La nouvelle constitution prévoit-elle des droits fonciers pour les femmes ?

La nouvelle constitution prévoit-elle des droits fonciers pour les femmes ?

Un article de Suleiman Mbatiah du site IPS Afrique, le 25 novembre 2010

NAIROBI, 25 nov (IPS) - Mary Kimani regrette que son mari ne soit pas encore en vie. Tenant son fils âgé d'un an dans une main et une houe dans l'autre, elle raconte avec amertume comment elle et ses enfants ont perdu leurs moyens de subsistance au profit de la famille de son mari.

"L’accident de la route qui a emporté mon mari a changé ma vie complètement. C’était la fin pour moi et mes enfants", a déclaré Kimani à IPS. Elle était mariée pendant sept ans et, avec son défunt mari, ils ont travaillé dur pour posséder une terre, une maison et un véhicule.

Mais quelques mois seulement après avoir enterré son mari, ses beaux-parents l’ont expulsée avec ses deux enfants de la propriété immobilière. Aujourd'hui, même si elle est hantée par le passé, elle travaille dur pour maintenir un espoir ardent, travaillant comme ouvrière occasionnelle sur les fermes environnantes.

"Je dois avancer. Je dois nourrir mes enfants, les scolariser et les aider à gagner une vie descente", a-t-elle dit à IPS.

Les beaux-parents de Kimani ont vendu la maison et la terre avant de donner le véhicule à un proche parent. Elle n'avait aucun droit aux biens. Au Kenya, beaucoup de femmes perdent leurs droits aux biens après le divorce ou le décès du conjoint. Selon les experts en droits de l’Homme, la dépendance des femmes des hommes, socialement approuvée, les laisse vulnérables aux "traditions culturelles" qui ne reconnaissent pas que les femmes possèdent des terres et autres biens.

Les hommes sont le plus souvent disposés à appliquer ces prétendues coutumes, affirme Njoki Njehu, directrice exécutive du 'Daughters of Mumbi Global Resource Centre' (Centre international de ressources des filles de Mumbi). Cette organisation est un réseau indépendant et non ethnique, qui réunit les personnes d'origines diverses et "honore les rôles des femmes en matière d’appui à la famille et à la communauté".

"Mais ce ne sont pas seulement les hommes; certaines femmes qui étaient elles-mêmes privées de leurs droits à cause de pratiques rétrogrades défendent de telles pratiques pour priver d’autres femmes de leurs droits", a déclaré Njehu à IPS. Elle explique que si une mère ne dispose pas de terre, elle ne défendra pas la cause de sa fille ou de sa belle-fille à cet égard.

Kimani reconnaît que la constitution du Kenya nouvellement adoptée comporte des avantages pour les femmes du pays. L'article 40 de la constitution kényane prévoit le droit à la propriété pour "toute personne", tandis que l'article 60 garantit "l'accès équitable à la terre" et "la sécurité des droits fonciers" sans mentionner les femmes ou reconnaître leur incapacité historique à accéder à la terre.

Njehu se rappelle le référendum de 2005: "Des politiciens ont mobilisé des communautés pour s'opposer au projet de constitution parce qu’il permettrait aux femmes d'hériter des terres".

Kimani craint que les hommes n’appliquent pas la constitution telle qu’elle se présente. "Des coutumes et pratiques retardent toujours les femmes. Nous sommes victimes de discrimination dans plusieurs domaines, y compris les droits fonciers et les droits de propriété. La société considère les hommes comme les seules personnes qui possèdent des biens", fait remarquer Kimani.

Les droits coutumiers de certains groupes ethniques exigent que les terres et autres biens que la femme acquiert avant ou pendant le mariage appartiennent à son mari, qui peut les vendre sans son consentement. "Le rôle principal de la femme, c’est de prendre soin des biens. Au cas où votre mari meurt, d'autres se présentent pour prendre l'héritage. Vous ne pouvez pas fuir", explique Grace Akinyi*, 32 ans.

Akinyi soulève la question de "lévirat" qui oblige les veuves à se remarier. Cela se pratique encore, en particulier dans l'ouest du Kenya. Selon Akinyi, au cas où la femme refuse d’être héritée et réussit à le faire, elle est souvent sous la pression constante de vendre les biens à des prix bas.

Elle a été victime de cette pratique. "Une femme qui possède de terre est toujours définie par ses liens avec les hommes. Les femmes ne sont pas reconnues comme propriétaires dans les titres de propriété", déplore-t-elle.

Selon l'organisation non gouvernementale internationale (ONG), Human Rights Watch, les droits coutumiers en Afrique subsaharienne ont une influence plus grande que le droit civil quand il s'agit de droits de propriété des femmes. Et, selon un rapport intitulé "La politique foncière nationale: les questions critiques de genre et la déclaration de principe", seulement cinq pour cent des femmes au Kenya possèdent des terres.

Selon Hubbie Hussein, directrice de 'Womankind Kenya', les femmes doivent être autonomisées dans le cadre des efforts visant à éradiquer la pauvreté, puisqu’elles produisent 80 pour cent des cultures vivrières en Afrique subsaharienne et n'ont cependant aucun droit à la terre. 'Womankind Kenya' est une ONG locale basée à North-Eastern Province (Province du nord-est), au Kenya, avec son siège à Garissa.

Cette région à majorité musulmane a toutes sortes de règles religieuses et culturelles pour limiter le droit de propriété des femmes. La plupart des habitants sont d'origine somalienne. "Nous formons souvent les femmes sur ce que l'islam leur offre en termes de droits de propriété. Les hommes ont utilisé la religion comme un outil pour priver les femmes de leurs droits", a déclaré Hubbie à IPS, dans un entretien téléphonique.

'Womankind Kenya' utilise des textes religieux, la constitution ainsi que les chartes internationales défendant les droits des femmes pour sensibiliser les femmes sur le terrain. Elle ajoute que les cas de discrimination contre les femmes sont fréquents, mais que les femmes concernées ne prennent aucune mesure, de peur d'être stigmatisées.

"Les filles ne reçoivent jamais une part égale des biens de leurs parents. C'est une tendance inquiétante ici. Chaque fois qu'un cas se présente, un conseil d'hommes se réunit pour le régler et statue finalement en faveur des hommes", a déclaré Hubbie.

Les défenseurs de l’égalité des sexes et des droits humains estiment que si les femmes jouissaient de droits de propriété égaux, elles pouvaient changer le paysage social pour le meilleur. (FIN/2010)
[Source : IPS Afrique http://ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=6242]