Les violences faites aux femmes : un fléau coutumier au Liban
Le 17 septembre 2011
Violences physiques, agressions sexuelles, harcèlement moral ou sexuel, privations économiques, crimes « d'honneur » : autant de sévices dont une femme sur trois a déjà été victime au Liban selon des statistiques établies par KAFA (enough) Violence & Exploitation. Lumière sur les violences domestiques trop souvent restées silencieuses.
Signataire de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et de la Convention internationale relative aux droits civiques et politiques (ICCPR), le Liban s'est maintes fois engagé auprès de la communauté internationale à assurer l'égalité des genres. En outre, l'article 7 de la Constitution libanaise garantit l'interdiction de toutes formes de discriminations envers les femmes. Paradoxalement, des lois poussiéreuses du Code Pénal libanais subsistent comme l'article 522, selon lequel un homme peut être excusé d'un viol s'il épouse sa victime. Encore récemment, l'article 562 accordait des circonstances atténuantes en cas de "crime d'honneur", si un homme avait assassiné une femme de sa famille qui aurait "compromis l'honneur de la famille". La suppression de cet article du Code Pénal libanais a été récemment votée au Parlement suite à la proposition de son abrogation, à l'initiative du député Samy Gemayel. Une suppression saluée par toutes les organisations non-gouvernementales libanaises.
“Les violences familiales envers les femmes constituent les abus les plus répandus et ne connaissent aucune barrière économique ou communautaire,” affirme Faten Abou Chacra, directrice de projet pour KAFA. Partant, une coalition menée par KAFA et qui compte aujourd'hui près de cinquante neuf organisations non-gouvernementales (ONG), a présenté un projet de loi en 2008 : "Bill for the Protection of Women Against Family Violence Referred to the Parliament", fruit d'une étroite collaboration entre un comité d'experts des Forces de Sécurité Intérieure, des juristes et nombre d'acteurs de la société civile d'après la publication de Azza Sharara Badydoun : “Crimes of femicide before the Lebanese Judiciary”. Le projet de loi, saisi à bras le corps par l'organisation KAFA (enough) Violence & Exploitation, s'appuie sur les recommandations du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Violences à l'égard des Femmes, et ouvre une réelle perspective d'amélioration de la condition féminine au Liban.
Cette loi revêt trois aspects, d'une part un aspect normatif exigeant une modification du fonctionnement des services judiciaires ainsi qu'un changement dans l'attribution des compétences à travers la création d'unités spécialisées aux violences faites aux femmes. D'autre part, un axe procédural imposant aux corps de la magistrature et de la police de protéger et défendre les femmes victimes de violences domestiques notamment par le traitement rigoureux des plaintes et le déclenchement d'une véritable enquête. Par conséquent, de nouveaux règlements, protocoles, directives et instructions doivent être édifiés au sein de tous les services publics concernés pour une législation complète et opportune. Enfin, ce projet de loi vise à susciter une prise de conscience collective concernant la gravité des violences domestiques et ainsi, construire durablement une intolérance et une résistance à ce genre de pratiques.
Le projet de loi adopte une approche holistique de la question des violences familiales, et, ainsi se refuse de considérer les particularismes émanant des statuts personnels. Leila Awda , avocate pour KAFA ayant travaillé sur le projet de loi, nous confie son pessimisme quand au vote de la loi mais souligne que “ des étapes importantes ont déjà été franchies dans la lutte contre les violences domestiques envers les femmes”.
En février 2008, une colossale campagne médiatique de présentation du projet de loi a été lancée auprès du grand public autour de tables rondes, de conférences officielles afin de sensibiliser et d'obtenir le soutien des médias, des ministres, des membres du Parlement, des partis politiques, des juges... Le principal objectif de la campagne est de réussir à faire pression sur le Parlement en vue de l'adoption de cette loi, mais surtout de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour son application concrète.
Dès le lancement de la campagne, une vive opposition appuyée par le parti islamiste conservateur « El Jama3a el Islamiya » représenté au Parlement par Imad el Hout, s'est fait entendre ; un communiqué officiel émanant du Mufti a condamné ce projet. Cette prise de position officielle incarne le début d'un considérable déchaînement contre le projet de loi : organisation de conférences à l'Université islamique de Tripoli, coordination des leaders sunnites associés à leurs homologues chiites et druzes, déclarations virulentes d'officiels …
Le parlement libanais est actuellement en discussion sur la loi, qui pourrait mettre un terme à l'impunité et à l'injustice subies par les femmes au Liban.