Des organisations canadiennes dénoncent le gouvernement intérimaire illégitime au Brésil

21 juin 2016

Des organisations canadiennes dénoncent le gouvernement intérimaire illégitime au Brésil

Nous, les organisations canadiennes signataires de cette lettre, vous écrivons afin de vous communiquer notre profonde préoccupation suite à la crise politique qui se vit au Brésil et qui, dans les dernières semaines, a mené à un coup d’État ayant comme objectif la destitution de la présidente démocratiquement élue, Dilma Rousseff. Nous tenons à exprimer notre solidarité à la population brésilienne qui fait face à ce coup, clairement associé au démantèlement de plusieurs politiques sociales ainsi qu’à la continuation et à l’augmentation de graves violations aux droits humains et environnementaux dans le pays.

Le coup en cours au Brésil est devenu encore plus évident après la diffusion d’enregistrements téléphoniques impliquant un ministre du gouvernement Temer, monsieur Romero Jucá et l’ex-président de l’entreprise du secteur pétrolier «Petrobras Transporte», monsieur Sergio Machado. Ces enregistrements font la lumière sur un «pacte» qui impliquait la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Aussi, on y entend ces hommes désigner Monsieur Temer comme étant la meilleure personne qui, en tant que président, pourrait empêcher le déroulement de la plus grande enquête sur des cas de corruption au Brésil – dénominée Operação Lava Jato (Opération Lave-auto). Selon ceux qui ont été enregistrés, la permanence de madame Dilma Rousseff comme présidente permettrait à l’enquête de continuer, ce qui mènerait probablement à la «chute» des politiciens sous enquête, dont ces deux hommes. La conversation téléphonique enregistrée aurait eu lieu au cours du mois de mars, quelques semaines avant le vote d’admissibilité, à la chambre des députés, quant à la procédure de destitution. Cette révélation a été publiée par le plus grand journal en circulation au pays – La Folha de São Paulo.[1]

Le récent coup d’État au Brésil impliquant la destitution de la présidente Dilma Rousseff, tout comme les décisions politiques de l’actuel gouvernement illégitime de Temer qui mettent en péril la garantie des droits humains ont été dénoncés autant au niveau national qu’international. Plusieurs médias ont souligné que l’accusation criminelle qui cible la présidente se faisait sur des bases juridiques fragiles. Le crime dont elle est accusée aurait été récemment perpétré par des gouverneurs et des préfets de tout le pays, par les deux derniers présidents, et même par son vice-président, actuellement président par intérim. Ces médias ont aussi amplement documenté le fait qu’une partie importante des députés et sénateurs qui ont voté en faveur de l’admissibilité du processus de destitution de Rousseff ont eux-mêmes été ciblés par la grande enquête sur des cas de corruption, l’opération «Lava Jato»[2], y compris l’ex-président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, qui a récemment été démis de ses fonctions  par la Cour suprême du Brésil sous l’accusation de corruption[3]. Cunha est également mentionné dans les Panama Papers qui a mis le jour sur des milliers de cas d’évasion fiscale à travers le monde[4]. Au milieu de tout ça, Dilma Rousseff n’a pas formellement été accusée de pratique de corruption[5].

De plus, le 18 mai dernier, la Commission interaméricaine des droits humains a exprimé, dans le communiqué de presse 67/16, sa «profonde inquiétude face au recul en matière de droits humains au Brésil»[6]. Des organisations et des intellectuels[7] mondialement reconnus ont dénoncé le coup institutionnel au Brésil et ont souligné la nécessité d’une mobilisation internationale pour sauvegarder la démocratie brésilienne. Dans un reportage publié le 12 mai dernier suite à la décision du Sénat d’éloigner temporairement la présidente, le Council on Hemispheric Affairs (COHA) a dénoncé les risques du processus d’impeachment pour la démocratie brésilienne et pour la stabilisation démocratique de l’Amérique latine[8].

Au Brésil, les fronts populaires de lutte pour la démocratie et les organisations connues internationalement pour leur défense des droits humains et environnementaux, se sont manifestés à plusieurs reprises dans les rues contre le coup. Ces fronts opposés à l’impeachment dénonçent également les principales forces politiques qui appuient la destitution de la présidente et qui cherchent à imposer un agenda conservateur, contraire aux intérêts des populations marginalisées, comme les femmes, les autochtones et les populations noires. Ces forces politiques envisagent également de faire adopter des politiques environnementales qui risquent d’avoir de lourdes conséquences pour l’environnement.

Les craintes se voient déjà confirmées dans les premiers jours du gouvernement Temer, qui dès le 12 mai dernier a mis en place une série de coupures dans les politiques publiques destinées à la justice sociale. D’autres coupures budgétaires dans les programmes sociaux fondamentaux qui ont aidé des milliers de personnes à sortir de l’extrême pauvreté au Brésil, comme les programmes sociaux «Bolsa Família» (Bourse Famille) et «Minha Casa, Minha vida» (Ma maison, Ma vie) ont déjà été annoncées. L’une des premières actions du gouvernement actuel a été la révocation de décisions qui visaient la construction de logements sociaux et d’autres qui garantissaient le droit à la terre pour certains groupes autochtones et quilombolas (communautés afro-descendantes traditionnelles). De plus, la réforme ministérielle et les ministres indiqués par le gouvernement illégal de Temer ont adopté une série de changements qui menacent, entre autres, le droit à la libre manifestation, à la libre-expression des mouvements sociaux.

