Les revenus? De moins en moins élevés...

Les revenus? De moins en moins élevés...

2012

REVENU – 1981

 

En 1981, on n’est plus dans une période faste et prospère. Toutefois, les conditions économiques sont encore acceptables. On se situe juste avant la crise économique de 1982, avant les fermetures multiples d’usines, fruits notamment des accords de libre-échange. Il s’agit d’une période durant laquelle on assure encore un certain filet social, où règne l’impression d’un avenir avec de possibles avancées.

L’emploi

En 1981, le monde de l’emploi n’était pas un paradis pour les personnes peu alphabétisées, mais il demeurait accessible. Le nombre de postes disponibles et accessibles, tout comme les critères d’embauche, rendait le travail à la portée des personnes qui possédaient un faible niveau de littératie.

Un participant relate ces faits : « Dans le temps, il y avait de la job. Si on laissait un emploi, il y en avait d’autres. » Il ajoute encore : « On n’avait pas à savoir tout avant de commencer, la job t’était montrée quand tu rentrais. Tu pouvais apprendre un métier dans la place. En plus, y avait beaucoup moins besoin de cartes de compétences. » Vers les années 1980, on pouvait donc espérer occuper un emploi à temps plein. Il y avait beaucoup plus d’entrepreneurs et d’usines qui engageaient des manœuvres. Il était même possible d’occuper un emploi bien rémunéré dans certaines entreprises. Un des exemples entendus est le cas du Mondalire, où les personnes participantes étaient majoritairement des ouvrières et des ouvriers avec de bons salaires (meilleurs, soit dit en passant, que ceux du personnel de l’organisme). Ces travailleuses et travailleurs avaient leur fierté et une bonne estime d’eux-mêmes et ils faisaient partie de la classe moyenne. Ils ne se reconnaissaient pas dans les stéréotypes qu’on pouvait véhiculer au sujet des personnes analphabètes. Avec le travail, comme cela a été dit précédemment, venaient un statut, une reconnaissance, des moyens, une vie organisée, etc.

photo : Atout-lire

Les prestations d’assurance chômage

Né en 1940, le régime d’assurance chômage a pris de l’expansion jusqu’en 1975. Il a été mis sur pied comme système de protection contre le risque du chômage, une assurance pour dédommager les travailleuses et les travailleurs qui perdaient leur emploi. Pour illustrer son contenu à une époque, notons qu’en 1971, il fallait avoir travaillé 8 semaines sur les 52 dernières pour avoir droit aux prestations. Le taux de ces dernières s’élevaient à « 66 2/3 % des gains assurables et à 75 % pour les prestataires qui avait une ou des personnes à charge» 1.  À partir de 1975, ce régime a commencé à se faire gruger par de petites coupures. En 1978, « le projet de loi C‑14 resserre les critères d’admissibilité : il faudra dorénavant accumuler plus de semaines de travail pour se qualifier et le taux de prestations est diminué à 60 2».

 

Début des années 1980, la Commission de l’assurance chômage devient la Commission de l’assurance emploi. Cette nouvelle commission a moins d’autonomie que la précédente, et le programme s’éloigne de l’idée de l’assurance pour devenir de plus en plus un outil d’incitation à l’emploi. Toutefois, il y a peu de changement de ce programme jusqu’en 1988.

L’aide sociale
C’est en 1969, dans la suite de la Révolution tranquille, que le gouvernement du Québec « reconnaît le droit à l'aide quelque soit la cause du besoin 3 » et adopte la loi sur l’aide sociale. Toute personne dans le besoin pouvait y avoir recours, et cela était alors reconnu comme un droit et non un privilège. En 1981, l’aide sociale avait déjà subi des reculs par la diminution des barèmes qui servaient à déterminer l’aide accordée. Toutefois, le droit d’avoir des revenus suffisants pour satisfaire les besoins ordinaires (logement, nourriture, vêtements, soins personnels et domestiques) était encore reconnu. Le barème d’aide sociale pour les jeunes de 18 à 30 ans était toujours nettement inférieur à celui des adultes. Aux dires des personnes interviewées, les prestataires ne se faisaient pas trop harceler à propos de leur vie maritale. Certains besoins spéciaux étaient couverts par ce programme.

