Le projet de loi sur le droit d’auteur C-32 constitue une atteinte sans précédent aux droits des créateurs

Le projet de loi sur le droit d’auteur C-32 constitue une atteinte sans précédent aux droits des créateurs

Communiqué

Une loi sens dessus dessous qui met en péril notre économie du savoir

Montréal, le 16 juin 2010 – L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) a fait connaître aujourd’hui sa réaction relative au projet de loi C‐32, un projet de loi visant à modifier la loi sur le droit d’auteur, déposé par le gouvernement fédéral le 2 juin dernier : l’ANEL est d’avis que C‐32 affaiblit considérablement le droit d’auteur, capital intangible sur lequel reposent les industries culturelles, restreint notre capacité de produire, développer et promouvoir la créativité de nos auteurs, nuit à notre stratégie de commercialisation des livres numériques des éditeurs francophones canadiens et, à terme, met en danger le développement de notre économie du savoir. En conséquence, les éditeurs membres de l’ANEL disent non à l’exception pédagogique, exigent le retrait de ce projet de loi, et demandent au Parlement de proposer rapidement un projet de loi qui harmonise les dispositions de la présente loi aux conventions internationales signées en 1996, en veillant à créer un juste équilibre entre la circulation et la création du savoir.

Le projet de loi C‐32 présente toutes les apparences d’un effort pour moderniser la loi canadienne du droit d’auteur et la rendre compatible aux réalités de l’ère numérique, notamment en érigeant en violation du droit d’auteur le fait de faciliter la commission de violations en ligne et en encadrant le contournement des mesures techniques de protection des œuvres. Dans les faits, les violations permises en vertu du principe d’utilisation équitable sont sans commune mesure avec les projets de loi antérieurs et vident substantiellement le droit d’auteur de sa raison d’être. Tout se passe comme si la stratégie numérique canadienne avait pour mission de protéger les consommateurs et les grandes entreprises du numérique au détriment des créateurs et de la création de contenus. C‘est toute notre économie du savoir qui est mise en péril.

L’envers de l’endroit
En effet, C‐32 renverse complètement l’esprit de la loi. Non seulement la télécommunication est‐elle définie du seul point de vue de l’usager, mais le fardeau de la protection incombe aux créateurs. Le symbole de copyright ne suffit plus à indiquer qu’une œuvre est protégée : l’œuvre n’est protégée que si le créateur met un verrou électronique, annonce haut et fort par un avis qu’elle est protégée ou, dans certains contextes, en interdit explicitement la reproduction. Le droit de copie privée permet désormais la copie intégrale des œuvres, ce qui faciliterait le marché du livre numérique, mais il n’est pas assorti d’un principe de compensation, livrant ainsi les liseuses et tout nouveau support du livre numérique au sort des I‐Pods : aucune redevance possible. En somme, le « technologiquement » neutre auquel prétend C‐32 ne l’est que pour les supports des œuvres à copier, pas pour les supports permettant la rémunération des créateurs, comme si la convergence des technologies ne jouait qu’en faveur d’une des parties à l’échange de contenus. Le projet C‐32 introduit aussi un concept cher à Google, celui d’accessibilité sur le marché : l’œuvre n’est pas disponible ? Qu’à cela ne tienne, on pourrait la reproduire moyennant l’une des nombreuses violations permises en vertu de l’utilisation équitable, sans recherche diligente. Enfin, il y a la toute nouvelle exception pour les handicaps de lecture qui comprend non seulement les déficiences perceptuelles mais aussi les insuffisances intellectuelles (relevant pourtant de l’éducation), et qui permettrait aux œuvres de circuler entre pays. Les effets du large balayage que feraient toutes ces nouvelles exceptions et leur chevauchement sont pratiquement impossibles à mesurer.

D’entrée de jeu, trois des grands objectifs de C‐32 sont de permettre à diverses catégories d’usagers — entreprises, établissements d’enseignement, chercheurs, enseignants, bibliothèques, consommateurs — d’utiliser sans violation du matériel protégé, en ligne ou autrement. Les artistes-interprètes et les photographes, qui se voient enfin reconnu le statut de créateur, devraient s’inquiéter de la nature limitée de cette protection.

Au lieu d’encourager l’offre légale dans les réseaux de télécommunications électroniques, tout en veillant que les mesures de protection technologiques n’aient pas pour effet d’empêcher l’accessibilité aux titulaires des exceptions; au lieu de responsabiliser tous les acteurs de l’économie du savoir dans l’incitation à l’utilisation licite des œuvres protégées; au lieu de reconnaître des principes et des applications de nature à soutenir le dynamisme du monde de l’édition dans sa transition vers une solide industrie du livre à l’ère numérique, C‐32 affaiblit considérablement la protection des œuvres, la capacité des créateurs d’être rémunérés pour leurs utilisations, et partant, la créativité et la diversité culturelle.

Bradage de l’industrie de l’édition
Toute l’industrie de l’édition serait atteinte, aussi bien l’édition littéraire et générale que scientifique et technique, mais la plus touchée serait sans doute l’édition scolaire, un secteur où la réputation de l’édition québécoise et canadienne n’est plus à faire. Au lieu de baliser l’exception pédagogique comme ailleurs dans le monde, notamment en France, de n’autoriser l’utilisation que d’extraits d’œuvres et d’exclure tous les matériels spécifiquement conçus pour l’enseignement, C‐32 permet la copie d’œuvres entières et la reproduction visuelle d’œuvres sur tous supports pour un enseignement collectif, sans compter les nombreuses déclinaisons autorisées d’un support à un autre via la télécommunication, y compris l’impression et la copie de sauvegarde. S’il devenait loi, ce projet signerait l’arrêt de mort de l’édition scolaire et porterait une atteinte sérieuse à notre société de gestion collective, Copibec.

Malgré un encadrement apparemment précis de l’application de l’exception pédagogique, celle‐ci se trouve élargie par l’énoncé sur l’utilisation équitable qui fait de l’acte et non pas de celui qui le commet une utilisation équitable. Résultat ? Tout individu, organisme, entreprise privée ou institution publique pourrait invoquer ce principe pour se défendre en cas de violation. À l’évidence, cette loi s’interprétera comme un feu vert au piratage et relèvera notre système éducatif de sa responsabilité d’éduquer les jeunes générations au respect du droit d’auteur.

Contraire aux valeurs québécoises
Au‐delà de ces impacts sur notre industrie et notre capacité à effectuer efficacement le virage numérique, on ne saurait passer sous silence cette attaque en règle contre les valeurs québécoises. Fidèles aux principes qui ont guidé les gouvernements du Québec depuis plus de 20 ans, les ministères de l’Éducation et de la Culture du Québec n’ont jamais souscrit aux demandes d’exception pédagogique formulées par les ministres de l’Éducation des autres provinces (CMEC) et lui ont toujours préféré des politiques de soutien aux créateurs.

Créée en 1992 et regroupant une centaine de maisons d’édition de langue française, l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) prône la liberté d'expression, le respect du droit d'auteur et l'accès universel au livre comme support de la connaissance et outil d'apprentissage.

[Source : http://www.anel.qc.ca/PDFAutoG/1_20100616120600.pdf]