Vincent Greason est le récipiendaire du Prix Émile-Ollivier 2017
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Voir l'allocution de M. Greason
Vincent Greason a fait preuve d’un engagement exceptionnel dans le milieu de l’éducation des adultes, en particulier dans le milieu de l’éducation populaire et l’éducation aux droits de la personne. Tout au long de sa vie, il a milité pour la démocratisation des savoirs.
Vincent a été successivement :
- Animateur au Carrefour de pastorale en monde ouvrier ;
- Animateur au Centre d’éducation populaire de la Commission des écoles catholiques de Québec;
- Responsable du dossier Éducation et Coordonnateur au Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec – MÉPACQ
Il est actuellement Coordonnateur de la Table ronde des OVEP de l’Outaouais
Vincent a été membre de la Commission de l’éducation des adultes du Conseil supérieur de l’éducation, de 1996 à 1999, du conseil d’administration de l’ICÉA, de 1994 à 2001 et du comité exécutif de l’Institut, de 1996 à 1999.
Le curriculum vitae de Vincent Greason démontre un engagement de plusieurs décennies dans une diversité de milieux d’intervention (autant syndicaux que communautaires, francophones qu’anglophones, nationaux qu’internationaux). Un engagement qui se fait tout autant dans sa vie professionnelle que citoyenne et qui s'étend à plusieurs contextes : groupes de base, regroupements régionaux et regroupements nationaux.
Depuis 2009, Vincent est un Fellow de la Fondation Carold.
Notes de l’allocution de Vincent Greason
24 mai 2017
Intro et remerciements
- Invités distingués, messieurs et mesdames, tout d’abord je vous remercie de votre présence ici ce soir. Celle-ci témoigne d’une affection pour, et d’un engagement envers, l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA).
- Remerciements à la professeur Arpi Hamalian et à Michael Cooke, deux membres de la Fondation Carold, et les deux personnes qui ont proposé ma candidature pour ce prix. En public, je vous remercie – en privé, ben ça resterait privé.
C’est un honneur de recevoir un prix qui commémore le nom d’Émile Ollivier. J’ai eu le privilège d’avoir siégé avec Émile au comité exécutif de l’ICÉA pendant plusieurs années. J’ai pu ainsi profiter de sa sagesse et de son amitié.
Un moment gravé dans ma mémoire est arrivé le 17 mars (je ne me souviens pas de l’année !) quand Émile est venu fêter la St-Patrick chez moi. Dans un petit logement, avec une centaine d’autres. Le souvenir précis : dans mon salon, bondé du monde, Émile Ollivier engagé dans une conversation animée avec Madeleine Parent. Je suis certain qu’ils parlaient de James Joyce…
Je rends hommage aux gagnants du Prix Émile-Ollivier qui me précèdent : M Claude Ryan, ancien directeur de l’ICÉA, Mme Michelle Stanton-Jean, présidente de la Commission importante qui porte son nom, M Serge Wagner, un universitaire qui a fait avancer la lutte contre l’analphabétisme, et M Paul Bélanger qui, entre autres, a porté l’accent québécois sur le plan international, notamment au sein de l’UNESCO.
Je n’ai aucunement la prétention que mon nom a le même prestige que ceux de mes prédécesseurs. J’accepte le Prix Émile-Ollivier parce qu’il signifie une reconnaissance, par les pairs, de l’apport de l’éducation populaire autonome à la mosaïque qui est l’éducation des adultes au Québec.
Coeur
- Nous fêtons les 70 ans de l’ICÉA, une histoire riche qui comprend plusieurs cycles. Parmi ces cycles, la création, en 1971, du Comité des OVEP. Le Comité des OVEP a donné naissance au Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ) en 1981. C’est dire que l’histoire de l’ICÉA est intimement liée à l’histoire du mouvement populaire et communautaire québécois. D’ailleurs, l’éducation des adultes est la véritable pierre d’assise sur laquelle le mouvement communautaire s’est construit.
- Je viens de mentionner le MÉPACQ. La Table ronde des OVEP de l’Outaouais (TROVEPO), le regroupement régional où je travaille depuis 17 ans, a été un des quatre membres fondateurs du MÉPACQ. Avec ses 44 ans d’existence, la TROVEPO est le regroupement le plus vieux du communautaire au Québec.
- Le mouvement populaire québécois est né dans la mouvance de la Révolution tranquille. Comme le Conseil supérieur de l’éducation rappelle dans son récent Avis sur l’éducation populaire, ce mouvement se distingue par ses pratiques éducatives, par son volet important de conscientisation citoyenne.
- Au début, fin des années 60 et dans les années 70, ce mouvement en est un de résistance citoyenne aux gros projets de réaménagement urbain. À Montréal, à Québec, à Trois-Rivières, à Hull. Dans le cas de Hull, la résistance a porté sur :
- l’expropriation de quelques 2000 logements populaires ;
- le déplacement de quelques 5000 personnes des quartiers ouvriers de l’Île de Hull ; et
- la lutte pour reloger tous ces réfugiés urbains.