Dès son arrivée à la présidence, Temer a retiré le statut de ministère au département qui s’occupait des droits des femmes, de l’égalité raciale et des droits humains. Il a également nommé un gouvernement formé essentiellement d’hommes blancs. Il n’y a aucune représentativité pour les femmes, les personnes noires, les autochtones, les LGBTQI et les mouvements sociaux. C’est la première fois depuis la période de la dictature militaire qu’aucune femme ne siège à un ministère. Le gouvernement de Temer représente un grand recul pour le Brésil et n’a pas sa place en 2016.

Le manque de représentativité politique des femmes dans le gouvernement Temer arrive, au Brésil, dans un contexte où les médias de masse et les classes politiques à la tête du processus de coup d’État utilisent fréquemment des arguments misogynes, machistes et sexistes pour disqualifier les leaders politiques sur leur condition de femme. À cet effet, l’UN Women a condamné la «violence politique sexiste» utilisée  contre la présidente[9].

En ce sens, en tant qu’organisations qui veillent à la situation des droits humains, nous réitérons notre solidarité avec les brésiliennes et brésiliens qui dénoncent ce gouvernement illégitime qui a pris le pouvoir de façon non-démocratique. Étant donné cette situation, nous demandons au gouvernement canadien de :

-Respecter ses engagements pour la protection de la démocratie, des droits de la personne, des droits environnementaux et de la justice;
– Refuser de reconnaître le gouvernement illégal de Michel Temer
-dénoncer publiquement le processus illégitime et anti-démocratique qui a mené Michel Temer à la présidence du Brésil

Organismes signataires :

Alliance internationale des femmes/International Women’s Alliance

Coordination nationale de l’Association des religieuses pour les droits des femmes (ARDF)

Centre d’appui aux Philippines/Centre for Philippine Concern

Carrefour d’animation et de participation à un monde ouvert (CAPMO)

Carrefour de participation, ressourcement et formation-CPRF

Centre ressources pour femmes de Beauport-CRFB

Collectif Brésil-Montréal

Collectif régional Léa-Roback

Commission justice, paix et intégrité de la création (Petites soeurs de l’Assomption)

Comité Justice sociale des Soeurs Auxiliatrices

Comité pour les droits humains en Amérique latine

ConcertAction femmes Estrie

Confédération des associations latino-américaines de Québec (CASA)

Confédération des syndicats nationaux- CSN

Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes

Fédération des femmes du Québec

Femmes de diverses origines/Women of Diverse Origins

Groupe Solidarité Justice (CND)

L’Entraide missionnaire

Point d’appui- Centre d’aide et de prévention des agressions à caractère sexuel de Rouyn-Noranda

Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale (Portneuf-Québec-Charlevoix)

Service jésuite des réfugiés

Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec- SFPQ

Syndicat des Métallos

Soeurs Auxiliatrices du Québec

Soeurs Missionnaires de Notre Dame d’Afrique JPIC-RD

Table de concertation de Laval en condition féminine (TCLCF)

Table de concertation des groupes de femmes du Bas-Saint-Laurent (TCGFBSL)

 

c.c. M. Pedro Fernando Brêtas Bastos, Ambassadeur du Brésil à Ottawa, Canada

 

[1]http://www.theguardian.com/world/2016/may/23/brazil-dilma-rousseff-plot-secret-phone-transcript-impeachment

[2]https://theintercept.com/2016/03/18/brazil-is-engulfed-by-ruling-class-corruption-and-a-dangerous-subversion-of-democracy/

[3] http://www.prospectiva.com/en/blog/international-reactions-impeachment

[4]http://www.forbes.com/sites/kerenblankfeld/2016/04/04/law-firm-at-center-of-panama-papers-leak-was-implicated-in-brazil-corruption-scandal-in-january/#41f255507111

[5]http://www.cbc.ca/radio/day6/episode-285-trump-tabloids-greenwald-on-brazil-hamilton-s-gatekeeper-pr-stunts-gone-wrong-and-more-1.3580796/glenn-greenwald-on-the-hypocrisy-of-brazil-s-political-crisis-1.3580827

[6] http://www.oas.org/en/iachr/media_center/PReleases/2016/067.asp

[7]  http://www.democracynow.org/2016/5/17/noam_chomsky_brazils_president_dilma_rousseff

[8]http://www.coha.org/wp-content/uploads/2016/05/Soft-Coup-in-Brazil-A-Blow-to-Brazilian-Democracy1.pdf

[9]http://www.globalpost.com/article/6750942/2016/03/24/un-women-condemns-sexism-against-brazils-president

c.c. M. Pedro Fernando Brêtas Bastos, Ambassadeur du Brésil à Ottawa, Canada