1 Le Mouvement Action-chômage de Montréal, Historique du régime d’assurance chômage canadien

2 Op. cit.

3 Action plus de Sherbrooke

 

Coalition pour l’accès aux services dans les CLE (CASC)

REVENU – 2011

Au fil des années, des crises et des récessions, il y a eu des fermetures d’usines qui ont mis de nombreux travailleuses et travailleurs au chômage. Lors de ces crises, l’analphabétisme se révèle chez les personnes qui ne peuvent se replacer rapidement ni facilement sur le marché du travail, comme plusieurs personnes l’ont relaté, dont un participant interviewé :

« Il y a eu les fermetures d’usines, ça a fait qu’on est allé sur le BS4

Emploi

D’un point de vue mondial, nous assistons depuis quelques années à une transformation majeure du monde du travail, passant de l’ère industrielle au monde des technologies de l’information, de la communication et de la biotechnologie, de l’internationalisation du travail avec crise de l’emploi. Si ces changements ont procuré du succès à certaines entreprises, les inégalités, la pauvreté et l’insécurité sont croissantes. Dans de nombreux pays, la population dénonce le manque d’emplois, le bas niveau des salaires, les disparités en hausse et la réduction des services sociaux de base.

Au Québec, l’accès à l’emploi s’est complexifié et comporte de plus en plus d’exigences. Par exemple, on demande généralement un cinquième secondaire. Les changements technologiques et l’économie du savoir teintent maintenant le monde du travail et renvoient les personnes faiblement alphabétisées à une position d’inaptitude. On assiste aussi à la prolifération de postes précaires et à temps partiel. L’accès au monde du travail est de plus en plus difficile pour les personnes peu alphabétisées 5. Selon les milieux, les perspectives et les réalités de l’emploi peuvent varier. Toutefois, ces exigences sont élevées dans tous les milieux, et les nouvelles technologies et leurs changements constants font parties de la hausse de ces exigences. Comme le disait un participant de Québec :

« Maintenant, ça prend de l’éducation, sans ça, tu peux rien faire, y’a pas de job. »

Les emplois qui demeurent disponibles pour les personnes peu alphabétisées sont surtout de petits boulots, dans l’entretien ménager, dans la petite conciergerie, la restauration, la cueillette, ou encore dans des programmes d’insertion (surtout dans le nettoyage et la cuisine). Plusieurs personnes participantes cumulent deux ou trois petites occupations pour s’en sortir : pelleter la neige, tondre le gazon, distribuer des circulaires, etc.

Selon plusieurs animatrices et animateurs, d’autres éléments nuisent à l’accès au travail pour les personnes participantes, dont les suivants :

Le marché de l’emploi est marqué par un manque de flexibilité et d’ouverture des employeurs. Par exemple, si davantage de postes à temps partiel étaient offerts, de nombreuses personnes moins en santé auraient la capacité d’occuper ces postes. Évidemment, le cinquième secondaire comme critère d’embauche de nombreux emplois manuels a maintes fois été critiqué.

Dans les régions rurales, il y a un réel problème de transport. Les distances sont souvent grandes à parcourir, et sans auto, il est difficile d’occuper un emploi, sans compter que les personnes les plus pauvres et qui n’ont donc pas les moyens de posséder un véhicule se trouvent de plus en plus éloignées des centres où l’activité économique et sociale se déroule.

L’étiquetage avec son lot de préjugés, les « qu’en-dira-t-on » et la mentalité de village dans certains milieux constituent un autre frein à l’entrée dans le monde du travail pour les personnes peu alphabétisées.  

Les réalités, les exigences nouvelles et les discriminations du monde du travail de même que les limites des personnes peu alphabétisées, dont les conséquences des conditions d’extrême pauvreté et d’exclusion, sont des éléments qui excluent les personnes peu alphabétisées du marché du travail ou, à tout le moins, qui limitent grandement leur accès à l’emploi.

