Quand les chercheurs n’osent plus chercher

Quand les chercheurs n’osent plus chercher


La sociologue turque Pinar Selek aura payé cher ses travaux critiques sur les enfants des rues, les transsexuels, le service militaire ou la question kurde. Incarcérée durant deux ans et demi et torturée pour un « attentat à la bombe » qu’elle aurait commis dans le bazar égyptien d’Istanbul en 1998, elle vient d’être acquittée pour la troisième fois par la justice, le 9 février 2011. Comme lors des procès de 2006 et 2008, les magistrats ont reconnu que l’explosion accidentelle d’une bonbonne de gaz était à l’origine du sinistre et que ses aveux avaient été arrachés sous la torture. Fort heureusement, aucun péril de ce type ne guette ses collègues occidentaux, largement mobilisés pour sa libération. Mais cela ne signifie pas qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent sans devoir en payer le prix. Des formes subtiles de censure viennent en effet encadrer leur liberté.

Imaginons — à partir de faits réels — que vos recherches montrent que les élèves d’une école n’apprennent rien. Plus grave : que le fonctionnement de cet établissement les empêche en fait d’apprendre quoi que ce soit, et que son organisation ressemble davantage à celle d’une prison que d’une école. Quand vous essaierez de faire publier votre article, il est fort possible que la revue universitaire la plus prestigieuse de votre discipline estime qu’il ne correspond pas à ses exigences méthodologiques : vous auriez dû utiliser un cadre statistique plus rigoureux, ou un échantillon plus représentatif. Pourtant, remarquez-vous, la même revue ne formule pas ce type de critique lorsqu’il s’agit d’articles parvenant à des conclusions moins polémiques. Invoquer un manque de rigueur permet ici de masquer la censure derrière l’application de critères scientifiques. En réalité, on vous punit d’avoir démontré quelque chose que les personnes et les institutions qui détiennent le pouvoir dans le secteur éducatif ne veulent pas entendre, ou pas voir rendu public.

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