes. Une fois le projet terminé, comment soutenir les participantes pour qu’elles parlent de leur expérience avec les nouvelles venues dans le groupe? Comment faire le suivi des outils distribués? Comment entretenir la collaboration avec les intervenants dans le réseau de la santé?

Conclusion

Au cours de ce projet, les participantes sont parties d’une expérience commune, qu’elles ont analysée ensemble. Elles ont proposé des moyens de transformer des situations pour qu’elles, et d’autres vivant des situations similaires, puissent reprendre du pouvoir sur leur santé. Ainsi, par ce projet, on voit comment, avec l’approche de conscientisation, la lecture, l'écriture et le calcul constituent des outils qui permettent de prendre la parole et d’acquérir du pouvoir sur sa vie et son milieu. Cette expérience d’Alpha-Nicolet constitue un bel exemple de pratique citoyenne et illustre comment les principes de l’alphabétisation populaire s’intègrent dans un groupe.