Se loger, un casse-tête
Les réalités en matière de logement varient d’une région à l’autre. Toutefois, des constantes ressortent : le logement constitue une part incompressible du budget et il représente le plus souvent, pour les personnes en situation de pauvreté du moins, la dépense la plus importante.
HABITATION – 1981
En 1981, la situation du logement n’était pas idéale. Les personnes qui se trouvaient en situation de pauvreté faisaient face à deux problématiques1, soit la détérioration des logements et une capacité réduite de payer. Par exemple, une animatrice qui travaillait dans Pointe-Saint-Charles, quartier montréalais ouvrier à l’époque, se rappelle qu’en 1982, il y avait des logements minables, dont certains n’avaient même pas de plancher. La question des préjugés se faisait sentir pour plusieurs, notamment pour certaines personnes immigrantes et pour des femmes seules avec enfant. Ainsi, une participante de La Marée des mots de Beauport raconte : « J’étais fille-mère, comme on disait à l’époque, et je recevais beaucoup de préjugés pour cela. Plusieurs propriétaires ont refusé de me louer à cause de ça. Aujourd’hui, ce serait vraiment plus facile. » Un autre participant du même organisme raconte un morceau d’histoire de sa jeunesse :
« Je viens d’une grosse famille, on était plusieurs dans la même chambre. On a même déjà été neuf personnes dans un 4 ½, pis le propriétaire nous avait mis à la porte quand il s’en était aperçu. »
Ce même participant affirme toutefois que les propriétaires de l’époque étaient souvent plus souples et compréhensifs. Il ajoute : « Un autre propriétaire avait lui-même une grosse famille. Il comprenait ce qu’on vivait. Il était prêt à attendre des fois quelques mois avant d’être complètement remboursé. »
Au milieu des années 1970, il y a eu un gros boum en ce qui a trait à la construction d’habitations sociales. Il y avait donc une possibilité raisonnable d’accéder à ce type de logements au début des années 1980.
Il faut ajouter que si la majorité des personnes participantes des groupes étaient locataires, ce n’était pas le cas de toutes. En effet, un certain nombre d’entre elles, surtout celles situées en banlieue des grands centres et dans de petites municipalités, étaient propriétaires de leur maison.
Les conditions de logement n’étaient donc pas faciles, mais elles étaient quand même, semble-t-il, moins précaires qu’elles ne le sont aujourd’hui.
1 Affirmation faite par une travailleuse du FRAPRU.
HABITATION – 2011
Avec les années, les conditions de logement se sont détériorées. Dans certaines municipalités, comme à Joliette, les petits propriétaires ont presque disparu. Quelques grands propriétaires détiennent un certain monopole et ont tendance à négliger leurs logements. Cela entraîne de nombreux problèmes de délabrement et d’insalubrité. Si la question de l’insalubrité existait il y a 30 ans, le problème est plus grave et présent maintenant.
Mais l’aspect le plus problématique demeure le coût. D’un peu partout, les commentaires entendus sont un cri qui dénonce cette réalité :
« En 30 ans, mon logement a augmenté de cinq fois. » « Les logements sont devenus très chers, il y a un problème d’accessibilité. » « Le logement a tellement augmenté, ça a pas de sens, même mon HLM a augmenté de prix. En plus, on me demande plein de formulaires maintenant. »
L’accès au logement abordable constitue l’une des premières préoccupations pour les personnes des pôles urbanisés 2. À Gatineau, à Québec, à Lévis, à Montréal et à Longueuil, le coût d’un logement avec deux chambres à coucher a augmenté de 39 % de 2000 à 2010. L’appauvrissement d’une grande partie des ménages locataires a fait augmenter l’incapacité à payer son loyer. Cette réalité, des personnes participantes la décrivent ainsi : « Le loyer ne peut être coupé. Alors, on paye d’abord le loyer. On coupe sur les vêtements, les activités, les petits plaisirs. On vient qu’on ne peut pas se payer de loisirs, qu’on n’est plus capable d’en avoir. » S’additionnent au loyer lui-même les autres frais attachés à l’habitation, qui ont aussi augmenté, soit l’électricité, le téléphone et tout ce qui contribue au chauffage : bois, gaz, huile, etc. Même la télévision, qui est passée au numérique, est plus chère. Toutes ces augmentations ne donnent pas les moyens aux personnes plus pauvres de s’organiser.
Dans le domaine de l’habitation existe en plus le problème de pénurie, tout particulièrement dans plusieurs villes de la Côte-Nord et de l’Abitibi-Témiscamingue 3. La carence en logements s’accroît en raison du peu de chantiers de logements familiaux, la raréfaction des subventions et l’absence totale de construction de HLM depuis 1994. 4
Actuellement, 40 000 ménages au Québec sont sur les listes d’attente des HLM.
Les faits exposés jusqu’à présent ne concernent pas uniquement les personnes peu alphabétisées, mais plutôt toutes les personnes en situation de pauvreté. Pour une travailleuse du FRAPRU, les particularités propres aux personnes peu alphabétisées en ce qui concerne le logement sont difficiles à cerner, car il n’y a pas de données statistiques sur ce sujet précis. Toutefois, à partir de son expérience, elle a pu constater que la situation des personnes peu alphabétisées ressemble à celle des personnes immigrantes : elles se font plus souvent berner et sont plus fréquemment victimes d’abus de confiance et d’intimidation que la moyenne des gens. Elles connaissent aussi moins bien leurs droits et les défendent moins.
Une réalité nouvelle dans la vie de plusieurs communautés a été soulevée lors des entrevues : les gens à faible revenu quittent le centre des villes. En effet, comme les logements y sont plus chers, les personnes s’éloignent et vont s’installer dans les coins les plus reculés, mais elles se trouvent ensuite avec des problèmes de transport, qui coûte cher...
Ces mouvements de population continuent de transformer le paysage des communautés, déjà détérioré par les pertes d’emplois citées précédemment. S’ajoute à ce portrait l’embourgeoisement de nombreuses zones, qui a certes contribué à l’amélioration de la qualité des logements, mais qui a aussi entraîné l’évacuation des personnes plus pauvres et a donc participé à la désagrégation du tissu social de ces lieux de vie.
2 RGPAQ, Enjeux et défis de l’alphabétisation populaire au Québec, 2009.
3 Société canadienne d’hypothèques et de logement, Rapport sur le marché locatif – Faits saillants – Québec, printemps 2011.
4 Les chantiers de construction sont surtout composés d’unités de condominium. Front d’action populaire en réaménagement urbain, Consultation en vue du budget 2012-2013, Mémoire présenté au ministère des Finances du Québec, décembre 2011.
Le logement est donc en piètre état pour les personnes à faible revenu. Pourtant, il est un autre déterminant de la qualité de la vie quotidienne et de la santé des personnes. 5