« Sexisme et racisme : le cas français » - parution de Nouvelles Questions Féministes

« Sexisme et racisme : le cas français » - parution de Nouvelles Questions Féministes

Publication de Nouvelles Questions Féministes : Février 2006 Volume 25 numéro 1 : "Sexisme et racisme : le cas français". Février 2006. Coordination : Natalie Benelli, Christine Delphy, Jules Falquet, Christelle Hamel, Ellen Hertz, Patricia Roux Sommaire : Grand Angle - Laura Nader : Orientalisme, occidentalisme et contrôle des femmes - Julia Clancy-Smith : Le regard colonial : Islam, genre et identités dans la fabrication de l'Algérie française, 1830-1962. - Christelle Hamel : La sexualité entre sexisme et racisme : les descendant·e·s de migrant·e·s originaires du Maghreb et la virginité - Christine Delphy : Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme - Patricia Roux, Lavinia Gianettoni et Céline Perrin : Féminisme et racisme. Une recherche exploratoire sur les fondements des divergences relatives au port du foulard Champ libre - Aïcha Touati : Féministes d'hier et d'aujourd'hui, ou le féminisme à l'épreuve de l'universel Parcours - Houria Boutelja : « On vous a tant aimé·e·s ! ». Entretien avec Houria Boutelja, initiatrice du Mouvement des Indigènes de la République et de l'association féministe Les Blédardes. Réalisé par Christelle Hamel et Christine Delphy, juin 2005 Comptes rendus - Natalie Benelli : Christelle Taraud : La prostitution coloniale - Silvia Ricci Lempen : Charlotte Nordmann (Dir.) : Le foulard islamique en questions Collectifs - Farinaz Fassa : Pour que les droits formels deviennent des droits réels : le New Women's Movement, Afrique du Sud Tous les détails sont disponibles au : http://www2.unil.ch/liege/nqf/sommairesNQF/som251.html **** Sexisme et racisme : le cas français Cette dernière livraison de NQF revient sur un sujet central pour la recherche comme pour la pratique politique : l'imbrication entre le sexisme et le racisme, notamment à travers un réexamen de la vive polémique déclenchée par « l'affaire du foulard » en France et la loi du 15 mars 2004 interdisant aux élèves des écoles publiques le port de signes religieux « ostentatoires ». Alors que la pression médiatique et politique a un peu diminué, au moment cependant où les effets de cette loi commencent à se faire pleinement sentir, NQF propose de recadrer le débat, en apportant des perspectives historiques, anthropologiques, sociologiques et internationales sur les enjeux profonds de cette question, en particulier sur le (post)colonialisme. À l'époque, le débat s'était rapidement figé autour de deux points de vue. D'un côté, l l'argument de la défense des droits des femmes et de l'égalité des sexes a servi de justification à la loi. De l'autre, la dénonciation du fait qu'on stigmatisait une population déjà victime du racisme, et qu'on excluait des filles de l'école a motivé l'opposition à la loi. Le débat a divisé l'ensemble des courants politiques, et tout particulièrement le mouvement féministe. Subitement brandie par des personnes et des institutions aussi éloignées que possible du féminisme, et conjointement portée par des féministes convaincues, la défense des droits des femmes s'est trouvée mêlée à des processus relevant du racisme. Ces processus comprennent la sous-estimation, voire la non prise en compte du poids du racisme que vivent les hommes et surtout les femmes descendant de l'immigration en France, mais aussi la mise en opposition ou en concurrence des luttes antisexistes et antiracistes, au bénéfice des premières. Ce numéro aborde différentes facettes des liens entre sexisme et racisme. D'abord, pour resituer le débat français dans un cadre plus large, un texte nord-américain classique souligne le rôle que fait jouer au genre la compétition entre l'Occident et l'Orient. Chacune de ces deux « entités » dénigre les rapports de genre qui règnent chez « l'autre ». Mais surtout, c'est dans ce domaine en particulier que l'Occident déploie sa « présomption de supériorité », présomption souvent reprise de façon acritique par les féministes occidentales (Laura Nader). Cette présomption, préexistante à la conquête de l'Algérie, a été renforcée dès le début de la colonisation, et a formé le fonds des « bonnes raisons » données à l'asservissement d'un peuple. La continuité entre les stéréotypes de l'Arabe développés au 19ème siècle et le discours actuel sur le sexisme des « jeunes de banlieue » est frappante (Julia Clancy-Smith). Les descendantes d'immigrés maghrébins en France sont, du fait de ces stéréotypes, prises en tenailles entre le désir de s'émanciper des tabous parentaux et la crainte de donner raison au colonisateur d'hier - dominant raciste aujourd'hui - contre leurs propres pères. Briser le tabou de la virginité est en conséquence un problème plus complexe que pour les autres jeunes Françaises (Christelle Hamel). Ce dilemme met en évidence la nécessité d'articuler les luttes antisexistes et antiracistes. Mais certaines féministes les mettent en concurrence et se concentrent sur la dénonciation du sexisme des Arabes, contribuant ainsi à stigmatiser une partie de la population française et à exonérer de sexisme le reste de la population masculine. Ceci revient non seulement à exclure de la lutte féministe les jeunes Françaises d'origine maghrébine et leurs mères, mais nuit aussi au féminisme en général (Christine Delphy). Ainsi, peut-on encore affirmer sans autre précaution que le féminisme est une garantie de non-racisme ? Une étude psycho-sociologique menée en Suisse mesure séparément les deux dimensions de l'antisexisme et de l'antiracisme, puis évalue leur poids respectif dans les attitudes vis-à-vis de la loi française : les résultats bousculent bien des idées préconçues (Patricia Roux, Lavinia Gianettoni et Céline Perrin). Le ressentiment vis-à-vis de la domination occidentale explique sans doute en grande partie la diffusion récente d'un nouveau foulard dans les mondes arabe et occidental ; la même raison pousse de nombreuses femmes à rechercher des racines non occidentales à leur féminisme, et à les trouver dans l'islam : on doit le constater, quitte à se demander si entre mimétisme par rapport à l'Occident et appui sur la religion, il n'y aurait pas une troisième voie (Aïcha Touati). En tous les cas, en France, les féministes descendant d'immigrés ex-colonisés ne peuvent se permettre le « luxe » de ne lutter que contre « leurs » hommes. La nécessité d'inscrire le combat antisexiste à l'intérieur d'un combat antiraciste débouche sur le passionnant « féminisme paradoxal » d'Houria Bouteldja dont l'interview démontre la complexité du vécu des personnes concernées au premier chef par l'imbrication du racisme et du sexisme. Un second numéro de NQF poursuivra, en automne 2006, cette réflexion et le débat qu'elle veut susciter. Contacts pour ce numéro : En France : Christelle Hamel En Suisse : Patricia Roux