Comment la famille transmet l’ordre inégal des choses

Comment la famille transmet l’ordre inégal des choses

Un article de Bernard Lahire du site Web de l'Observatoire des inégalités, 10 janvier 2012

La famille est un vecteur de transmission des inégalités, notamment à travers la culture de l’écrit. L’analyse de Bernard Lahire, Professeur de sociologie à l’École Normale Supérieure de Lyon. Article adapté de la revue « Regards croisés sur l’économie ».

La famille, par l’intermédiaire de laquelle chaque individu apprend à découvrir la société et à y trouver sa place, est l’espace premier qui tend à fixer les limites du possible et du désirable. L’estimation par chacun des chances de parvenir à telle ou telle position sociale, à telles ou telles ressources matérielles ou symboliques, n’a rien d’un calcul conscient et ne se présente jamais aussi clairement que la résolution d’un problème de probabilité.

Comme l’écrivaient Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron au début des années 1970 : « Selon que l’accès à l’enseignement supérieur est collectivement ressenti, même de manière diffuse, comme un avenir impossible, possible, probable, normal ou banal, c’est toute la conduite des familles et des enfants (et en particulier leur conduite et leur réussite à l’École) qui varie parce qu’elle tend à se régler sur ce qu’il est "raisonnablement" permis d’espérer. » (1971, p. 262). Lorsque des grands-parents, des parents, des oncles et tantes, des cousins et cousines, parfois des frères et sœurs, sont déjà passés par l’enseignement supérieur ou, au contraire, lorsqu’ils n’ont jamais accédé à un tel niveau scolaire, lorsque l’enfant a entendu parler avec enthousiasme de la réussite au BEP de mécanique du cousin germain ou lorsqu’il perçoit la déception de ses parents face à l’entrée du frère aîné à l’université plutôt qu’en classes préparatoires, il intériorise progressivement les espérances subjectives de ses parents ou des adultes les plus significatifs de son entourage. Ces espérances qui dépendent de leur propre position dans la hiérarchie des diplômes scolaires et de leur rapport au système scolaire : perçu à partir d’un certificat d’études primaires, le baccalauréat revêt une certaine valeur, mais vu d’un parcours de polytechnicien, l’entrée dans une faculté de lettres et sciences humaines est un véritable « échec », etc.

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