Appel de textes « L'intersectionnalité et les pratiques sociales »

Appel de textes « L'intersectionnalité et les pratiques sociales »

Source: 

Institut de recherches et d'études féministes (IREF)

Nouvelles pratiques sociales
VOL. 26, No2 (PRINTEMPS 2014)
Dossier : 
L'intersectionnalité et les pratiques sociales
Responsables :  Elizabeth Harper et Lyne Kurtzman

Depuis quelques années, au Québec comme ailleurs, et particulièrement dans les milieux féministes, de plus en plus de chercheuses, d’intervenantes et de militantes – individuellement ou au sein d’un organisme – s’inspirent des approches intersectionnelles pour comprendre et agir sur les inégalités que vivent certains groupes de femmes marginalisées. Ici, on peut penser entre autres aux situations suivantes : la violence conjugale et familiale vécue par les femmes immigrantes et autochtones; les obstacles à l’intégration des femmes de la diversité dans les organisations féministes; la santé des femmes du point de vue de la justice reproductive; l’accès aux services de santé pour des femmes des milieux ethnoculturels; l’embauche dans des emplois non traditionnels; les discriminations particulières des femmes qui s’identifient comme lesbiennes. Cet intérêt pour l’intersectionnalité dans les milieux de la recherche, de l’intervention et de l’action féministe s’explique principalement par l’apparition des pratiques qui mettent en cause des modèles théoriques traditionnels ou qui font face à divers obstacles dans la prise en compte de différentes expériences, de situations et de besoins diversifiés des femmes. Depuis peu, il est également possible de constater l’augmentation marquée des usages de l’intersectionnalité dans d’autres milieux de recherche et d’intervention, par exemple les Cultural Studies, les études LGBT, en sciences juridiques ainsi que les études sur la masculinité, la santé et le VIH/SIDA.

Nous voulons dans ce dossier, faire le point sur l’intersectionnalité, ses différentes approches, et explorer le potentiel pour le renouvellement des pratiques sociales que ce soit en recherche, en enseignement, en intervention ou dans une perspective de théorisation. Pour ce faire, nous aimerions solliciter des articles qui examinent différentes questions liées aux inégalités sociales vues sous l’angle de l’intersectionnalité ainsi que des contributions qui font état d’expérimentation de pratiques d’intervention inspirées de ce cadre. En bref, nous souhaitons explorer dans ce numéro un bon nombre des usages possibles de l’intersectionnalité.

En soi, la notion d’intersectionnalité n’est pas nouvelle. L’on s’y est référé sous différentes appellations qui ont évolué au fil du temps, souvent dans un dialogue continu avec le féminisme et ses différentes écoles de pensée. Cet échange qui se poursuit encore aujourd’hui a pris plusieurs formes différentes. On peut retrouver les débuts de la généalogie de la pensée intersectionnelle, à la fin du xixe et au début du xxe siècle, suite à l’abolition de l’esclavage aux États-Unis. Les premières traces se retrouvent dans les écrits de Cooper (1892) et Du Bois (1903; 1920). Ces deux auteurs sont reconnus comme pionniers de l’analyse intersectionnelle (Collins, 2000) puisqu’ils ont été les premiers à s’intéresser à la complexité des systèmes d’oppression et à identifier les dynamiques entre identité et structure sociale et ses effets sur les vies des Américains d’origine africaine.

C’est autour des années 1990 que le terme « intersectionnalité » comme tel a été introduit par Crenshaw (1991). Il a par la suite été théorisé pour explorer comment l’identité des femmes, leur positionnement social et leurs expériences de l’inégalité et de la violence sont structurés par les multiples systèmes de domination liés à la race, au genre, à la classe et à la nation, entre autres. L’objectif de cette démarche de théorisation était à la fois de développer un modèle pour analyser l’oppression que vivaient les femmes des communautés noires et d’élaborer une stratégie politique pour contester et transformer les rapports sociaux fondés sur l’inégalité incluant ceux entre les femmes et ceux qui existaient au sein des communautés noires (hooks, 1981; Crenshaw, 1993; Collins, 2000). Entre-temps, de l’autre côté de l’Atlantique, des féministes européennes (Knudsen, 2006; Prins 2006; Yuval Davis, 2006; Anthias, 2008), en s’appuyant sur une perspective socioconstructionniste, ont proposé une autre vision de l’intersectionnalité. Dans cette seconde version, les individus ne sont pas uniquement vus comme opprimés par les structures sociales; les hiérarchies sociales sont aussi abordées comme la concrétisation de discours et de narratifs sociaux autour de différentes catégories sociales ainsi que des pratiques et des processus qui prennent forme au cours des interactions humaines, que ce soit au sein des institutions, de la communauté, du marché d’emploi ou encore de la famille.

