La reconnaissance des acquis et compétences, entre autonomie des universités et discrimination systémique des personnes immigrantes
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Signataires
Anna Goudet
• Action Travail des Femmes (ATF)
• Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)
• Groupe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS)
• Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ)
• Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
Cet article est basé sur une conférence web organisée par Action travail des femmes dans le cadre de ses activités de sensibilisation des effets de la non-reconnaissance des acquis sur les femmes immigrantes. L’entrevue a été menée auprès de Monsieur André Gariépy, commissaire à l’admission aux professions de l’Office des professions du Québec (OPQ), et Monsieur Daniel Ducharme, chercheur à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), et complétée par une recherche documentaire.
La conférence web est disponible en cliquant sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=GFkNc_hVNUc&ab_channel=ATFQU%C3%89BEC
En ces temps de relance économique, la question des pénuries de main-d’œuvre refait surface, et le rôle à jouer de l’immigration est sur le devant de la scène. Pourtant on sait depuis longtemps que les nouveaux et nouvelles arrivantes rencontrent de nombreux obstacles pour s’insérer sur le marché du travail québécois. Pour une grande part d’entre eux, la déqualification professionnelle marquera à vie leur parcours. Cet obstacle est principalement issu de l’inefficience de certains processus de reconnaissance des acquis et des compétences (RAC). Sans une application ferme et élargie des principes de la RAC, les politiques gouvernementales de relance économique risquent d’avoir un effet de déqualification massive des personnes immigrantes, en répondant aux urgences de pénurie de main-d’œuvre aux dépens d’un juste droit à l’égalité des personnes diplômées à l’étranger. La déqualification professionnelle issue de la non-reconnaissance des acquis est le principal facteur des inégalités économiques dont sont victimes les personnes immigrantes, contribuant fortement à certains mécanismes de ghettoïsation professionnelle que vivent les nouveaux arrivants, et plus particulièrement les femmes. Le débat public autour de la RAC est souvent limité aux professions réglementées et au rôle des ordres professionnels, alors qu’il est bien plus large : il touche généralement les personnes immigrantes qualifiées, particulièrement détentrices de diplômes universitaires, qui s’installent au Québec, et de manière encore plus prononcée les femmes immigrantes. Les institutions universitaires ont une part de responsabilité, méconnue et pourtant fondamentale, dans la perpétuation de ces obstacles systémiques.
À leur arrivée, les nouveaux et nouvelles arrivantes formées à l’étranger peuvent faire la demande d’une « évaluation comparative des études effectuées hors du Québec » auprès du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), mais celle-ci n’est pas souvent prise en compte par les employeurs ; cette évaluation étant produite à titre indicatif seulement, « elle n’est ni un diplôme, ni une équivalence de diplôme », comme le précise l’instance concernée. Se tourner vers les universités québécoises devient à cet égard un « passage obligé » pour les personnes immigrantes qui espèrent entrer sur le marché du travail à hauteur de leurs compétences, comme le reconnaît le Comité interministériel sur la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes formées à l’étranger dans son rapport de 2017.
Une logique de rediplômation plutôt que de reconnaissance
Les universités québécoises revendiquent néanmoins leur autonomie dans ce chapitre, et font usage de la reconnaissance des acquis et des compétences exclusivement dans le processus d’admission de nouveaux et nouvelles étudiantes, et donc à des fins de rediplômation des personnes formées à l’étranger.
Contrairement aux ordres d’enseignements secondaire et collégial, dans lesquels la RAC peut permettre d’obtenir le même diplôme que celui du programme régulier, dans les universités « en règle générale, un maximum du tiers des crédits d’un programme d’études peut être reconnu » (Comité interministériel 2017). Cet usage transgresse les principes de la RAC, institués par la Politique gouvernementale d’éducation des adultes de 2002, qui stipulent « qu’une personne : 1/a droit à la reconnaissance formelle des acquis et des compétences correspondant à des éléments de formation qualifiante, dès lors qu’elle fournit la preuve qu’elle les possède ; 2/ n’a pas à refaire dans un contexte scolaire formel des apprentissages qu’elle a déjà réalisés dans d’autres lieux selon d’autres modalités ; 3/ ne devrait pas être tenue de faire reconnaître à nouveau des compétences ou des acquis qui ont été évalués avec rigueur et sanctionnés par un système officiel » (p.23-24). Cette politique québécoise est une application du droit international : le Québec, à l’instar des autres provinces et territoires canadiens, a ratifié la Convention de Lisbonne sur la reconnaissance, devenue juridiquement contraignante en vertu du droit international le 1er août 2018. Cette Convention engage la responsabilité des pays quant aux principes et aux mécanismes de reconnaissance des diplômes d’études, ainsi que de collecte et de diffusion des renseignements sur les systèmes d’éducation, comme le rappelle Me André Gariépy, Commissaire à l’admission aux professions de l’Office des professions du Québec (OPQ).
Dans leurs travaux et dans leur exercice au quotidien, des acteurs et des institutions ont relevé cette absence de RAC dans les universités québécoises. Ces acteurs sont des organismes de défense des droits (Action Travail des Femmes [ATF] et le Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec [RAFIQ], notamment), des instances autonomes comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) et le bureau du Commissaire à l’admission aux professions de l’OPQ, ainsi que des chercheur.e.s universitaires et des étudiants (Bélisle et coll. 2010, Bélanger 2017). Ces dénonciations ne sont ni récentes ni isolées, et les torts persistent.
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