- Cette résistance n’est pas tombée du ciel. Grâce à un travail citoyen acharné de sensibilisation, de conscientisation, de mobilisation, d’éducation populaire, une génération de militants et de militantes a pu vivre l’idée de Paulo Freire : Nous ne subissons pas l’histoire, nous le faisons.
- Au début, fin des années 60 et dans les années 70, ce mouvement en est un de résistance citoyenne aux gros projets de réaménagement urbain. À Montréal, à Québec, à Trois-Rivières, à Hull. Dans le cas de Hull, la résistance a porté sur :
- Par la suite, le mouvement communautaire se développe dans les années 80 et 90. Surgissent alors des espaces citoyens autogérés (pensons aux comptoirs alimentaires, aux garderies populaires), des groupes de défense des droits sociaux (chômeurs, personnes assistées sociales, locataires), des groupes alternatifs en santé mentale, des groupes de femmes, des maisons de jeunes, des groupes d’alphabétisation populaire. Toujours avec, au coeur des interventions, des pratiques d’éducation populaire autonome visant la transformation sociale.
- Arrivent ensuite les vingt dernières années, soit la fin des années 90 et les années 2000, une période marquée par le néolibéralisme. Le Conseil supérieur, dans son Avis, souligne combien les retombées de cette idéologie exercent une forte pression sur le milieu communautaire et notamment sur ses pratiques éducatives.
- D’une part, le milieu dit « communautaire » est en transformation profonde. De nouveaux courants – dont l’économie sociale et la finance sociale - émergent et attirent l’intérêt des bailleurs de fonds. L’éducation populaire, comprise comme un processus de conscientisation citoyenne, ne fait pas partie des priorités de l’économie sociale ou de la finance sociale.
- D’autre part, malgré la Politique gouvernementale de reconnaissance d’action communautaire de 2001, le « communautaire traditionnel » vit une instrumentalisation accrue. De plus en plus, les bailleurs de fonds – tant publics que privés – financent dans la mesure où les groupes répondent aux attentes et aux projets …des bailleurs de fonds.
- Ce qui compte, pour les bailleurs de fonds, c’est l’obtention des résultats mesurables, concrets. C’est la rentabilité qui compte. Ce qui est financé est le résultat, pas le processus. Or, l’éducation citoyenne relève du processus.
- Pour obtenir les résultats désirés, les bailleurs de fonds privilégient les projets innovateurs… Ils veulent du neuf. L’éducation populaire autonome n’est pas innovatrice. Elle s’enracine dans la « vieille » idée qu’il faut faire avancer les droits humains, dont celui du droit à l’éducation. Une éducation qui est accessible à tous et à toutes, tout au long et tout au large de la vie…
- Enfin, les bailleurs de fonds exigent de l’efficacité. L’éducation populaire est une démarche de tâtonnement (1 pas en avant, 4 pas en arrière, 3 pas à côté…). Elle est toujours à recommencer. Oui, elle donne des résultats. Mais elle ne suit pas toujours une ligne droite efficace…
Malgré tous les défis auxquels le milieu communautaire est confronté en 2017 pour garder vivante sa tradition éducative, et ses pratiques d’éducation populaire autonome, bon nombre de groupes persiste. Le Conseil nous le rappelle dans son avis. Et nous sommes ici pour fêter.
Alors fêtons !
Fêtons l’apport de l’éducation populaire à l’univers de l’éducation des adultes au Québec. Pour moi, dont le nom est associé à ce courant ce soir, voir ma contribution au milieu souligné de cette façon, par mes paires, est tout un honneur. Je le reconnais et je vous en remercie.
Conclusion
Cependant, c’est une soirée teintée d’ironie.
Hier, j’étais en réunion d’urgence avec le conseil d’administration de mon organisme. Au mois de mars, la TROVEPO a perdu, subitement et sans avertissement, 40% de son financement annuel. Un don annuel de 35 000$, reçu depuis 25 ans, n’est plus au rendez-vous.
Du jour au lendemain, un organisme solide, qui a fait ses preuves, qui fait un travail important de rassembleur dans le milieu, risque de fermer ses portes. Nous faisons tout pour sauver la Table. Je vous épargne les détails.
Malgré nos efforts, la seule porte, très petite, qui s’ouvre est l’offre du ministre Blais qu’on dépose un projet « innovateur » et ponctuel. Alors que la TROVEPO essaie de sauver les meubles, le ministre nous demande d’agrandir la maison, sans même nous offrir les moyens pour la chauffer dans les années à venir.
L’ICÉA a déjà passé par des crises de cette nature. Je le sais – j’étais au comité exécutif quand le Fédéral a retiré sa subvention annuelle de 250 000$. Cette même compression budgétaire a coûté au Canada anglais le pendant anglophone de l’ICÉA.
C’est comme si nous…
Nous, comme société,
Nous comme Québécois.es,
Nous comme citoyens,… sommes tellement éblouis par l’innovation – la quête du neuf / le désir de faire des choses différemment – que nous oublions, collectivement, l’importance de soutenir, de préserver et de faire vivre le patrimoine social existant.
L’ICÉA fait partie de ce patrimoine social existant ; la TROVEPO aussi. Ce patrimoine est essentiel : C’est notre mémoire, notre histoire.
C’est pourquoi je conclus : Longue vie à l’ICÉA.