Résumé:
« Aujourd’hui, je ne vais pas à l’école. Ça ne me tente pas de me faire écoeurer. » Violence homophobe et impacts sur la réussite scolaire au Québec Plus du tiers (38,6%) des 2747 élèves du secondaire sondés dans le cadre de cette étude rapportent avoir été victimes d’au moins un acte de violence en milieu scolaire, parce qu’ils sont ou parce qu’on pense qu’ils sont lesbiennes, gais, ou bisexuel-les (LGB). Au collégial, 4,5% des répondant-es rapportent avoir vécu de la violence homophobe. Ces résultats de la recherche Impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires (Line Chamberland, chercheure principale, UQAM) révèlent que la violence à caractère homophobe n’est pas uniquement le lot d’une minorité d’élèves LGB, mais bien d’une grande proportion d’élèves, sans égard à leur orientation sexuelle, à leur sexe, à leur langue d’origine, à leur lieu de naissance ou de scolarisation, ou encore à leur niveau scolaire. Cette recherche, menée en collaboration avec des chercheur-es des universités UQAM, Concordia et McGill, visait à dresser le portrait du climat scolaire des écoles secondaires et des établissements collégiaux du Québec, en lien avec l’homophobie, ainsi qu’à étudier les impacts de la violence homophobe sur le cheminement scolaire des jeunes de minorités sexuelles qui en sont ou en ont été victimes. Dans un premier temps, un questionnaire sur l’homophobie et l’homosexualité en milieu scolaire a été rempli par des élèves de niveau secondaire 2e cycle (n= 2747) et de niveau collégial (n= 1844). Des entrevues ont également été menées, individuellement ou en groupe, auprès de 73 jeunes de 14 à 24 ans s’identifiant comme lesbiennes, gais, bisexuel-le-s ou en questionnement (LGBQ), provenant de familles homoparentales (F) ou s’identifiant comme transsexuel-les (T). Les questions d’entrevue portaient sur leurs expériences scolaires et personnelles en lien avec leur orientation sexuelle (ou celle d’un parent) et/ou leur identité de genre. Quatre conclusions majeures peuvent être tirées de cette étude. D’abord, les résultats du questionnaire d’enquête permettent de constater le caractère endémique de l’homophobie en milieu scolaire québécois, tout particulièrement en ce qui a trait à l’utilisation de remarques négatives à l’égard de l’homosexualité (« c’est gai », « c’est fif ») ainsi qu’aux insultes homophobes. Près de 9 élèves du secondaire sur 10 (86,5%) affirment entendre régulièrement de telles remarques dans leur environnement scolaire, et c’est également le cas de 7 cégépiennes sur 10 (68,8%). Dans la mesure où les jeunes LGBQ ne divulguent souvent pas leur orientation sexuelle, les remarques et les violences homophobes prennent pour cible les élèves ayant des goûts dits « non conformes à leur genre » (par exemple, un étudiant aimant les arts ou une étudiante qui joue au hockey). En ce sens, les élèves transsexuel-les ou questionnant leur identité de genre rapportent également vivre de grandes difficultés en milieu scolaire, notamment lorsqu’ils ou elles doivent fréquenter des espaces sexués (salles de bain ou vestiaires). Qui plus est, bien que les élèves LGBQ soient proportionnellement plus nombreux que les élèves hétérosexuels à avoir vécu de l’homophobie (69,0% vs 35,4% au secondaire), ces derniers représentent néanmoins une proportion importante des victimes. Les garçons sont plus nombreux à rapporter entendre souvent des remarques homophobes, sont plus sujets aux bousculades et aux coups, de même qu’aux insultes, taquineries méchantes et humiliations. Pour leur part, les filles sont plus sujettes à la victimisation homophobe de nature sexuelle et à la cyberintimidation. Sur le plan des incidents de victimisation rapportés, nous ne pouvons établir avec assurance quelque distinction que ce soit entre les régions métropolitaines de recensement (RMR) de Montréal, de Québec et l’ensemble des autres régions. Deuxièmement, plusieurs des élèves victimes d’homophobie rapportent ne pas dénoncer les incidents dont ils sont victimes par crainte de répercussions négatives, par peur de passer pour un mouchard, parce qu’ils croient que rien ne sera fait pour corriger la situation ou parce qu’ils