Ce n'est pas par hasard que les victimes sont des femmes

Ce n'est pas par hasard que les victimes sont des femmes

Y a-t-il encore quelque chose à dire au sujet de la tuerie à l’École polytechnique de Montréal dont le 20e anniversaire sera commémoré le 6 décembre?

Je crois que oui.

Le meurtre de 14 femmes à l’École polytechnique de Montréal marque un moment de l’histoire canadienne qui suscite beaucoup d’émotion chez le peuple canadien, mais nous sommes réticents à reconnaître qu’au fond, cette tragédie, comme d’autres crimes semblables, est un femicide : le meurtre d’une personne simplement parce qu’elle est une femme.

Peut-on dire que l’auteur de la tuerie de l’École polytechnique était un individu détraqué? Tout à fait, mais ses actions sont néanmoins révélatrices.

« Dans le cas des lynchages et des pogroms, on ne perd pas son temps à émettre des hypothèses concernant la santé mentale des auteurs des crimes ou leurs expériences personnelles antécédentes avec les Afro-Américains ou les Juifs. » [Traduction]

Cette citation tirée d’un article écrit il y a près de vingt ans fait valoir un point important qui aurait dû depuis bien longtemps s’être introduit dans notre façon d’envisager la violence faite aux femmes.

La plupart des meurtres de femmes sont des crimes haineux qui visent leurs victimes en raison de leur sexe.

Nous pouvons espérer que des événements comme la tuerie de l’École polytechnique ne reflètent pas du tout les attitudes envers les femmes. Il serait réconfortant de penser ainsi, de pouvoir blâmer exclusivement l’auteur du crime pendant que la collectivité reste sans reproche. Mais le meurtrier de l’École polytechnique ne représente pas une aberration.

Au cours des dernières années, plusieurs fusillades ont spécifiquement visé les femmes. Souvent, nous passons outre à ce fait lorsque nous en discutons ou lorsqu’en parlent les médias. La tuerie des écolières amish en 2006 a coûté la vie à cinq petites filles et au tireur. Ce dernier avait laissé sortir les garçons de la classe. Cette année, un homme est entré dans un gymnase à Pittsburgh où il a tué trois femmes et blessé neuf autres avant de se tuer lui-même.

Toutefois, dans le contexte du femicide, il est moins commun qu’un étranger soit l’auteur d’une tuerie.

Les femmes sont bien plus fréquemment tuées par un conjoint actuel ou passé. Chaque année, quatre fois plus de femmes canadiennes sont abattues par leurs conjoints que le nombre total de femmes tuées à l’École polytechnique.

Selon les Nations Unies, 70 p. 100 des femmes subiront de la violence physique ou sexuelle aux mains d’un homme au cours de leur vie. Les femmes âgées de 15 à 44 ans ont une plus grande probabilité d’être violées par leurs conjoints ou victimes de violence conjugale que de mourir d’un accident de la route, d’une guerre, de la malaria et du cancer.

Durant cette même période de 2000 à 2006 au cours de laquelle 101 soldats et policiers canadiens ont été tués par des agresseurs ou par accident, plus de 500 femmes ont été abattues par leurs partenaires intimes masculins, affirme le journaliste Brian Vallée dans son livre The War on Women.

Où est l’indignation habituelle des citoyens devant de tels actes de violence et de telles pertes?

Ce n’est pas par hasard que les victimes sont des femmes. Au contraire, c’est le nœud de la question.

Les enquêtes d’attitudes portant sur la violence, les femmes et la violence faite aux femmes révèlent l’environnement toxique dans lequel sévit la violence. Une telle enquête récente a permis de constater que selon la majorité des Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises, un homme qui gifle sa conjointe au cours d’une querelle ne commet pas de crime. De surcroît, plus d’un quart des Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises croient que le viol d’une femme par son conjoint ne constitue pas un crime. Selon le Physician's Guide to Intimate Partner Violence and Abuse, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les gens puissent facilement changer leur comportement puisque tant d’éléments sociaux, culturels et physiques militent contre ces changements.

Le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a qualifié de pandémie la violence faite aux femmes. C’est un terme que nous entendons de plus en plus souvent. Récemment, une publication pour femmes se demandait ce qui arriverait si nous traitions la violence faite aux femmes comme une pandémie au même titre que la grippe A (H1N1). C'est-à-dire : déclaration d’état d’urgence, collecte et mise à jour des données sur la situation et prise de mesures importantes pour sensibiliser la population.

Imaginez ce qui se passerait si nous discutions de la violence faite aux femmes en termes généraux avec la même passion que nous réservons aux discussions sur la disponibilité du vaccin contre la grippe A (H1N1). Si tous les employeurs affichaient des renseignements sur la prévention de la violence aussi communément que les renseignements sur les techniques de lavage des mains. Si les médias rapportaient les femicides aussi fidèlement que les cas d’hospitalisations causées par la grippe A (H1N1). Si chaque fois que nous étions témoins de comportements inconvenants envers les femmes, nous dénoncions ces actes avec le même sens du devoir qui nous pousse à indiquer aux autres qu’ils devraient se couvrir la bouche lorsqu’ils toussent.

Imaginez ce qui se passerait si nous traitions la violence faite aux femmes comme la pandémie ravageuse qu’elle est réellement.

Au Nouveau-Brunswick, nous avons accompli des merveilles au cours des dernières décennies pour modifier notre réaction à la violence, notamment celle faite aux femmes et aux enfants. Mais nous devons réagir avec plus d’indignation. Lorsque nous accepterons que chaque acte de violence constitue une menace à la sécurité de la collectivité telle un virus, nous saurons comment agir.


Elsie Hambrook est présidente du Conseil consultatif sur la condition de la femme du Nouveau‑Brunswick. Vous pouvez la joindre par courriel à acswcccf@gnb.ca