Le défi de former une relève scientifique d’expression française
Québec, le 14 décembre 2012. – Le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) rend publique aujourd’hui une étude intitulée Le défi de former une relève scientifique d’expression française : l’usage du français et de l’anglais dans la formation universitaire aux cycles supérieurs au Québec. On y observe que la plupart des activités de formation se déroulent principalement en français. Toutefois, l’usage de l’anglais dans les communications scientifiques, notamment dans la rédaction d’articles, y est grandement valorisé.
Signée par Jennifer Dion, agente de recherche au CSLF, cette étude vise à documenter les pratiques linguistiques d’étudiants des deuxième et troisième cycles dans trois universités francophones du Québec, soit l’Université Laval, l’Université de Montréal (en incluant HEC Montréal et l’École polytechnique) et l’Université du Québec à Montréal. De plus, elle s’intéresse aux perceptions que ces étudiants entretiennent, d’une part, à l’égard de l’usage du français et de l’anglais dans la sphère d’activité scientifique et, d’autre part, à l’égard de la valorisation du français au sein des universités francophones. Le volet quantitatif repose sur une analyse linguistique de l’ensemble des thèses et des mémoires rédigés dans les trois universités ciblées selon trois années de référence, soit 1998, 2008 et 2010 (un total de 7 865 manuscrits). Le volet qualitatif, quant à lui, repose sur une analyse des propos recueillis lors de dix séances de discussion réalisées auprès de 90 étudiants de ces trois mêmes établissements.
Usage du français et de l’anglais dans les activités de formation
D’une manière générale, on peut affirmer que l’enseignement se déroule presque exclusivement en français, mais que la documentation scientifique consultée est souvent rédigée seulement en anglais. En ce qui a trait aux congrès et aux colloques, les étudiants en sciences de la santé de même qu’en sciences et génie sont ceux qui rapportent devoir faire plus souvent usage de l’anglais, et ce, même au Québec. L’analyse réalisée permet également de constater que pour les trois années de référence, la grande majorité des mémoires et des thèses, en excluant les articles qui y sont parfois insérés, ont été rédigés en français (93,4 % en 1998, 90,5 % en 2008 et 90,1 % en 2010). C’est en arts, lettres et langues ainsi qu’en sciences humaines que le français est le plus utilisé (environ 95 %). Du côté des sciences de la santé et des sciences et génie, cette proportion a diminué entre 1998 et 2010, passant respectivement de 90,7 % à 88,3 % et de 92,5 % à 85,2 %.
Bien que la majorité des thèses et des mémoires soient en français, on remarque qu’un phénomène prend de l’ampleur, à savoir la présence de plus en plus forte d’articles rédigés en anglais dans ces manuscrits. L’analyse permet de confirmer que la pratique d’insertion d’articles dans une thèse ou un mémoire a augmenté au cours de la période de référence (17,2 % en 1998, 22,8 % en 2008 et 29,9 % en 2010). Précisons que l’insertion d’articles est une pratique plus courante au doctorat qu’à la maîtrise, et que c’est également au troisième cycle qu’elle a le plus gagné en popularité depuis 1998. Toujours en 2010, c’est en sciences de la santé et en sciences et génie (66,9 % et 41,2 % des manuscrits) qu’elle est la plus fréquente, quoique cette pratique soit de plus en plus présente en sciences humaines ainsi qu’en administration (14,2 % et 12,6 %). On observe que ces articles sont majoritairement rédigés en anglais; leur proportion était de 83,1 % en 1998 comparativement à 88,6 % en 2010.
Valorisation du français dans la sphère scientifique
Différents constats émergent de l’analyse des propos recueillis lors des séances de discussion. On remarque, entre autres, que dans des disciplines où l’essentiel des publications est en anglais, les participants valorisent en général moins le français en tant que langue scientifique. À l’opposé, les participants ayant davantage accès à une documentation spécialisée en français affirment spontanément qu’ils valorisent l’usage de cette langue dans les sciences. Cela dit, il convient ici de faire la distinction entre l’aspect de la communication scientifique et celui de l’enseignement, car même si les participants ne valorisent pas tous l’usage du français en tant que langue scientifique, la plupart ont délibérément choisi de fréquenter une université francophone pour être formés en français. Par ailleurs, la majorité des participants sont d’avis que leur établissement d’enseignement valorise suffisamment le statut du français, mais n’accorde pas assez d’importance à la qualité de la langue. Enfin, à propos des politiques linguistiques des universités, obligatoires depuis 2004, il semblerait que les efforts déployés pour en faire la promotion semblent insuffisants, puisque la plupart des participants en ignoraient l’existence ou le contenu. Rappelons que devant une situation de concurrence linguistique, ces politiques constituent un outil essentiel d’aménagement linguistique.
Un juste équilibre
Les différents résultats de cette étude nous rappellent l’un des défis auxquels font face les universités de langue française, soit celui de former une relève scientifique francophone tout en lui permettant de s’outiller pour participer pleinement aux échanges scientifiques à l’échelle internationale, lesquels s’effectuent le plus souvent en anglais. Dans ce contexte, on comprend qu’il peut être important pour les étudiants des cycles supérieurs d’améliorer leur maîtrise de la langue anglaise. Cependant, il est légitime de s’attendre à ce que les individus qui obtiennent un diplôme de maîtrise ou de doctorat d’une université francophone aient une très bonne maîtrise de la langue française, notamment de la terminologie française associée à leur discipline. Selon le président du CSLF, monsieur Robert Vézina, « il s’agit de maintenir l’importance respective de ces deux impératifs dans leur juste proportion ».
-> Consultez le rapport (PDF)