Résumé:
Ce dossier met l'accent sur la mesure de la littératie en santé dans les enquêtes internationales sur les compétences des adultes. Il montre également comment cet enjeu est pris en compte au Québec en 2018.
Ce texte fait partie du dossier spécial sur le Programme d’enquête internationale sur les compétences des adultes (PEICA)
Qu’est-ce que la littératie en santé ? Pourquoi est-elle importante ?
La littératie en santé est un concept qui fait le lien entre les niveaux de compétences en littératie et la santé, ce qui concerne non seulement les individus, mais aussi le système de santé lui-même et la société en général. Le concept a attiré une attention croissante au cours des deux dernières décennies dans plusieurs pays autour du monde. Une définition plus large du concept a récemment été proposée au Québec :
La littératie en santé fait référence aux connaissances, à la motivation et aux compétences nécessaires pour trouver, comprendre, évaluer et utiliser l’information en santé en vue de prendre des décisions dans la vie de tous les jours au regard de l’utilisation des services de santé, des mesures de prévention et de promotion de la santé, et ceci en vue de maintenir ou d’améliorer la santé et la qualité de vie tout au long du parcours de vie des personnes (Rapport non-publié du comité ad hoc, traduction libre de Sorensen et al., 2012; OMS, 2013).
Cette définition a été développée à partir de celle proposée en 2008 par un groupe d’experts canadiens sous l’égide de l’Association canadienne de santé publique.
Les principales analyses et réfléxions sur la littératie en santé au Canada et au Québec découlent de trois enquêtes internationales — l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA) de 1994, l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA) de 2003 et le Programme d’enquête internationale sur les compétences des adultes (PEICA) de 2012 — qui mesurent les compétences en littératie démontrées par des adultes pour effectuer des tâches quotidiennes.
L’EIACA inclue un sous-ensemble de 191 tâches liées à la santé et classées en cinq catégories : la promotion de la santé, la protection de la santé, la prévention des maladies, les soins de santé et la compréhension du système de santé (Zoom Santé n°35, 2012, p.2). Toutes les données de littératie en santé citées jusqu'à présent proviennent de l’EIACA.
L’enquête sur la littératie en santé de l’EIACA montrait qu’au Québec, « près de deux tiers des personnes de 16 ans et plus (66%) présentent des niveaux de compétences inférieurs au niveau 3 […]. En outre, la quasi-totalité des personnes de 66 ans et plus (95%) n’atteignent pas le [niveau 3] » (Zoom Santé n°35, 2012, p.3 et 4). La publication de ces chiffres alarmants a fait prendre conscience que la littératie en santé est une problématique sociale d’importance au Québec.
En 2012, le PEICA n’a pas mesuré la littératie en santé en particulier, mais a néanmoins recueilli des renseignements sur certaines caractéristiques personnelles et socioéconomiques, y compris quatre catégories sociales et sanitaires : la santé, la confiance envers les autres, le bénévolat et l’efficacité politique autodéclarée. D’autres éléments recensés par le PEICA et liés à la santé et au bien-être social des individus incluent les maladies ou les problèmes de santé de longue date, les contraintes physiques ou mentales qu’une personne éprouve en exerçant des activités diverses, les raisons pour lesquelles une personne décide de quitter son emploi ou bien les raisons qui l’empêchent à chercher un emploi, ainsi que le type d’emploi détenu (par exemple, un emploi stable ou précaire).
Le rapport Dimensions sociales et sanitaires des compétences des adultes au Canada sur les résultats du PEICA a confirmé « que les compétences sont liées aux résultats sociaux et sanitaires mesurés dans le cadre du PEICA indépendamment d’autres facteurs et, que les compétences peuvent contribuer à améliorer les résultats sociaux et sanitaires de certains groupes de la population canadienne » (Conseil des ministres de l’éducation du Canada, 2017, p.95).
Aussi, en 2016, l’étude de Statistique Canada intitulée « Les liens entre les compétences et le faible revenu » a utilisé les données tirées de l’Étude longitudinale et internationale des adultes (ELIA). L’ELIA est une enquête qui combine les données sur les compétences du PEICA avec les données sur le revenu des ménages. Les chercheur-e-s ont constaté que « le revenu médian chez les personnes classées dans la catégorie inférieure des compétences en littératie était de 49 700 $, en comparaison de 84 600 $ pour les personnes classées [dans le niveau 4-5] ». Ils ont conclu que :
Certaines caractéristiques de la population telles que le statut d’immigration, le fait d’être un Autochtone, la présence d’une limitation d’activité, un faible niveau de scolarité et l’appartenance à une famille monoparentale, sont plus susceptibles d’être associées au faible revenu.