4 Plusieurs informations sur les conditions de vie se trouvent dans le document suivant : RGPAQ, Face à face avec les vies dures, 2012.

5 RGPAQ, Dossier Alpha et emploi – Le Monde alphabétique, printemps 2011.

Assurance emploi
En 1990, le gouvernement sabrait largement le régime d’assurance emploi et cessait de le financer. C’est alors qu’il a augmenté le caractère répressif du régime et entraîné le rejet d’un grand nombre de travailleuses et de travailleurs. Par exemple, le Congrès du travail du Canada a évalué à ce moment-là que 44 000 personnes sans emploi au Québec ne seraient plus admissibles aux prestations.

« De plus, en considérant le nombre d’heures travaillées pour se qualifier, plutôt que le nombre de semaines, l’État exigeait plus du double de temps de travail pour être admissible 6. »

Le taux des prestations est passé à 55 % la plupart du temps 7.  Aujourd’hui, donc, comparativement à ce qui était en vigueur en 1981, les prestations d’assurance emploi sont moins élevées, couvrent une moins longue période et sont moins facilement accessibles.

6 Regroupement des sans-emploi de Victoriaville, Historique de l'assurance-emploi, 10 décembre 2009. [http://rsansemploi.com/].

7 Ibid. (Dans certains cas très précis, les prestations peuvent augmenter jusqu’à 80 %, lorsqu’il y a un prestataire à faible revenu et des enfants à charge.)

Aide sociale
Actuellement, la seule façon de faire une demande d’aide sociale est de passer par Internet. Lorsqu’une personne dit ne pas pouvoir le faire, on la renvoie la plupart du temps à un organisme communautaire, sinon à son entourage. Les personnes qui en font la demande n’ont pas de contact direct avec les agents. Si l’une ou l’un d’eux désire communiquer avec une personne demanderesse, cela se fait essentiellement par courrier, et non par téléphone, ce qui soulève crainte et anxiété chez les individus qui maîtrisent peu l’écrit. Les formulaires de demande sont complexes, les documents à fournir nombreux et les exigences élevées. De ce nouveau fonctionnement résultent non seulement de nombreuses demandes refusées, parce que les formulaires sont mal remplis ou incomplets, mais aussi des retards importants dans l’envoi des chèques de prestations avec ce que cela comporte de conséquences pour les prestataires.  

Les prestations mensuelles de base s’élèvent à 574 $ pour une personne seule et doivent couvrir les frais de logement, d’entretien ménager, de soins personnels, de communications, d’habillement, d’ameublement, de transport et de loisirs.

Selon le Front commun des personnes assistées sociales, la loi actuellement en vigueur comporte de nets reculs par rapport à la précédente du fait qu’elle nie le droit à un revenu suffisant, qu’elle ne compte pas de barème plancher, qu’on y propose le détournement des pensions alimentaires et, enfin, que l’aide sociale est assujettie à l’employabilité.

La loi actuelle est, de plus, problématique dans sa proposition de catégoriser la population qui en fait la demande. À chaque catégorie est en effet associé un programme en fonction de l’évaluation des capacités d’assumer un emploi. Les personnes qui font partie de la catégorie « contraintes sévères à l’emploi » semblent se trouver devant une arme à double tranchant : d’une part, elles s’y trouvent stigmatisées avec un diagnostic dévalorisant et d’autre part, elles y reçoivent un peu plus d’argent des prestations de la sécurité du revenu. Beaucoup de participantes et de participants sont classés inaptes au travail, notamment à cause des diagnostics scolaires. Les moins de 25 ans sont quant à eux classés dans le programme Alternative jeunesse, dans lequel on propose un plan en fonction d’une évaluation du potentiel de leur réussite qui, paraît-il, est fort contraignant et tout aussi restreint. De plus, il a souvent été rapporté que les jeunes y subissent de fortes pressions.

D’autres sources de revenu

Enfin, d’autres possibilités de revenu existent, comme nous le verrons dans la deuxième partie, soit divers programmes d’insertion sociale et d’employabilité et des emplois de solidarité sociale offerts dans les groupes d’alphabétisation ainsi que dans d’autres organismes.