estiment que l’événement en question n’est pas assez grave pour justifier une dénonciation. Ainsi, au secondaire, seuls 22,2% des élèves victimes ont déclaré avoir rapporté au moins une fois un incident vécu à une personne d’autorité. Les élèves de niveau collégial sont encore moins prompts à rapporter de tels incidents: seulement 5,1% de ceux qui en ont vécu un déclarent l’avoir rapporté. Ces constats s’étendent aux témoins d’incidents homophobes, qui sont tout aussi peu susceptibles de rapporter les événements auxquels ils assistent à une personne d’autorité. Troisième constat, les élèves LGBTQF victimes d’homophobie interviewés ont été nombreux à rapporter vivre des difficultés psychologiques (diagnostiquées ou non), telles que des troubles de l’humeur (tristesse, dépression, idéations ou tentatives de suicide), des troubles anxieux ou encore une faible estime d’eux-mêmes. Ces conséquences ne sont évidemment pas sans impact sur le cheminement scolaire. Ainsi, parce qu’ils anticipent des épisodes d’homophobie ou parce qu’ils doivent côtoyer leurs agresseurs sur une base quotidienne, plusieurs participant-es rapportent se sentir mal à l’aise à l’école et avoir de la difficulté à se concentrer en classe. Certains vont même jusqu’à manquer un cours, ou encore une journée, parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité dans leur milieu scolaire. La réussite scolaire de plusieurs jeunes victimes d’homophobie pâtit également de leurs difficultés de concentration et de leur manque d’intérêt pour l’école, et ce, à différents degrés (baisse importante des résultats scolaires, désir de changer d’établissement scolaire pour s’extirper d’un milieu homophobe, décrochage scolaire). Chez certain-es participant-es, ces impacts peuvent être contrecarrés par le soutien d’ami-es ou de professeur-es, ou encore par la pratique d’activités variées (arts, sports, militantisme, etc.) qui ont lieu dans le cadre scolaire. La pratique de ces activités parascolaires permet de créer un lien d’appartenance au milieu scolaire, ce lien étant considéré comme un facteur motivationnel pour rester sur les bancs d’école. D’autres participant-es se sont investis pleinement dans leurs études (ou dans un cours d’intérêt particulier) et ont misé sur leur réussite scolaire comme levier de résilience et comme moyen d’aller chercher une certaine valorisation personnelle, compte tenu de l’isolement et des divers impacts psychologiques découlant de l’homophobie. Cette recherche a été initiée dans la foulée des travaux du Groupe de travail mixte contre l’homophobie et des recommandations de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse dans son rapport De l’égalité juridique à l’égalité sociale (mars 2007). Dans un contexte où les institutions scolaires sont interpellées par la question de l’homophobie, cette étude, la première de cette envergure à se pencher sur le climat scolaire relatif à l’homophobie dans les établissements d’enseignement québécois, vient confirmer les tendances observées dans des enquêtes similaires récentes, au Canada et aux États-Unis. En documentant de manière concrète et exhaustive les manifestations et les conséquences de l’homophobie en milieu scolaire, cette recherche contribue à sensibiliser et mobiliser les acteurs du monde de l'éducation autour de cette question, à cibler les guides d’intervention existants et à mieux faire connaître les outils disponibles et les modèles de pratiques déjà en place. Elle évoque également la nécessité pour les directions d’école, les enseignant-es et les intervenant-es de mettre en place des efforts concertés de lutte contre l’homophobie et de sensibilisation à la diversité sexuelle. Au niveau national, cette nécessaire concertation peut s’appuyer sur la présence de deux Tables nationales de lutte contre l’homophobie, l’une pour le réseau scolaire et l’autre pour le réseau collégial. Elle sera également favorisée par l’inclusion de l’homophobie dans les programmes ministériels existants (Plan d’action pour prévenir et traiter la violence à l’école, École en santé).
Éditeur:
Université du Québec à Montréal
Secteur:
Éducation primaire/secondaire
Études postsecondaires