Une numéracie pour la construction de connaissances opératoires en mathématiques par les personnes moins performantes : perspectives pour le développement d’un continuum
Source avec lien:
Un dossier de Ph. Jonnaert de la Chaire UNESCO de développement curriculaire (CUDC), 2012
Introduction
À la suite de l’apparition du concept de littéracie, celui de numéracie s’introduit progressivement dans les sphères de l’école. Ces deux concepts sont récents. Mal compris, ils
pourraient donner l’illusion qu’il suffit de nommer dans des programmes d’études, des contenus simplifiés. Un tel type de programme « simplifié » faciliterait la construction de connaissances et le développement de compétences par des élèves ‘moins performants’. Rien n’est moins vrai! Tout processus de construction de connaissances et de développement de compétences est complexe, et ce d’autant plus pour un élève ‘moins performant’. Aucune connaissance construite n’est simple. Elle est toujours une création par la personne, et, en ce sens, est le résultat d’efforts particuliers, quelle que soit cette connaissance. Par ailleurs, il n’existe pas de concepts ou de stratégies mathématiques qui puissent être considérés comme ‘mineurs’. Lorsqu’une personne découvre pour la première fois la numération de position, ses principes et son organisation, elle met en place beaucoup d’efforts pour développer une pensée opératoire à ce propos. Par après, elle fournira les mêmes efforts pour construire des connaissances à propos de notions réputées plus complexes, comme la combinatoire par exemple. Lorsqu’un jeune enfant construit des nombres et les utilise de façon opératoire pour la première fois, il est confronté à des situations complexes pour lui. Elles le sont certainement autant que celles auxquelles se heurte un adolescent, lorsqu’il découvre les stratégies indispensables à la résolution d’équations du second degré. Il n’existe pas de contenus mathématiques simplifiés ou simplistes, pas plus qu’il puisse exister des contenus langagiers minimalisés. L’ensemble des contenus proposés dans des continuums de numéracie (ou de littéracie), permettent de réagir à des situations de vie spécifiques, auxquelles des personnes doivent répondre de façon efficace. Plutôt qu’un contenu minimaliste, la numéracie et la littéracie proposent une visée pragmatiste des contenus d’apprentissages. En ce sens, la numéracie rassemble des domaines mathématiques utilitaristes et pragmatistes, mais qui ne sont pas pour autant réducteurs. La numéracie ne vise pas le développement d’une pensée logico-mathématique à un niveau formel au sens strict du terme. Elle a pour finalité, plus simplement mais tout aussi noblement, de permettre à des personnes moins performantes de se construire rapidement les outils mathématiques dont elles ont besoin dans leurs propres situations de vie.
Une telle perspective pose une double contrainte. Il s’agit d’abord de redéfinir la numéracie hors des approches relevées dans la littérature (encore trop réduite sur la question). Il s’agit ensuite de proposer les principes d’un continuum de numéracie qui puisse être cohérent avec une telle approche de la numéracie.
Dans ce texte, nous décrivons d’abord notre conception piagétienne de la personne moins performante. Ensuite, après avoir parcouru la littérature sur la question, nous retraçons quatre conceptions actuelles de la numéracie. Non satisfaits de ces conceptions, à nos yeux, réductrices, nous en recherchons une approche élargie. Cette dernière sert alors de cadre de référence à un réel apprentissage, par des personnes moins performantes, de concepts mathématiques de base. Nous montrons alors, que nous ne pouvons nous contenter d’un énoncé réducteur de quelques domaines des mathématiques, dans des programmes d’études. Nous proposons d’articuler les compétences linguistiques de la personne, à celles du résolveur de problèmes pour lui permettre de développer en situation, des compétences de base en mathématiques. Nous fondant sur une numéracie contextualisée, réfléchie et parlée, nous suggérons une redéfinition du concept de numéracie. Enfin, nous proposons quelques principes pour l’élaboration d’un continuum de numéracie.
-> Consultez le dossier (PDF)