Depuis 2016, plusieurs déclarations importantes ont été faites sur la littératie en santé, tant à l'échelle internationale qu'au Québec. À l’échelon international, après la Neuvième Conférence mondiale sur la promotion de la santé à Shanghai en 2016, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a émis un mandat pour la littératie en santé. L’OMS a déclaré que la littératie en santé est un facteur important pour améliorer la santé, autonomiser les citoyens, et réduire les inégalités en matière de santé. Il a lié la littératie en santé à l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable (OMS, 2016).
Au Québec, plusieurs agences tentent de situer la littératie en santé dans un cadre politique transversal. L'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) a déposé un mémoire au Ministère de la Culture et des Communications intitulé La Littératie en santé au cœur de l’identité culturelle québécoise. Ce mémoire propose que dans le renouvellement de la Politique culturelle du Québec, le gouvernement s’engage dans la littératie et la littératie en santé parce que culture, littératie et santé sont indissociables. De plus, il a été démontré que plus de deux tiers des Québécois et des Québécoises n’ont pas un niveau suffisant de compétences en littératie en santé pour pouvoir bien gérer leur santé. Le mémoire affirme davantage « que cette réalité agit défavorablement sur les finances de l’État, sur l’inclusion sociale, sur les inégalités socioéconomiques, sur le développement durable, sur la gestion de la santé durable et sur la culture elle-même » (ASPQ, 2016).
L’ASPQ a identifié les défis de santé durable du XXIème siècle comme étant les suivants :
- coûts des soins de santé
- maladies chroniques
- vieillissement de la population
- impacts négatifs des changements climatiques
- inégalités sociales
- niveau de littératie
L’Association affirme « [qu’a]vant d’être un loisir, la lecture doit être considérée comme une compétence de base pour [que l’individu soit] fonctionnel en société́ » et qu’une « amélioration de la littératie au sein de la population québécoise parviendrait à concrétiser deux orientations » dans la Stratégie gouvernementale de développement durable 2015-2020—notamment, celle « qui vise à favoriser l’inclusion sociale et à réduire les inégalités sociales et économiques » et celle « qui vise à améliorer, par la prévention, la santé de la population » (ASPQ, 2016, p. 16).
L’une des initiatives les plus concrètes provient du Plan d’action interministériel 2017-2021 de la Politique gouvernementale de prévention en santé, lancé en 2018 par plusieurs ministères. Il identifie la littératie en santé dans l’objectif « d’améliorer la capacité des personnes à prendre soin de leur santé et de celle de leurs proches ». Il propose l’implantation d’une stratégie visant à améliorer les connaissances et les capacités des personnes en matière de prévention en santé. Deux volets d’action sont prévus : Communications sur la santé vulgarisées et adaptées à la population et Soutien aux intervenants du réseau de la santé et des services sociaux. Le Plan d’action se fonde sur les constats suivants :
Le niveau de littératie en santé varie grandement d’une personne à une autre, ce qui peut amplifier les inégalités sociales de santé. Il est donc essentiel que les communications en santé soient accessibles. Actuellement, au Québec, plusieurs initiatives intéressantes ont vu le jour, mais ces dernières demeurent fragmentées et ne font pas partie d’une stratégie d’ensemble établie au bénéfice de toute la population.
Les actions découlant de la présente mesure permettront d’identifier et de planifier un ensemble d’activités ayant pour but d’améliorer la capacité des organisations et des professionnels du secteur de la santé à adapter leurs communications, en portant une attention particulière aux populations plus vulnérables. (p.14)
Les actions incluent une étude portant sur les initiatives prometteuses implantées au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde (de 2018 à 2019), des activités de partage des connaissances et des projets pilotes (de 2019 à 2020) et la première stratégie québécoise en matière de littératie en santé ainsi qu’un plan pour sa mise en œuvre (2021). Le budget attribué à cette mesure est de 500 000 $.
Le Plan intègre des éléments d'un certain nombre d'études antérieures, plusieurs décrit ci-dessus, et autres documents importants comme La Chartre de Calgary pour la littératie en santé (The Centre for Literacy, 2011) et An Intersectorial Approach for Improving Health Literacy for Canadians (Mitic & Rootman, 2012).
Si les données existent depuis de nombreuses années, il semble que des actions concrètes se mettent en place au Québec et au Canada de façon récente. Il est temps d’agir, non seulement pour réduire les coûts sociaux de faibles compétences en littératie en santé, mais également pour autonomiser les individus.
Ce document a été rédigé par Linda Shohet du Conseil LPS.