Il est difficile de retracer les racines de l’intersectionnalité en contexte québécois. Pour plusieurs ses racines s’alimentent aux critiques de féministes noires américaines à l’endroit du féminisme blanc, de ses discours et de son programme politique qui ne prenait pas en compte les connaissances et le vécu des femmes qui se retrouvent aux marges de la société. Chose certaine, les féministes québécoises ont également été préoccupées par l’hétérogénéité des femmes et leurs différences et ont tenté de différentes manières d’articuler la domination masculine aux autres systèmes d’oppression, comme le souligne à juste titre Danielle Juteau (2010). Cette dernière et Sirma Bilge (2009), à partir d’une perspective matérialiste refusant l’approche additive, ont pensé l’intersectionnalité à l’aide de concepts comme l’entrecroisement ou l’imbrication des systèmes d’oppression tels le genre, la race et la classe. Aussi, les féministes de la troisième vague en s’inspirant des écrits de féministes noires américaines et des théories queer explorent les différences entre les femmes, mais à partir d’une variété de perspectives. Finalement, les travaux de Corbeil et Marchand (2006; 2010) proposent une modélisation de l’intersectionnalité dans le contexte de l’intervention féministe en soulevant aussi les enjeux posés par l’usage de l’approche intersectionnelle dans les milieux de pratique.

Cependant, malgré le grand intérêt suscité par l’intersectionnalité, elle reste à la fois imprécise et ambiguë. Son utilisation et son application en recherche et en intervention sont caractérisées par de multiples interprétations non seulement différentes, mais parfois contradictoires. Tant au niveau théorique, heuristique, politique ou pratique, l’intersectionnalité est marquée par une polysémie difficile à réduire. Ceci devient évident lorsque nous examinons le langage utilisé pour en parler. Selon les situations, une multitude de termes seront utilisés pour décrire l’objet qui intéresse chercheuses et intervenantes : les intersections, les systèmes d’oppression entrecroisée, les systèmes de privilège et d’oppression entrecroisée, les oppressions simultanées, les inégalités imbriquées, les facteurs de risque cumulatifs, la matrice de l’oppression, la prise en compte de la diversité, et la liste est encore longue. De plus, dans les écrits récents sur la question, l’intersectionnalité est définie concurremment comme cadre théorique, approche épistémologique, modèle d’intervention, stratégie d’action sociale et même quelquefois, qualifiée de « buzzword » (Davis, 2008) sans grande portée réelle. 

Étant donné les différentes façons de parler et de faire usage de l’intersectionnalité, compte tenu des significations multiples que ce concept introduit, un certain nombre de questions peuvent être soulevées. De quoi parle-t-on exactement lorsque l’on parle d’intersectionnalité? Quelle est sa pertinence pour la recherche et pour la pratique? Quelle est sa pertinence pour quelles recherches et pour quelles pratiques? Est-ce que l’intersectionnailité nous permet de prendre en compte les différences? Quelles en sont les finalités et les potentialités? Qu’apporte-t-elle de nouveau?

Aujourd’hui, dans le domaine de la recherche et de l’intervention, particulièrement dans les milieux féministes, l’intersectionnalité est pourtant devenue incontournable comme en témoignent les nombreux colloques et séminaires internationaux et les débats suscités. Dans le domaine des politiques sociales que ce soit sur les plans national ou international, l’intersectionnalité commence à être utilisée comme cadre pour élaborer des mesures qui d’un côté visent à promouvoir l’égalité et de l’autre à réduire et même contrôler les effets de l’inégalité. Malgré la promesse d’un nouveau cadre conceptuel qui pourrait faire émerger d’autres compréhensions et solutions face aux inégalités sociales, l’intersectionnalité continue d’être perçue comme complexe et difficile à utiliser en intervention, en recherche ou dans le cadre d’une action sociale. 

Ce dossier veut à la fois répertorier les différents usages de l’intersectionnalité et poursuivre le débat sur ses potentialités pour le développement de connaissances nouvelles et la mise en place d’interventions sociales sur la question des inégalités. Nous invitons donc les auteures et auteurs à soumettre des articles de recherche qui mettent en jeu des analyses et des pratiques intersectionnelles, qu’elles utilisent cette terminologie ou non. Nous recherchons également des textes de réflexion et de théorisation sur ces approches ainsi que sur les enjeux autour de leurs usages dans les domaines académique, de l’intervention, de l’action sociale ou de l’élaboration de politiques sociales.

Les manuscrits doivent être soumis avant le 1er juin 2013 par courrier électronique à Nouvelles pratiques sociales (nps@uqam.ca).

Pour toute question relative à ce dossier thématique, les auteures et auteurs sont invités à communiquer avec les responsables :

Elizabeth Harper
Professeure, École de travail social
Université du Québec à Montréal (UQÀM)
Téléphone : (514) 987-3000, poste 5035
harper.elizabeth@uqam.ca

Lyne Kurtzman


Agente de développement, Service aux collectivités
Université du Québec à Montréal (UQÀM)
Téléphone : (514) 987-3000, poste 4879
kurtzman.lyne@uqam.ca

Rappel : Vous trouverez le guide pour la présentation des articles dans la revue et vous pouvez le consulter sur notre site Web (http://www.nps.uqam.ca/appel/guide.php); toutefois, nous précisons déjà quʼaucun article ne devra dépasser 35 000 caractères (espaces compris), notes, bibliographie et tableaux inclus.