Les travailleuses du sexe en état d'alerte concernant l'opération « RADAR »

30 mai 2019

Les travailleuses du sexe en état d'alerte concernant l'opération « RADAR »

Le 28 mai 2019 – Hier, le SPVM, les services de police de Longueuil et de Laval, en collaboration avec l’Association des hôtels du Grand Montréal, le bureau des taxis de Montréal, Sun Youth, les centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) et Info-Crime ont lancé leur nouvelle opération «RADAR» une initiative s’autoproclamant «anti-exploitation» qui promet de créer des conditions de vie et de travail plus dangereuses pour les travailleuses du sexe.

Affirmant «rechercher et protéger les victimes de la traite des êtres humains», RADAR vise clairement les établissements et les lieux de travail du sexe. Cela a pour conséquence d'isoler les travailleuses du sexe de lieux de travail plus sécuritaires et d’obtenir l’accès aux services et aux soutiens.

L'opération RADAR a pour objectif de former des agents du secteur du tourisme et des transports en des agents de surveillance de l'État chargés de détecter et de dénoncer les travailleuses du sexe à la police. Sous couvert de «protection», l’opération RADAR forme le personnel des secteurs de l’hôtellerie et du tourisme à la détection de plusieurs «indicateurs» des personnes supposées être exploitées, souvent faisant partie des communautés migrantes, racisées et qui vivent la pauvreté. Cela vise à créer des justiciers et des outils supplémentaires de surveillance policière qui promettent de renforcer la peur des travailleuses du sexe qui ne peuvent plus faire confiance aux espaces de travail intérieurs qui constituent traditionnellement une source de sécurité importante pour les travailleurs du sexe.

Cette opération s'inscrit dans une stratégie plus vaste en cours qui engage le public dans la surveillance excessive de certaines communautés considérées comme «étant exploitées» ou «criminelles». Celles d’entre nous qui sommes plus facilement profilées, peut-être parce que nous avons l’air «pauvre», itinérante, que nous consommions de la drogue ou si nous sommes migrantes, seront les plus touchées par ce programme, ce qui facilitera la violence à notre égard et nous exclura davantage de la société. Dans un contexte de reconnaissance accrue des méfaits du profilage social et racial, toutes les communautés devraient être concernées par cette surveillance accrue et cette tentative effrontée de faire du profilage une politique officielle. Ces opérations visent clairement à cibler les professionnelles du sexe et non à lutter contre la traite des êtres humains.

Juste à temps pour la répression annuelle de la police pendant le Grand Prix, l'opération RADAR est basée sur les fausses affirmations de trafic accru d'êtres humains et d'exploitation sexuelle lors d'événements sportifs. En fait, les études sur les liens entre la traite humaine et les évènements sportifs indiquent tout le contraire — qu’ils n’existent pas. Dans leur étude de 2011, sur la relation entre les évènements sportifs et la traite humaine, le Global Alliance Against Traffic in Women (GAATW) explique que ces rumeurs s’inscrivent malgré un manque de preuves parce que c’est un moyen utile d’attirer l’attention des médias ou du public. Il justifie les mesures de contrôle social en « cultivant la panique morale ». (GAATW, What’s the Cost of a Rumour, 2011)

Définir le travail du sexe comme étant de la “traite humaine” et de l’exploitation sexuelle a pour résultat d’exagérer les chiffres qui dépeignent la traite humaine. Cette confusion est une stratégie pour justifier une plus grande répression contre les travailleuses du sexe, nos clients et nos milieux de travail malgré le fait que la population ne supporte plus la criminalisation du travail du sexe. À l’approche de nos 25e anniversaire, Stella, l’amie de Maimie fait en moyenne 6000 à 8000 contacts avec des travailleuses du sexe à Montréal. Notre lutte contre l'exploitation et pour de meilleures conditions de travail doit passer par l'élimination des lois et politiques répressives qui nous mettent en danger et réduisent notre capacité d'autodéterminer nos méthodes de travail.

La surveillance et la répression policière sont des facteurs importants qui favorisent la violence et les mauvaises conditions de travail pour les travailleuses du sexe. Un contexte de répression fait en sorte qu’il est difficile de signaler les violations des droits humains et autres crimes semblables afin de pouvoir enquêter sur les actes de violence commis envers les travailleuses.eurs du sexe en toute impunité.

Nous exhortons les organismes chargés de l'application de la loi à s'abstenir de toute participation future à cette initiative et à développer des campagnes de lutte contre la traite au moyen de consultations approfondies avec les travailleurs du sexe afin de garantir que les futures campagnes de lutte contre la traite respectent les droits humains des personnes travaillant dans l'industrie du sexe.

Nous exhortons tous les hôtels, sociétés de taxi et autres institutions de tourisme à dénoncer ce programme, à refuser de participer et à résister à cette attaque contre les travailleuses du sexe, qui devraient être considérées comme de bonnes clientes de ces entreprises et qui contribuent à l'économie de la ville. Nous exhortons ces établissements à mettre en œuvre des politiques de non-coopération avec la répression policière en refusant de louer des locaux à la police pour des opérations d'infiltration, de refuser de partager des informations sans le consentement des travailleuses du sexe. Les politiques visant à accroître la sécurité des travailleuses du sexe et à créer un environnement où il est sûr pour nous de demander de l'aide si nous sommes victimes de violence ou d'exploitation commencent par reconnaître notre travail au lieu de le définir comme une activité criminelle, et de valoriser notre présence.

Nous appelons les forces de l'ordre à mettre fin à l'opération RADAR. De plus, nous demandons à la police de:

  • Cesser de recourir aux initiatives de lutte contre la traite des personnes pour justifier l’intrusion de la force publique dans les lieux de travail du sexe, y compris dans les espaces intérieurs de travail du sexe;
  • Cesser de promouvoir le profilage social et racial des travailleuses du sexe, des tierces personnes et des clients par le biais des «indicateurs» identifiés dans RADAR;
  • Examiner les politiques et programmes existants contre la traite qui associent le travail du sexe à la traite humaine et réviser les politiques pour éliminer les hypothèses selon lesquelles le travail du sexe - en l'absence de contrainte - est une forme de trafic ou d'exploitation sexuelle;
  • Reconnaître que la coercition et d'autres formes d'exploitation et de violence se produisent dans l'industrie du sexe, car le travail du sexe n'est pas reconnu comme un travail et que les femmes les plus vulnérables sont aussi celles qui subissent le plus les effets négatifs de la répression policière. En tant que telles, les forces de l'ordre devraient rejoindre les travailleuses du sexe dans nos appels à la décriminalisation et à l'accès aux protections du travail.

Si les forces de l'ordre sont sincères dans leurs efforts pour venir en aide aux victimes de traite humaine, elles doivent travailler avec les travailleuses du sexe afin d’élaborer les meilleures pratiques pour aider et soutenir les victimes de la traite tout en protégeant les la sécurité, la dignité et les droits humains de tous les individus dans l'industrie du sexe.